En Afghanistan, des hommes se lèvent pour défendre les femmes face aux talibans

Un professeur qui déchire ses diplômes en direct à la télévision, des étudiants qui quittent les salles de cours en signe de protestation ... Largement relayés sur les réseaux sociaux, ces actes courageux sont encore rares. Néammoins, malgré les risques, des Afghans n'hésitent plus à dire leur colère et montrer publiquement leur solidarité à leurs camarades féminines, épouses, soeurs et filles. Ces femmes auxquelles les talibans interdisent d'étudier.
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En direct à la télévision afghane, un professeur déchire ses diplômes. "A partir d'aujourd'hui, je n'ai plus besoin de ces diplômes car ce pays n'est pas un endroit pour faire des études. Si ma sœur et ma mère ne peuvent pas étudier, alors je n'accepte pas cette éducation". Cette vidéo a été partagée plus d'un million de fois sur twitter. 
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"Je ne sais pas comment lui dire d'arrêter ses études après la sixième année. Quel crime a-t-elle commis ?". Professeur et père de famille, Ismail Mashal s'inquiète désormais pour sa fille, qui est en sixième année, la dernière classe de l'école primaire, après quoi elle ne sera plus autorisée à poursuivre les cours.

J'élève la voix. Je suis debout avec mes sœurs (étudiantes). Ma protestation continuera même si cela me coûte la vie.
Ismail Mashal, professeur à Kaboul

La semaine dernière, ce professeur a déchiré ses diplômes en direct à la télévision, sur l'une des plus importantes chaînes privées du pays, TOLOnews, en signe de protestation contre l'interdiction, par les talibans, faite aux filles d'étudier. "A partir d'aujourd'hui, je n'ai plus besoin de ces diplômes car ce pays n'est pas un endroit pour faire des études. Si ma sœur et ma mère ne peuvent pas étudier, alors je n'accepte pas cette éducation", lance l'enseignant, sur le plateau du journal."Nous régressons!", s'insurge-t-il pour accompagner son geste. Ce professeur de 35 ans explique avoir démissionné de trois universités privées de Kaboul.

"En tant qu'homme et en tant qu'enseignant, je n'étais pas en mesure de faire autre chose pour elles, et je sentais que mes certificats étaient devenus inutiles. Alors, je les ai déchirés", précise ce professeur rencontré par l'AFP dans son bureau à Kaboul. "J'élève la voix. Je suis debout avec mes sœurs (étudiantes). Ma protestation continuera même si cela me coûte la vie", poursuit-il.

Les images de sa colère sur le plateau de télévision, reprises par les réseaux sociaux, sont depuis devenues virales. Salué par certains, son comportement a aussi été critiqué par des partisans des talibans.

Face au patriarcat, peu d'hommes se lèvent

"Une société où les livres et les stylos sont arrachés aux mères et aux sœurs ne mène qu'aux crimes, à la pauvreté et à l'humiliation", dénonce Ismail Mashal.

Dans la société profondément conservatrice et patriarcale de l'Afghanistan, il est rare de voir un homme protester en faveur des femmes, mais cet enseignant, qui enseigne le journalisme depuis plus de dix ans, assure qu'il poursuivra sa campagne en faveur de leurs droits.

Après les avoir bannies des écoles secondaires, le 20 décembre, les talibans ont interdit aux femmes d'accéder à l'enseignement universitaire car, selon eux, elles ne respectaient pas un code vestimentaire islamique strict consistant en Afghanistan à se couvrir le visage et le corps entièrement. Une accusation que rejette Ismail Mashal, qui dirige également son propre institut de formation professionnelle pour hommes et femmes.

Le droit à l'éducation pour les femmes a été donné par Dieu, par le Coran, par le prophète (Mohammad) et par notre religion", alors "pourquoi devrions-nous regarder les femmes de haut ?
Ismail Mashal, professeur de journalisme

"Ils nous ont dit de mettre en place le port du hijab pour les femmes, nous l'avons fait. Ils nous ont dit de séparer les classes, nous l'avons fait aussi", souligne-t-il. "Les talibans n'ont jusqu'à présent donné aucune raison logique à l'interdiction qui touche environ 20 millions de filles".

Selon lui, l'interdiction n'a même aucun fondement dans la charia islamique : "Le droit à l'éducation pour les femmes a été donné par Dieu, par le Coran, par le prophète (Mohammad) et par notre religion", alors "pourquoi devrions-nous regarder les femmes de haut ?""Nous régressons", tient à conclure Ismail Mashal, dont la femme a perdu son emploi d'enseignante après le retour des talibans.

Une interprétation ultra-rigoriste

En dépit de leurs promesses de se montrer plus souples, les talibans sont revenus à l'interprétation ultra-rigoriste de l'islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001) et ont multiplié les mesures à l'encontre des femmes depuis leur retour au pouvoir en août 2021.

Le 24 décembre, ils ont ordonné aux ONG afghanes et internationales de ne plus travailler avec des femmes afghanes. Les femmes ont aussi été exclues de la plupart des emplois dans la fonction publique ou reçoivent une un salaire de misère pour rester à la maison. Depuis novembre, elles n'ont également plus le droit de se rendre dans les parcs, les gymnases et les bains publics. Elles sont en outre empêchées de voyager sans un proche parent masculin et elles doivent se couvrir en public. 

En signe de protestation, outre le geste médiatique du professeur Mashal, des étudiants, ainsi que des professeurs, ont décidé de se lever et de quitter leurs cours dans plusieurs universités du pays, notamment à Kaboul. 

"Apartheid de genre": la résistance s'organise

Les manifestations de femmes sont sporadiques et rassemblent rarement plus de quarantaine de participantes. Mais semaines après semaines, la résistance s'organise, femmes et hommes confondus, et au-delà des frontières afghanes. 

Exemple : des cours gratuits sont mis à disposition sur internet par des universités britanniques pour permettre aux étudiantes exclues des facs de poursuivre leur cursus. 

[Les femmes afghanes ayant accès à Internet pourront désormais accéder à plus de 1 200 cours gratuits sur la plateforme FutureLearn du meilleur de l'enseignement supérieur britannique, pendant la durée de l'interdiction par les talibans de l'enseignement supérieur féminin]

Quant aux femmes, malgré les risques encourus, elles continuent la lutte à travers des actions singulières et particulièrement courageuses. À l'image de cette Afghane, faisant du porte à porte pour coller des affiches appelant le peuple à se mobiliser, ou encore de cette autre étudiante, qui n'a pas hésité le 27 décembre dernier à manifester seule, devant l'entrée de l'université de Kaboul, et dont le geste a été largement relayé devenant lui aussi viral sur les réseaux sociaux.

[Une jeune femme se tenait devant l'université de Kaboul devant des soldats talibans pour protester contre l'interdiction de l'enseignement universitaire féminin. "Je voulais montrer le pouvoir d'une seule fille afghane, et que même une seule personne peut s'opposer à l'oppression".]

Ou encore comme ces autres jeunes femmes qui ont publié sur twitter cette vidéo, où elles témoignent de leur colère.

[470 jours depuis que les talibans ont INTERDIT les adolescentes de l'école et 13 jours depuis que les talibans ont INTERDIT les femmes de l'université. Les femmes d'Afghanistan ont tout perdu. C'est l'apartheid de genre. Clair et simple. Nous devons parler.]