Fil d'Ariane
Assise nonchalamment sur le siège avant d'un pick-up diffusant une chanson populaire depuis le haut-parleur placé sur son toit, Salima Mazari traverse un district du nord de l'Afghanistan. L'une des rares femmes gouverneures dans ce pays très patriarcal et conservateur, elle est en mission pour recruter des gens prêts à combattre les talibans. "Ma patrie (...), je te sacrifie ma vie", déclame la chanson. Par les temps qui courent, la gouverneure ne demande pas autre chose à ses administrés face aux talibans qui ne cessent de gagner du terrain, alors que les troupes étrangères se retirent.
Socialement, les gens n'étaient pas prêts à accepter une femme dirigeante.
Salima Mazari
Dans beaucoup de régions au mode de vie traditionnel, l'arrivée des talibans, avec leurs vues intégristes, n'a pas changé la façon de vivre des Afghans. Mais à Charkint, un district montagneux et isolé, à environ 75 km au sud-est de Mazar-i-Sharif, la grande ville du Nord, l'enjeu est plus fort. Avant même que le conflit ne gagne son district, la première femme gouverneure de la région a dû mener bataille pour s'imposer. "Socialement, les gens n'étaient pas prêts à accepter une femme dirigeante", confie Salima Mazari, la tête recouverte d'un châle décoré de motifs en forme de papillons et les yeux cachés derrière de larges lunettes de soleil.
La situation en Afghanistan est explosive. Les Talibans sèment la terreur et regagnent du terrain. Face à ce retour annoncé de l’obscurantisme, une femme courageuse a décidé de résister en organisant des milices anti-Talibans. Elle s’appelle Salima Mazari. Retenez bien son nom. pic.twitter.com/OUlHBLsRBF
— Rafik Smati (@RafikSmati) August 7, 2021
A Charkint, les villageois ont de très mauvais souvenirs de la vie sous les talibans, quand ceux-ci étaient au pouvoir entre 1996 et 2001 et imposaient leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Salima Mazari sait fort bien que s'ils reviennent au pouvoir, ils ne toléreront jamais une femme gouverneure.
Sous le régime taliban, les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, et les filles d'aller à l'école. Les femmes accusées de crimes comme l'adultère étaient fouettées et lapidées à mort. "Les femmes seront interdites de toute opportunité en matière d'éducation et nos jeunes seront privés de travail", prédit-elle, tout en préparant dans son bureau avec ses chefs de milice la bataille à venir.
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La moitié du district de Charkint est déjà sous le contrôle des talibans. Alors depuis trois ans et demi qu'elle est gouverneure, Salima Mazari passe les trois quarts de son temps à recruter des combattants pour défendre les zones qui ne sont pas encore tombées aux mains des insurgés. Elle a également obtenu la construction d'une route, un exploit dans ce coin déshérité de l'un des pays les plus pauvres du monde. Les insurgés tentent constamment de la bloquer, dit-elle, et certains tronçons sont minés.
Ce sont gens ordinaires, qui n'avaient pas d'armes, mais ils ont vendu leurs vaches, leurs moutons et même leurs terres pour en acheter.
Salima Mazari
Des centaines d'habitants - agriculteurs, bergers, ouvriers... - ont rallié sa cause, souvent au risque de tout perdre. "Nos gens n'avaient pas d'armes, mais ils ont vendu leurs vaches, leurs moutons et même leurs terres pour en acheter, explique-t-elle. Ils sont sur la ligne de front jour et nuit, sans recevoir aucun salaire ni aucune reconnaissance. Ce sont des gens ordinaires, des enseignants, des commerçants. Et quand les familles viennent chercher leurs morts sur le champ de bataille, les corps sont piégés", raconte Salima Mazari.
A en croire le chef de la police du district, Sayed Nazir, la seule raison pour laquelle les talibans ne se sont pas encore emparés du district tient à cette milice populaire. "Notre réussite est due au soutien des gens", dit-il, boîtant après avoir récemment été blessé à une jambe lors de combats contre les talibans. Salima Mazari a jusqu'à présent réussi à recruter environ 600 combattants, qui viennent compléter les forces de sécurité conventionnelles du district.
Sayed Munawar, un paysan de 53 ans, est de ceux-là. "Nous étions des artisans et des travailleurs avant qu'ils n'attaquent nos villages", raconte-t-il à un avant-poste tenu par des policiers et volontaires. "Ils ont pris un village proche et volé des tapis et des biens... Nous avons été forcés d'acheter des armes et des munitions", ajoute-t-il.
Nous avons dû repousser sept assauts en une seule nuit.
Faiz Mohammad, étudiant
Faiz Mohammad, 21 ans, a interrompu ses études en Sciences politiques pour prendre les armes contre les talibans. Jusqu'à il y a encore trois mois, il n'avait jamais vu le feu. Depuis, il a livré trois batailles. "Le combat le plus violent a eu lieu il y a trois nuits, quand nous avons dû repousser sept assauts", détaille-t-il, encore vêtu en civil et écoutant une mélancolique musique hazara sur un téléphone portable chinois bon marché.
Les talibans se sont emparés ces trois derniers mois de vastes territoires ruraux lors d'une offensive lancée à la faveur du retrait des forces internationales, présentes depuis vingt ans en Afghanistan. Le 9 août, ils étaient en possession de cinq des 34 capitales provinciales, dont la grande ville de Kunduz. Le 6 août, Zarange, proche de la frontière iranienne, dans le sud-ouest, était la première à tomber. Une victoire très symbolique pour ceux qui ont également revendiqué l'assassinat du chef de la communication du gouvernement. Après Zarange, c'est la ville de Sheberghan qui était tombée aux mains des talibans.
Salima Mazari est membre de la communauté hazara, principalement chiite, de longue date persécutée par les extrémistes sunnites dans ce pays déchiré par les divisions ethniques et religieuses. Les Hazaras, comme les Ouzbeks, ont souvent été la cible d'attaques menées par les talibans et le groupe État islamique, qui les considèrent comme des hérétiques - en mai 2021, à Kaboul, plus de 80 personnes, en majorité des lycéennes, étaient tuées dans un attentat à la bombe visant une école.
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