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En Afghanistan, la détresse des femmes, premières cibles des talibans

Les femmes font partie des cibles prioritaires de la doctrine des talibans. Celles qui, depuis vingt ans, ont peu à peu acquis des droits, ont vu en quelques heures les nouveaux maîtres du pays réduire à néant les progrès effectués. Elles craignent de ne plus pouvoir travailler ni étudier et d'être forcées au mariage ; certaines ont peur pour leur vie.

Sa première nuit sous le régime des talibans, Aisha Khurram, 22 ans, l'a passée sans fermer l'oeil. Entre le bruit des balles et des avions évacuant des étrangers, elle n'est pas prête d'oublier cette journée qui "a brisé nos âmes et nos esprits", dit-elle.

C'est un cauchemar pour les femmes qui ont fait des études, qui envisageaient un avenir meilleur pour elles-mêmes et les générations futures.
Aisha Khurram, étudiante

"Pour toute la nation, voir ainsi tout s'effondrer en un instant, c'était la fin du monde", confie cette étudiante afghane, quelques heures après l'entrée des talibans dans Kaboul. Aisha Khurram, qui représentait la jeunesse afghane auprès des Nations unies, devait être diplômée de l'université de Kaboul dans les mois à venir. Mais le 15 août, elle et ses camarades n'ont pas pu accéder au campus ; leur avenir est désormais plus qu'incertain. "Le monde et les dirigeants afghans ont laissé tomber la jeunesse afghane de la manière la plus cruelle que l'on puisse imaginer, tempête-t-elle. C'est un cauchemar pour les femmes qui ont fait des études, qui envisageaient un avenir meilleur pour elles-mêmes et les générations futures".

La peur, comme un oiseau noir 

Aujourd'hui, alors que les magasins de burqas ne désemplissent pas, des jeunes femmes disent avoir caché leurs diplômes et pièces d'identité - on ne sait jamais... Dans certaines régions, toutefois, des filles retournent à l'école. Voilées, en tuniques noires, mais trop heureuses de reprendre la classe. Mais la peur est là, indéracinable : "la peur reste en vous comme un oiseau noir, explique Muska Dastageer, maîtresse de conférences à l'Université américaine d'Afghanistan, inaugurée cinq ans après le départ des talibans. Il déploie ses ailes et vous ne pouvez plus respirer."

L'histoire qui se répète ?

Lorsqu'ils dirigeaient ce pays, entre 1996 et 2001, les talibans avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes ne pouvaient ni travailler ni étudier. Le port de la burqa était obligatoire en public et elles ne pouvaient quitter leur domicile qu'accompagnées d'un mahram, un chaperon masculin de leur famille. Les flagellations et les exécutions, y compris les lapidations pour adultère, étaient pratiquées sur les places des villes et dans les stades.

S'il avait soulagé les Afghanes du joug de la charia, le départ des talibans du pouvoir n'avait pourtant pas forcément amélioré la vie de toutes les femmes, surtout dans les régions rurales, isolées et démunies.

Le 15 août 2021, déjà, quelques heures après leur arrivée dans la capitale afghane, les talibans et leurs sympathisants s'employaient à effacer l'image des femmes dans l'espace public. "Des hommes se sont mis à arracher les images de femmes aux devantures des salons de beauté", témoigne Sonia Ghezali, correspondante de TV5MONDE. Depuis l'ambassade de France où elle s'est réfugiée, elle témoigne de la tension et l'effroi qui se sont emparés de la population :

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Invisibiliser les femmes

Les talibans ont affirmé à plusieurs reprises qu'ils respecteraient les droits humains s'ils revenaient au pouvoir en Afghanistan, en particulier ceux des femmes, mais en accord avec les "valeurs islamiques". Les Afghanes ont le plus grand mal à croire à ces promesses, à commencer par celles qui, pendant deux décennies, sont allées à l'université, ont occupé des postes à responsabilité, notamment en politique, dans le journalisme et même au sein de la magistrature et des forces de sécurité. 

