Emmaillotage des bébés, torture ou bienfait ?

Les photos des nouveaux nés de Mark Zuckerberg et Alan Ritchson ont fait le tour du monde. Détail : bébé y est emmailloté comme le petit Jésus. Quelle mouche a donc piqué les deux stars? Enquête sur une pratique controversée
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emmaillotage du bébé de Mark Zuckerberg
Mark Zuckerberg et Priscilla Chan ont posté sur leurs réseaux sociaux des tas de photos de leur nouveau né, toujours soigneusement emmailloté...
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Mais qu’est-ce qui leur prend ? C’est la question qu’ont dû se poser de nombreux parents, début décembre, en découvrant la photo du nouveau-né emmailloté que Mark Zuckerberg tient tendrement dans ses bras, son épouse à ses côtés. Autre photo, mais même étonnement, une semaine plus tard, exactement: celle du nouveau-né d’Alan Ritchson, acteur américain qui joue dans les « Hunger Games ».
Bonnet pointu sur le crâne, le minuscule Amory pose aussi emmailloté que le Petit Jésus dans sa crèche, entre le bœuf et l’âne gris. Possibilité de gigoter? Néant! Possibilité de porter ses petites mains à sa bouche pour les suçoter? Néant! Pauvres gosses ? Oui, répond en substance Ralph Frenken, psychothérapeute pour enfants et adolescents qui a écrit un épais ouvrage qui fait le tour de la question. Son titre: Enfants ligotés. Histoire et psychologie du langage .

Nourrisson saucisson


Sur quelque 400 pages, il détaille l’emmaillotage, de ses origines à nos jours, un «phénomène mondial» pratiqué de la même façon dans d’innombrables cultures, sur l’entier du continent américain, en Europe et en Asie, alors que les autres soins aux nourrissons varient. En résumé, jusqu’au XVIIIe siècle, bébé est traité sur le mode saucisson. Il est emballé si serré qu’il ne peut plus bouger. « Seule la musculature de son visage restait libre de ses mouvements », explique l’auteur allemand. Sadiques, les mères d’autrefois ? Pas spécialement. Les raisons étaient diverses: on pensait que les bébés étaient « comme de l’eau », qu’il fallait les emmailloter pour leur donner une forme. Il fallait qu’ils se durcissent, mais également qu’ils évitent de se gratter les yeux ou le nez et qu’ils ne puissent pas se toucher les parties génitales.

Ainsi empaqueté, le nourrisson était également facile à transporter et à manipuler. Certains bébés n’étaient détachés et lavés qu’une fois par semaine. C’est un chirurgien suisse du XVIe siècle, Felix Würtz, qui le premier s’est élevé contre ces pratiques. Il insistait également pour que les poupons ne soient pas laissés durant des heures dans des langes mouillés. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’autres médecins dénonceront cette pratique, dont l’Anglais William Cadogan, qui semble avoir été le premier en faveur de sa suppression totale. Dans un essai, il affirme que, si la moitié des enfants de moins de 5 ans décède, la raison est un « mauvais management » de la part des femmes et des nourrices.

Jésus et Jules César aussi


Si l’emmaillotage remonte à la nuit des temps, le combat contre cette pratique a duré des siècles et a fini par avoir du succès: dans de nombreuses régions d’Europe, la pratique a reculé. Du coup, on peut se demander pourquoi cette technique est revenue en force dans des pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Vidéos sur YouTube et sites internet donnent en effet des conseils pour procéder à un empaquetage en règle. (Comme celle de ce papa qui vous emmaillote un bébé en deux temps trois mouvements, ci dessous...)



En allemand (emmailloter se dit « pucken ») et en anglais (« swaddling »), professionnels et parents dressent la liste des avantages et des inconvénients de cette pratique qui a bien sûr évolué – on empaquette moins serré – depuis l’Antiquité. Parmi les avantages, les uns et les autres avancent son action calmante; le cocon rappelle l’utérus maternel et, de plus, empêche bébé de faire des mouvements brusques dans son sommeil, des mouvements qui le réveillent.

Infirmière et sage-femme aux Hôpitaux universitaires de Genève, Jocelyne Bonnet, qui enseigne la méthode aux futurs parents, explique que c’est un des moyens pour consoler les nouveau-nés. « Pour certains, il n’est pas suffisant d’être dans les bras. Ils arrivent encore à gigoter. En étant emmaillotés, ils peuvent s’appuyer sur quelque chose. Et pour ceux qui sont sensibles au chaud-froid et qui s’endorment dans les bras de leurs parents, qui finissent par les remettre dans leur petit lit froid, le choc thermique et le risque de les réveiller sont moindres. » Evidemment, il n’est pas question de laisser un nourrisson emmailloté vingt-quatre heures sur vingt-quatre et encore moins de l’emballer au point qu’il ne puisse même pas tourner la tête. « Et on n’emmaillote plus après 3 ou 4 mois. »

Empaqueter or not empaqueter ?


Les désavantages ? En voici quelques-uns, dénoncés par l’Académie américaine de pédiatrie. Risque accentué de dysplasie des hanches et problèmes de respiration (manque d’oxygène). Et, comme bébé est restreint dans ses mouvements, il peut également avoir de la difficulté à se réchauffer. A ces inconvénients, Ralph Frenken ajoute le manque de stimulation tactile dû à cet empaquetage.

En passant, il descend en flèche Harvey Karp, médiatique pédiatre américain qui compte les enfants de Michelle Pfeiffer, Madonna et Pierce Brosnan parmi ses patients. Le sémillant praticien est un fervent partisan de l’emmaillotage serré qu’il prône jusqu’à vingt heures par jour (jusqu’à 2 mois). Mark Zuckerberg et Alan Ritchson suivent-ils eux aussi les conseils du médiatique pédiatre ? Difficile à dire. De fait, ce dernier affirme que les enfants jusqu’à 1 an dorment mieux s’ils sont emmaillotés. Il prône d’ailleurs les vertus de cette pratique dans un des ouvrages de sa série best-seller sur les bébés heureux. Le Californien y cite « de grands moments d’emmaillotage dans l’Histoire », soit les premiers mois de la vie d’Alexandre le Grand, de Jules César et de Jésus. Tous des emmaillotés !

Pour aller plus loin

Ralph Frenken, «Gefesselte Kinder», Wissenschaftlicher Verlag Dr. Michael P. Bachmann, 2010.

William Cadogan, «An Essay Upon Nursing, and the Management of Children, from Their Birth to Three Years of Age», Ed. J. Roberts, 1748.

Harvey Karp, «Le plus heureux des bébés», Ed. Varennes, 2003.

Article paru dans le Temps, le 21 décembre 2015, reproduit ici dans le cadre d'un partenariat avec TV5MONDE.com