L’empowerment féminin, loin d’être une mode passagère, est un véritable phénomène sociétal. Il concerne les femmes et leur capacité à s’émanciper par elles-mêmes, mais il va bien au-delà de l’égalité hommes-femmes. Il concerne les femmes, et leur relations avec d'autres femmes, ou avec les hommes, en milieu professionnel et privé.
Leadership et empowerment féminin, état des lieux
L’empowerment féminin a des conséquences sur l’environnement professionnel. L’entreprise doit s’adapter à cette prise de pouvoir au féminin. On parle alors de leadership féminin. Seulement voilà, les freins à l’ascension des femmes sont encore nombreux. Côté entrepreneuriat, si les femmes sont de plus en plus nombreuses à créer leur entreprise, elles sont encore loin derrière les hommes et largement sous-représentées dans les instances dirigeantes des grandes entreprises.

Coalition masculine ?
Hélas, les stéréotypes ont encore la vie dure. Une étude mondiale réalisée par le cabinet Hudson auprès de 65 000 personnes, a révélé les raisons pour lesquelles moins de femmes accèdent à des postes de leadership. L’explication principale avancée par cette étude est la "coalition masculine" au sein des comités d’entreprise favorisant le leadership masculin.
De façon inconsciente, volontaire ou involontaire, suivant des traditions culturelles innées et des pressions sociales, les femmes ne sont pas assez présentes là où elles peuvent être moteur et avoir un impact.
Chiara Corrazza, présidente du Women's Forum
On estime à 224 millions le nombre de femmes entrepreneures dans le monde, ce qui représente 35% des entreprises de l’économie globale. Cependant, uniquement 1% des financements privés ou publics sont attribués à des entreprises détenues par des femmes à l’échelle internationale. Au niveau mondial, ces inégalités pénalisent les performances économiques, conduisant à une perte d’au moins 15% du PIB global.
"Actuellement ce sont majoritairement les hommes qui sont aux commandes et qui disposent des leviers du changement. De façon inconsciente, volontaire ou involontaire, suivant des traditions culturelles innées et des pressions sociales, les femmes ne sont pas assez présentes là où elles peuvent être moteur et avoir un impact", estime Chiara Corrazza, présidente du Women's Forum en préambule dau rapport Les femmes au coeur de l'économie. La France pionnière du leadership au féminin dans un monde en pleine transformation publié en janvier 2020.
Dans le monde arabe, l'inclusion reste un enjeu crucial. Malgré des progrès en matière d'accès à l'éducation, les femmes peinent encore à intégrer le marché du travail, à faire évoluer leurs carrières vers des postes à responsabilité. L'accès aux financements, à l'entrepreneuriat, ou encore à des domaines clefs comme les sciences, l'innovation, l'ingénierie et les nouvelles technologies sont autant de défis à relever dans une région où codes culturels et cadres réglementaires restent parfois des obstacles.
Le 6 avril 2021 s'est tenue la 15ème édition des Journées économiques de l'Institut du monde arabe, en mode 100% numérique, et cette année, ce sont les femmes qui ont été mises à l'honneur.

Elles ont répondu aux questions de Terriennes :
Votre définition de l'empowerment ?
Nadia Fettah Aloui : Ma définition personnelle de l'empowerment, c'est être en action et non en réaction. C'est être libre et autonome. Et cela se matérialiserait par le pouvoir de diriger et de décider. Au cours des dix premières années de ma carrière, j'ai évolué dans un milieu très masculin, où l'on me faisait remarquer que je faisais un métier d'homme. J'ai alors pris des postes que d'autres ne voulaient pas.Puis j'ai rejoint un milieu professionnel plus féminin, et là j'ai pu gravir les échelons sans trop de difficulté. Mais c'est un reproche que l'on pourrait faire souvent aux femmes : on a souvent tendance à vouloir être les bonnes élèves. On nous choisit souvent parce que travailleuses, rigoureuses. J'aimerais mettre en avant d'autres qualités, il faut aussi que les femmes soient reconnues en tant que visionnaires et stratèges.

Née d'un père ingénieur et d'une mère brillante et cultivée, mais qui n'avait pas eu les moyens de poursuivre des études car elle avait dû commencer à travailler à 17 ans. Après des études à HEC en France, elle rentre au Maroc. En 2012, elle fonde le Club des Femmes Administrateurs au Maroc, membre du réseau international "Women Corporate Directors" qui aide les femmes à accéder aux conseils d'administration et à des postes décisionnaires, et fait aussi de la sensibilisation.
Mon empowerment à moi, cela a été de penser à moi en priorité, de me mettre à la première place. C'est mon histoire, mais c'est aussi celle de beaucoup de femmes à travers le monde. Vous avez le droit et le devoir de vous placer en premier, voilà votre force. Aujourd'hui, je n'ai plus honte, et depuis que j'ai parlé publiquement de mon histoire, je me sens libre et forte, voilà mon empowerment !