De fait, la présentatrice de télévision Shabnam Dawran s'est vu interdire l'accès à la chaîne publique RTA pour laquelle elle travaille depuis six ans : "Je suis allée à mon bureau, mais malheureusement on ne m'a pas laissée entrer, même si j'ai montré ma carte de bureau. Les employés masculins avec des cartes professionnelles ont été autorisés à entrer, mais on m'a dit que je ne pouvais pas continuer à exercer mes fonctions, car le système a changé," explique cette journaliste bien connue dans une video. Pour toute explication à ce refus, elle s'est entendu dire qu'elle devait attendre que les talibans statuent sur son sort. "Ceux qui m'écoutent, si le monde m'entend, s'il vous plaît aidez-nous car nos vies sont en danger," ajoute-t-elle dans la video.

Parmi celles et ceux qui ont partagé la vidéo figure Miraqa Popal, un rédacteur en chef à la chaîne d'information en continu afghane Tolo News. "Les talibans n'ont pas autorisé mon ancienne collègue (...) Shabnam Dawran à travailler aujourd'hui", écrit-il le 18 août dans un tweet partagé des milliers de fois.

Depuis l'arrivée des talibans à Kaboul, d'autres femmes en vue se sont exprimées sur les réseaux sociaux pour témoigner de leur peur et de leur tristesse en voyant leur pays et toute leur vie tomber à nouveau aux mains des talibans. "J'ai commencé ma journée en regardant les rues vides de Kaboul, horrifiée pour les habitants, écrit Fawzia Koofi, une militante des droits des femmes et ancienne vice-présidente du Parlement afghan. L'histoire se répète si vite... En Afghanistan, écrit-elle encore, les femmes constituent la population la plus menacée et la plus exposée du pays" :

"Cachez vos visages, cachez vos yeux"

Lors d'une conférence de presse à Kaboul, le 17 août, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, déclare que le port de la burqa, un voile intégral, ne sera pas obligatoire pour les femmes, et qu'"il existe différents types de voile". Dans le même temps, un mollah local, Assadullah Akhond Baradar, donne un tout autre ton au retour des talibans et ne laisse aucun doute sur l'intransigeance avec laquelle seront appliquées les règles dans sa région. Il met les femmes en garde : "Vous serez en sécurité, mais vous devez cacher vos visages, cacher vos yeux. Vous pouvez aller travailler, nous pardonnons à tout le monde... Mais si l'on vous voit avec les ongles des mains ou des pieds vernis, si l'on vous voit les lèvres maquillées, alors on sera en colère, on va tout couper et on va tout jeter. Faites attention."

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Libertés perdues

Le compte Twitter de Rada Akbar, une artiste de 33 ans, est rempli d'émoticônes "coeur brisé". "Mon Afghanistan bien-aimé s'est effondré sous mes yeux", écrit-elle dans un message.

Sur un autre tweet, une photo devenue virale montre un homme recouvrant de peinture la photo d'une mariée souriante affichée sur la vitrine d'un magasin. Car désormais, les images de femmes dans l'espace public sont proscrites. Alors que les talibans n'étaient encore qu'aux portes de la capitale, les Kaboulis, déjà, blanchissaient les vitrines pour cacher les publicités sur lesquelles des femmes, en tenue de mariage, affichaient un large sourire. 

mariée effacée
Image diffusée sur Twitter

Dès le lendemain de l'arrivée des rigoristes, les devantures des instituts de beauté étaient couvertes de peinture noire afin de dissimuler les visages des mannequins. Souvent, un combattant taliban patrouillait devant, fusil d'assaut en bandoulière. Ces instituts de beauté qui, en vingt ans, ont fleuri par centaines à Kaboul, et qui proposaient des séances de maquillage ou de manucure à ces femmes ayant grandi avec une burqa dissimulant tout leur corps jusqu'aux yeux. En juillet, déjà, la gérante d'un salon de beauté de Kaboul s'attendait à devoir le fermer si les talibans revenaient au pouvoir. "S'ils reviennent, nous n'aurons jamais la liberté que nous avons maintenant", redoutait la jeune femme de 27 ans, demandant à rester anonyme. "Ils ne veulent pas que les femmes travaillent", assurait-elle.

