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Le chemin est encore long pour que la femme algérienne gagne ou regagne sa place dans notre société en tant que citoyenne à part entière ", confie Wissem, militante féministe du Collectif Libre et Indépendant des Femmes de BejaÏa, ville située en Petite Kabylie, à 220 km à l'est d'Alger.
Le collectif existe depuis le 25 novembre 2017, créé à l’occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
Nous essayons de faire ça dans différentes communes de Bejaia, notamment dans les villages reculés au fin fond des montagnes, là où la femme subit encore l’oppression ordinaire sans forcement en avoir conscience.
Une membre du Collectif Libre et indépendant des Femmes de Bejaïa.
Lydia, autre militante nous en raconte la genèse : "
Le CLIFB est né d’une réflexion
toute simple, la nécessité pour les femmes algériennes de s’organiser en un noyau solide pour faire de la sensibilisation de manière plus efficace sur les questions féministes en Algérie.Nous avons organisé plusieurs conférences sur des thématiques diverses comme l’origine de l’oppression des femmes algériennes, le rôle de la femme pendant la révolution, etc.Nous essayons de faire ça dans différentes communes de Bejaïa, notamment dans les villages reculés au fin fond des montagnes, là où la femme subit encore l’oppression ordinaire sans forcement en avoir conscience. "Pour tenter de sensibiliser contre le phénomène des violences faites aux femmes qui prend des proportions alarmantes, les militantes du collectif ont décidé d’organiser en début d'année un "happening" en plein cœur de la célèbre place Gueydon de Bejaïa. Premier évènement du genre jamais organisé dans cette ville.
Wissem :
"A la base, c’est une opération lancée par des féministes chiliennes pour dénoncer les violences faites aux femmes et le patriarcat. Leur vidéo a été vue et revue des millions de fois sur la toile.
Nous avons donc décidé de faire la même chose ici à Bejaïa en l’adaptant aux réalités et au contexte algérien. Notre texte à nous est en arabe et en Tamazight (langue berbère), histoire d’être comprises par le plus grand nombre d’Algériennes possible.
Par exemple, nous parlons dans le texte de Razika Cherif, cette femme de 40 ans écrasée par la voiture d’un homme qui la harcelait dans la rue à M’Sila, une ville de l’intérieur du pays. Razika est loin d’être un cas isolé. Il est hors de question d’oublier ces féminicides ".
Nous avons subi beaucoup d’attaques sur des pages qui prétendaient que nous étions des féministes radicales, extrémistes, misandres, qui s’attaquent et en veulent à l’homme.
Lydia, membre du Collectif Libre et Indépendant des Femmes de Bejaïa
Plusieurs semaines avant le jour du rassemblement, le CLIFB a lancé plusieurs appels à mobilisation sur les réseaux sociaux et le bouche à oreille a fait le reste.
"Il y’a pas eu autant de monde que prévu… et cela peut se comprendre.", nous dit Wissem.
"Danser à l’air libre dans une place publique, c’est un peu compliqué pour les femmes algériennes par rapport à leurs familles et leurs entourages.
Le jour J, tout s’est bien passé à ma grande surprise ! Nous n’avons pas eu d’attaques, bien au contraire. Les passants ont applaudi, sont venus discuter avec nous à la fin de la chorégraphie et ont posé des questions pertinentes concernant notre démarche. "L’atmosphère est hélas tout autre sur les réseaux sociaux. Ce rassemblement a provoqué un véritable déchainement d’insultes et de réactions violentes sur le net.
" Nous avons subi beaucoup d’attaques sur des pages qui prétendaient que nous étions des féministes radicales, extrémistes, misandres, qui s’attaquent et en veulent à l’homme. " nous raconte Lydia.
" De manière générale, les féministes algériennes subissent un lynchage constant sur les réseaux sociaux, sans parler des menaces de mort, des intimidations en direct ou des représailles contre nos familles… Mais ce n’est pas ça qui va nous démoraliser ou nous empêcher de continuer la lutte, parce que oui, c’est une lutte ! ". Pour beaucoup, le mot féministe reste un mot occidental et importé. Un mot qui ne cadre pas avec la culture algérienne, censée être et rester conservatrice.
Wissem, militante féministe
Wissem renchérit :
" Pour beaucoup, le mot féministe reste un mot occidental et importé. Un mot qui ne cadre pas avec la culture algérienne, censée être et rester conservatrice. "Avec le Hirak, la révolution populaire du 22 février 2019, plusieurs collectifs féministes algériens ont vu le jour. Deux congrès nationaux ont eu lieu et une plateforme de revendications communes a été élaborée.
Les points principaux ? L’abrogation du code de la famille*, la lutte contre toute forme de violence, d’oppression et de discrimination de genre sans oublier la réappropriation des espaces publics par les femmes.
Wissem : “
Je reste profondément convaincue que sans la convergence des luttes, rien ne pourra se faire dans notre pays. Il n’y a pas qu’une seule manière de dénoncer les violences faites aux femmes, pour moi, tous les moyens sont bons pour faire passer notre message, que ce soit par le biais de la danse, de films, de poèmes, de photos, l’essentiel c’est d’oser le faire. Je ne me fais pas d’illusions, je ne pense pas que notre happening suffise pour changer les mentalités dans mon pays, mais on en fera d’autres et encore d’autres. Nous sommes toutes motivées et on y arrivera ". Un prochain évènement est prévu fin mars au même endroit, en plein coeur de Bejaïa, une ville devenu symbole de cette lutte féministe et dont le nom signifie "bougie", pour que la flamme de ces femmes se battant pour leurs droits ne s'éteigne pas.
* Code adopté en 1984, incluant des éléments de la charia et regroupant les règles qui déterminent les relations familiales en Algérie.