En 2011, elle lance un groupe de presse et crée plusieurs magazines consacrées au voyage, au bien-être et à la santé, s'adressant en particulier aux femmes. Elle est aussi à la tête d'une entreprise de cosmétique et de bijoux de luxe, dont une partie des recettes sont reversées à sa fondation. En 2013, elle fonde ALNOWAIR, une ONG qui aide les femmes victimes de la guerre à guérir par le théâtre, au Liban et en Jordanie. Sa fondation a aussi lancé un programme de maîtrise en thérapie par l'art dramatique dans les universités régionales, afin d'augmenter le nombre de thérapeutes par l'art dramatique dans le monde arabe.
L’empowerment, c’est à la maison, au sein de la communauté, dans la vie publique, dans les sphères politiques et personnelles. C’est transmettre la conviction que celles que nous voulons "empouvoirer" ont déjà, en elles, les clés pour le faire. C’est notre rôle, à nous, qui sommes en position de leur transmettre le pouvoir, de les aider à comprendre qu'elles ont des atouts en main et à les exploiter pleinement. De nous assurer qu’il existe des garde-fous, des filets de sécurité adaptés aux besoins des femmes en fonction des circonstances. C’est préparer le terrain d’un écosystème en faveur de l’empowerment en créant les conditions de l’équité.