Pour Rada Akbar, ces gestes montrent qu'il faut désormais "effacer les femmes de l'espace public", puisque les talibans ne tolèrent pas de reproduction d'images des femmes. Cette peintre et photographe au physique altier et austère est connue pour ses autoportraits à la Frida Kahlo qui constituent sa déclaration d'indépendance et la revendication de son héritage, au nom des Afghanes. Cette année, elle a été contrainte d'organiser son exposition, qui rendait hommage à des personnalités féminines afghanes, en ligne, après avoir reçu des menaces. Désormais, sa peur est palpable : "Je veux devenir invisible et me cacher du monde", écrit-elle  sur Twitter.

Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres s'est dit "horrifié"  de "voir que les droits durement acquis par les filles et les femmes afghanes sont en train de leur être enlevés". Comme dans cette université privée, dont les employées ont été rayées des cadres du jour au lendemain, témoigne le journaliste Jamaluddin Mousavi :

Anticiper le pire et partir 

Sahraa Karimi, autrice de films sur la condition féminine, et l'une des réalisatrices afghanes les plus connues, a, dans un premier temps, assuré ne pas avoir l'intention de quitter l'Afghanistan. Le 16 août, elle publiait une lettre urgente appelant à l'aide pour protéger le peuple afghan, les femmes, les enfants, les cinéastes, les artistes face aux menaces des talibans - une lettre dont la traduction est publiée sur le site de nos confrères de L'Humanité. "Jusqu'au bout, je n'abandonnerai pas mon pays, déclarait-elle alors dans une vidéo publiée sur Twitter, essuyant des larmes. Peut-être, beaucoup penseront que c'est de la folie. Mais la folie, c'est ce qu'ont fait ceux qui ont abusé de notre patrie (...) La bêtise, c'est ce que le monde a montré en nous tournant le dos".

Quelques heures plus tard, elle renonçait à rester à Kaboul, craignant pour sa vie.

Le 17 août, elle annonce sur les réseaux sociaux qu'elle a réussi a quitté l'Afghanistan, avec l'aide de personnes et de pays étrangers :

Toutes ne peuvent pas en dire autant, comme cette jeune femme de 20 ans, dont le frère, Hashon Hassani, 21 ans, est réfugié en France depuis 2019, où il étudie la psychologie à l'université de Villetaneuse, en région parisienne. Il espérait que sa soeur, qui a déposé une demande de passeport à Kaboul il y a deux semaines, puisse le rejoindre bientôt : "Elle ne l'a pas reçu à temps... Là où ils passent, les talibans prennent les filles et les femmes. A partir de 12 ans, elles peuvent être mariées. Et si ma soeur était mariée de force ?"

Enlevées et mariées de force

Président de l'association Enfants d'Afghanistan et d'ailleurs, Reza Jafari confirme ces craintes sur le plateau du 64' de TV5MONDE le 17 août. Dans les zones reculées, la réalité est très éloignée des discours officiels tenus à Kaboul par des talibans en quête de légitimité, explique-t-il : "Dans les villages, les talibans enlèvent les filles âgées de 12 à 40 ans et les obligent à se marier avec eux. Les veuves et les célibataires ne peuvent plus sortir seules, elles doivent se marier. On est dans les années 1990".

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Ils vont venir chercher des gens comme moi et ils me tueront
Zarifa Ghafari, mairesse de Maidan Shar

Visée par des menaces et des tentatives d'assassinat depuis son élection, en 2018, à la mairie de Maidan Shar, une ville de 50 000 habitants près de Kaboul, Zarifa Ghafari semblait, elle, s'être résignée : "Ils vont venir chercher des gens comme moi et ils me tueront pour se venger", confiait-elle au media britannique en ligne inews.

