Fil d'Ariane
Elles pédalent contre les stéréotypes depuis des années. Et pour cela elles subissent les insultes, les accusations d'immoralité, et les menaces de mort. Les vélocipédistes de l'équipe de femmes d'Afghanistan n'en ont cure, et continuent à avaler les kilomètres. Ce courage a conduit, en ce mois de février 2016, un groupe de 118 parlementaires italiens, emmenés par Ermete Realacci, président honoraire du Parti démocrate (gauche), à les proposer pour le prix Nobel de la paix 2016 : "parce que leur choix de vie est une bataille lente pour la liberté, dans un pays déchiré par la guerre, et un pas en avant puissant pour les droits des femmes".
On nous dit qu'une bicyclette peut détruire l'avenir d'une fille
Zahra Hussaini, entraineure
Zahra Hussaini fière d'être la cheffe de file de ce groupe d'aventurières - entraînées par Shannon Galpin, première Américaine à avoir traversé l'Afghanistan sur son vélo et que les Terriennes avaient rencontrée en juin 2015 à Nantes -, sait qu'en pédalant, elles parviennent à briser un peu les stéréotypes sur les femmes. Rien ne la dissuade à relever ce défi, ni le harcèlement de rue, ni les menaces, encore moins les invectives hurlées telles "Putains!" "Salopes!" "Vous déshonorez vos familles", "Rentrez chez vous" qu'elles entendent à longueur de route. "Certains pensent encore que les femmes sont faites uniquement pour rester à la maison, cuisiner et faire le ménage" dit-elle dans un documentaire consacré à ce groupe de jeunes femmes hors normes. "On nous dit qu'une bicyclette peut détruire l'avenir d'une fille. Les gens disent tout et n'importe quoi. Si nous les avions écoutés, nous ne serions jamais sorties de chez nous. Mais nous avons une expression chez nous qui dit : si vous restez assis, les autres resteront assis. Si vous vous redressez, les autres se redresseront aussi. "
L'équipe nationale afghane de cyclisme féminin a décidé de viser les Jeux olympiques de 2020, mais aussi un objectif encore bien plus ambitieux : amener davantage de femmes afghanes au vélo. "Nous ne faisons pas de vélo pour faire de la politique. Nous en faisons parce que nous en avons envie, parce que nous aimons ça, parce que si nos frères peuvent le faire, alors nous aussi", dit encore Marjan Siddiqi, une autre membre de l'équipe.
C'est ce même désir simple de petit bonheur quotidien et ce goût de la liberté qui poussent Sara, Nour, Assalah et Amneh sur les chemins de la bande de Gaza. Dans cette enclave palestinienne, fermée au Nord par Israël et au Sud par l'Egypte, gouvernée par le très conservateur Hamas, beaucoup de gens, disent-elles, les encouragent et les admirent. D'autres les insultent ou s'indignent que ces femmes contreviennent à la décence islamique en pratiquant du sport à l'extérieur.
"Pour plein de gens, dès qu'une femme fait quoi que ce soit dehors, c'est l'étonnement et la surprise. Pour eux, cela va à l'encontre de nos traditions, alors que rien dans notre religion ne l'interdit", rappelle, à l'Agence France presse, Amneh Souleimane, professeure d'anglais de 33 ans, jogging noir et bonnet assorti sur la tête. "Ces restrictions doivent disparaître et j'essaie de faire passer ce message. La femme joue un rôle actif dans la société et a droit à sa liberté". C'est pour cela qu'elle s'est lancée dans l'aventure en décembre 2015, avant d'être rejointe par ses trois amies. "On s'est dit: 'quand on était petites, on adorait faire du vélo, pourquoi pas recommencer?'"
Quand on était petites, on adorait faire du vélo, pourquoi ne pas recommencer ?
Amneh Souleimane
Sara Sleibi, 24 ans, elle aussi a décidé de faire fi des interdictions que certains voudraient lui imposer à Gaza où l'ultra-conservatisme religieux fleurit sur les frustrations et l'enfermement. Quand elle se lance dans un tour de cinq kilomètres avec ses copines, toutes vêtues de "leggings", gilets longs et baskets de toile, elle n'hésite pas à descendre de son vélo pour acheter une bouteille d'eau près d'un point de contrôle tenu par les forces du Hamas. Tout le monde ne les rejette pas, loin de là. Les commentaires postées sur leur page Facebook sont encourageants.
Ces balades, souligne Sara, sont surtout un moyen de faire du sport et de s'évader des tracas du travail et du quotidien. Ni elle ni ses amies ne voulaient lancer une quelconque "révolution sociale", mais après plusieurs sorties, elles ont "découvert que le regard des gens était positif" et le petit groupe serait "content" de s'agrandir. Il convient de rappeler que les Gazaouies avaient été empêchées de courir le marathon en 2013.
Jeanne d'Arc Girubuntu, pour sa part, vise l'excellence au plus au niveau... qu'elle est en passe d'atteindre. Mardi 23 février 2016, elle a terminé à la deuxième place du championnat cycliste panafricain de Benslimane (région de Casablanca) au Maroc. La championne rwandaise, âgée de 20 ans, a concédé la médaille d'or, d'une petite seconde, à la namibienne Vera Adrian. Jock Boyer, entraîneur national du Rwanda, a déclaré que Girubuntu "est une source d'inspiration et qu'elle ouvre la voie aux femmes au Rwanda" dans cette discipline. "Elle ouvre la porte aux cyclistes femmes parce qu'elle est très populaire, pas seulement par ses résultats, mais aussi par son style et son nom, Jeanne d'Arc, qui suggère un combat pour la liberté." dit encore l'ancien champion.
C'est que ce petit pays d'Afrique centrale affiche des résultats excellents en compétition cycliste… masculine. Jeanne d'Arc Girubuntu est née à Rwamagana, région montagneuse à l'Est du pays et a décidé de se lancer dans le cyclisme en 2009 après avoir assisté au "Tour du Rwanda", l'une des courses les plus populaires en Afrique.
Montrer à toutes les femmes d'Afrique, les pauvres femmes et noires, que nous pouvons aussi concourir
Jeanne d'Arc Girubuntu
Elle a rejoint l'équipe nationale en 2014 et fut la première cycliste africaine à se lancer dans une compétition hors de son continent. C'était à Richmond, aux Etats-Unis, en 2015, et elle était arrivée 44ème sur 87. "Je veux montrer à toutes les femmes d'Afrique, les pauvres femmes et noires, que nous pouvons aussi concourir, gagner succès et argent. Nous ne sommes pas obligées de nous conformer à une culture qui nous conduit à nous marier jeune, avoir des enfants et travailler dans les champs." dit cette très jeune femme qui a en charge neuf personnes dans sa propre famille. "Il est de ma responsabilité de convaincre le plus de femmes possibles que le vélo est un sport superbe. je veux que les femmes s'y engagent."
Toutes ces jeunes femmes volontaires nous rappellent les mots de Amanda Ngabirano, urbaniste ougandaise respectée et recherchée, enseignante à l'université de Makerere à Kampala, et qui date son émancipation, son affranchissement à ce jour où étudiante en thèse aux Pays Bas et âgée de 30 ans, elle enfourcha un vélo.
A retrouver sur Terriennes, notre dossier
> Le vélo fait avancer les femmes