En 2015, cette militante mène campagne pour améliorer l'éducation civique auprès des femmes, et des hommes, lors des élections municipales dans son pays, les premières auxquelles les femmes ont pu participer, comme électrices et candidates. Porte-parole des Saoudiennes, elle participe aux tribunes internationales pour faire entendre leur voix et défendre une culture inclusive.
Chiara Corazza : Le plus important pour moi, c'est le pouvoir de choisir, de prendre en main sa destinée. Cela passe bien entendu par l'indépendance économique. Mais c'est surtout la capacité de décider. D'avoir les cartes en main pour choisir la vie que l'on veut mener dans la société que l'on souhaite, d'avoir les clefs pour réussir et faire ce que l'on souhaite faire. C'est la capacité d'avoir une vision, une ambition, et pas seulement pour soi-même, même si ce n'est pas toujours facile, c'est ce qui est mon moteur.
Il faut se montrer, car si on n'est pas visible, on ne compte pas !
Chiara Corazza
Prendre sa place politique, et cela passe par la confiance en soi. Et puis, ça passe aussi par les réseaux. C'est la force des autres qui nous donne de la force ! La solidarité et la sororité contribuent à l'empowerment. Depuis que je suis toute petite et que je veux changer le monde, avec mes deux soeurs, le défi pour moi c'était de dépasser ma timidité, mon horreur de prendre la parole en public, mon horreur de devoir me montrer. Je suis quelqu'un qui aime agir dans l'ombre, cachée, mais je me suis rendue compte que ce n'était pas possible. Il faut se montrer, car si on n'est pas visible, on ne compte pas !
Elle est aussi membre du conseil d’administration de la RATP, de la compagnie d’assurance APRIL et de l’AIWF (Arab International Women’s Forum). En 2018, elle est nommée représentante de la France de la Businesss Women Forum Leader’ Taskforce, chargée de préparer des recommandations aux chefs d’Etats du G20. Christine Lagarde lui a remis le titre de Chevalier de la Légion d’honneur en 2009.
Leadership : plus facile ou plus difficile pour les femmes du monde arabe ?
Nadia Fettah Alaoui : Il y a des progrès pour encourager les femmes à l'emploi et aux postes à responsabilité, mais on est vraiment loin du compte. Je voudrais parler d'éducation : il y a encore, dans le monde entier, des millions de fillettes qui ne peuvent pas aller à l'école. Il y a encore énormément de choses à faire, en particulier pour les jeunes femmes du milieu rural, et au niveau des études supérieures. On va dire que, traditionnellement, les Marocaines sont plutôt destinées à être femmes au foyer, mais malgré tout, dans les universités et dans les grandes écoles, la proportion des jeunes femmes est en train de progresser.Plus de 60 millions de filles n’ont pas accès à l’éducation dans le monde
500 millions de femmes ne savent pas lire
Plus de 150 pays ont des lois discriminatoires à l’égard des femmes
Pour améliorer le leadership féminin, il faut qu'il y ait suffisamment de femmes ayant le niveau d'éducation et de formation pour pouvoir accéder à ces postes. Au Maroc, au niveau des ingénieurs, nous sommes quasimment à la parité, c'est encourageant. Maintenant, à travers le monde et dans le monde arabe, il y a encore de nombreux pays qui continuent à appliquer des lois discriminatoires envers les femmes. Il faut aussi travailler sur l'inclusion financière des femmes. Au Maroc, par exemple, on accepte que ce soient elles les cheffes du foyer ; en revanche, on va se cacher derrière notre culture et parfois derrière notre religion pour leur refuser bien d'autres positions de leadership qu'elles méritent.
Princesse Intisar Al Sabah : Au Koweit, et ce depuis des années, les filles ont de meilleurs résultats que les garçons à l'entrée dans l'éducation supérieure. Si bien que le gouvernement a introduit des quotas de garçons dans les écoles de médecine et d'ingénieurs. Sinon, nous aurions 80 % à 90 % d'ingénieures et de femmes médecins ! Donc on sait recourir aux quotas... pour les garçons ! Mais toujours pas pour les filles. Les hommes ont réclamé, alors que les femmes n'ont jamais exigé de quotas pour être représentées dans toutes les sphères de la société.
Les Koweitiennes excellent à l'école et à l'université, c'est à l'entrée sur le marché du travail qu'apparaît le plafond de verre.
Princesse Intisar Al Sabah
Les Koweitiennes excellent à l'école et à l'université, c'est à l'entrée sur le marché du travail qu'apparaît le plafond de verre. Et pourtant, la première femme au monde à la tête d'une agence de presse nationale (Kuna, ndlr) était une Koweitienne ; la première femme major d'université était aussi une Koweitienne... Les succès individuels sont nombreux, mais ils ne font pas bloc. Ces femmes extraordinaires inspirent, mais le plafond de verre est encore solide.
Ce plafond de verre, nous nous l'infligeons souvent nous-mêmes. Moi aussi, j'ai mis du temps à comprendre que j'étais la première en cause. Ma réflexion et mon ambition ne se heurtent pas au plafond de verre - elles se le construisent. Cela fait des millions d'années que les femmes s'entendent dire qu'elles sont inférieures aux hommes. Il faut maintenant apprendre à se mettre en avant. J'estime à 50 % la part des barrières que nous nous mettons à nous-mêmes, et à 50 % la part des autres facteurs qui entravent les femmes.
Salma Al Rashid : Avoir le droit de conduire ne suffit pas ! La période actuelle est véritablement cruciale pour les femmes en Arabie saoudite. Le pays vit des transformations sans précédent, axées sur une diversification de l'économie qui ne peut se réaliser qu'avec la pleine participation des femmes. Un tiers des objectifs pour 2030 ont un aspect social, avec les femmes au coeur de la stratégie de prospérité, portées par une forte volonté politique d'agir et de réformer.
La société saoudienne commence juste à récolter les fruits de cette évolution. La représentation des femmes va croissante et elles sont de plus en plus présentes dans les positions de leadership, dans tous les secteurs. Elles sont désormais 20 % au Conseil de la Choura, 50 % au Conseil de la commission pour les droits humains. Récemment, nous avons aussi nommé des ambassadrices et des ministres femmes.
Dans le secteur privé, la bourse est dirigée par une femme, comme l'une de nos plus grandes banques.
A l'occasion de Women20, l'an dernier, un processus participatif a permis d'identifier les priorités des Saoudiennes de tout le royaume. Résultats : 39 recommandations de mesures destinées à accélérer l'empowerment des femmes, à commencer par leur pouvoir de décision dans des domaines aussi divers que le numérique, la politique, l'entrepreunariat, l'autonomie financière... 8 de ces 39 recommandations portaient sur la prise de décision dans le secteur public et privé. La volonté politique d'éliminer les barrières discriminatoires légales envers les femmes est essentielle. Cela fait, les barrières culturelles et sociales suivront.
Chiara Corazza : Il y a énormément de femmes modèles dans le monde arabe, paradoxalement. En Algérie, par exemple, vous avez près de 50% de femmes dans les STEM, ces métiers qui donnent la clef des changements du monde en cours. En Arabie saoudite, vous avez plus de 60% de femmes ingénieures, et 65% dans les Emirats. Au Koweit, il y a des femmes patronnes de banque et dans la finance. En même temps, on retrouve les mêmes problèmes qu'ailleurs : 52% de la force de travail est représenté par le travail des femmes, qui contribuent à 34% des richesses dans le monde.
Le problème n'est pas le manque de compétence, le problème ce sont les stéréotypes, conscients ou inconscients, qui persistent dans le monde entier. Exemple : dans les pays du G7, selon notre enquête, 1 personne sur 4, homme ou femme, est convaincue que le cerveau des femmes est différent de celui des hommes... Autre chiffre très choquant : 53% des femmes et hommes pensent encore qu'aujourd'hui, on ne peut pas être une bonne mère et mener une carrière en même temps... Ce sont les mentalités qu'il faut changer ! C'est important de faire venir les filles, mais aussi de les garder dans les entreprises. Donc oui aux quotas qui font sens, en préparant le vivier.
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