Inquiétudes de par le monde

Dans une tribune publiée dans le quotidien américain New York Times, Malala Yousafzai, prix Nobel de la paix 2014, dresse un parallèle entre le futur des femmes afghanes et sa propre situation, elle qui avait survécu en 2012 à un attentat des talibans au Pakistan : "Comme beaucoup de femmes, j'ai peur pour mes sœurs afghanes", écrit-elle. Ciblée d'une balle dans la tête pour avoir promu l'éducation des jeunes filles, l'adolescente de 15 ans avait été évacuée entre la vie et la mort vers un hôpital de Birmingham au Royaume-Uni, où elle avait repris conscience six jours plus tard.

Aujourd'hui âgée de 24 ans, elle vit au Royaume-Uni avec sa famille, diplômée de la prestigieuse université d'Oxford : "Je n'ose pas imaginer tout perdre - revenir à une vie dictée par des hommes en armes, écrit Malala. Les filles et les jeunes femmes afghanes se retrouvent encore une fois dans la situation où je me suis moi-même trouvée - désespérées à l'idée qu'elles ne vont peut-être jamais être autorisées à revenir dans une salle de classe, ou à tenir un livre".

De son côté, Chékéba Hachemi, première Afghane diplomate auprès du gouvernement provisoire en 2001, puis nommée première secrétaire de l'ambassade d’Afghanistan auprès de la Communauté européenne en 2002, confirme sur France24 que "toutes les femmes sont susceptibles de se faire assassiner, enlever ou violer" et que "l'enlèvement des petites filles au-delà de dix ans est la plus grande panique des familles dans les villages". Elle est convaincue que les talibans n'ont pas changé. Ils sont les mêmes, en plus riches, plus puissants, plus revanchards, plus hargneux. Dès que les caméras des médias internationaux se seront détournées, dit-elle, "les femmes vont être emmurées vivantes."

Les propos de Waheedullah Hashimi, un ancien commandant taliban et partie prenante dans les prises de décision talibanes, viennent confirmer ces craintes. A l'agence de presse Reuters, il décrit une volonté de mettre en place un pouvoir similaire à celui que les talibans ont appliqué lorsqu'ils étaient au pouvoir de 1996 à 2001 : "Il n'y aura pas de système démocratique du tout parce qu'il n'y en a jamais eu dans notre pays, déclare-t-il. Nous ne débattrons pas du type de système politique que nous devrions appliquer en Afghanistan parce que c'est clair. C'est la charia, c'est tout."

Le 17 août, dans une déclaration commune, l'Union européenne et les Etats-Unis se sont dits "profondément inquiets" de la situation des femmes en Afghanistan, appelant les talibans à éviter "toute forme de discrimination et d'abus" et à préserver leurs droits. A travers le monde entier, des manifestations sont chaque jour organisées en soutien aux Afghans, à commencer par les femmes et les jeunes filles, comme les féministes turques qui, le 22 août, devant le consulat d'Afghanistan à Istanbul, se sont réunies pour exprimer leur solidarité avec les femmes afghanes. Une semaine après la prise du pouvoir par les talibans, elles craignent une régression prévisible des droits des femmes afghanes. Les féministes turques ont également appelé le président Erdogan à ne pas reconnaître le nouveau pouvoir afghan.

Alors que les évacuations se poursuivent depuis Kaboul. En France de nombreuses associations se mobilisent pour rapatrier le maximum de femmes afghanes :

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Juges, avocates, magistrates en première ligne

Le principal syndicat français de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats (USM), demande pour sa part au président Emmanuel Macron d'accorder l'asile aux juges afghanes : "Certaines se refusent à fuir mais la plupart souhaiteraient malheureusement quitter le pays, à contre-coeur parce qu’elles ont contribué à construire cette démocratie, elles espéraient une amélioration de la situation dans ce pays et malheureusement elles voient qu'aujourd'hui ce ne sera pas possible et qu'un retour en arrière va être extrêmement brutal et rapide, explique Céline Parisot, présidente de l'USM. En fait les femmes qui exercent un métier de pouvoir, pour les talibans c'est tout à fait intolérable. Elles reçoivent des menaces. Nos collègues sont déjà pour certaines décédées dans des attentats. Il n’y a pas que les femmes, il y a évidemment des hommes, mais en plus être une femme vis-à-vis des talibans c’est encore pire".