En Allemagne, l'avortement bientôt légal ?

S'il est en pratique dépénalisé dans les premières semaines de grossesse, l'avortement, en Allemagne, reste illégal. De consultation en abrogation, le pays assouplit peu à peu des lois d'un autre temps. 

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remise rapport allemagne

La commission d'experts indépendants chargée du rapport sur la loi relative à l'avortement – Claudia Wiesemann, à gauche, Liane Woerner, deuxième à partir de la gauche, Friederike Wapler, deuxième à partir de la droite, et Frauke Brosius-Gersdorf, à droite – remet son rapport au ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach, troisième à partir de la gauche, au ministre de la Justice, Marco Buschmann, au centre et à la ministre de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse, Lisa Paus, troisième à partir de la droite. Berlin, le 15 avril 2024. 

©AP Photo/Markus Schreiber
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Le gouvernement promet d'étudier "soigneusement" la recommandation d'une commission mandatée par ses soins en faveur d'une dépénalisation totale de l'avortement à un stade précoce...

Cela ne passe ni en Pologne, ni  aux Etats-Unis, mais dans la première économie européenne, l'Allemagne, où l'avortement reste illégal conformément au paragraphe 218 du Code pénal, adopté en 1871, il y a 153 ans. Aujourd'hui, l'interruption volontaire de grossesse y est toutefois impunie lorsqu'elle est pratiquée au cours des douze premières semaines de grossesse. Après un viol ou en cas de danger pour la vie, la santé physique ou psychique de la femme enceinte, l'IVG n'est, expressément, pas illégale.

Dans un rapport de quelque 600 pages, la commission ad hoc se prononce en faveur de la suppression dans le Code pénal de "l'illégalité fondamentale" des avortements pratiqués au début de la grossesse, soit dans les douze premières semaines. Le ministre de la Justice, Marco Buschmann, a prudemment promis que le gouvernement étudierait "soigneusement le rapport pour déterminer les étapes suivantes" lors d'une conférence de presse.

#wegmit218 

Les réactions sont nombreuses en faveur de l'abrogation du paragraphe 218, notamment sur les réseaux sociaux autour du mot-dièse #wegmit218 (en finir avec le paragraphe 2018). Le 15 avril 2024, le jour même de la remise du rapport de la commission, des dizaines de personnalités ont adressé une lettre ouverte appelant le gouvernement fédéral à décriminaliser l'interruption volontaire de grossesse : "Le rapport confirme ce que de nombreux experts, femmes et militants demandent depuis des années : l'interruption volontaire de grossesse doit enfin être décriminalisée en Allemagne."

Les signataires demandent également la suppression de la consultation et du délai d'attente de trois jours obligatoires qui, trop souvent, déterminent la méthode d'interruption de grossesse : obligées de dépasser le délai autorisé pour une IVG médicamenteuse, les femmes doivent recourir à une intervention chirurgicale, plus lourde. Ils soulignent que 80 % des femmes interrogées dans le cadre d'une vaste enquête scientifique (ELSA) déclarent avoir rencontré au moins un obstacle pour accéder à l'avortement, soit dans la prise en charge des frais, soit dans la recherche d'un cabinet ou son accessibilité, soit dans la recherche d'informations. 20 % ont trouvé difficile ou très difficile de trouver un cabinet pratiquant l'IVG.

Les résultats de l'enquête montrent également que la précarité de l'offre est directement liée à la situation juridique actuelle et 75 % des médecins interrogés affirment qu'un changement de législation contribuerait à améliorer l'accès à l'IVG.

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Prudence du gouvernement, sujet inflammable

Évoquant la Pologne ou les Etats-Unis, le gouvernement a toutefois modéré les attentes d'une réforme prochaine et mis en garde contre "des débats susceptibles d'enflammer notre société". Il est désormais nécessaire de rechercher "un consensus large au sein de la société et bien sûr du parlement", renchérit son collègue de la Santé, le social-démocrate Karl Lauterbach, alors que conservateurs – et extrême-droite – rejettent catégoriquement tout assouplissement. En Allemagne, les Eglises et les mentalités conservatrices jouent encore un rôle politico-sociétal important.

Tout en reconnaissant l'aspect "émotionnel" du sujet, la ministre de la Famille, l'écologiste Lisa Paus, s'est félicitée de disposer avec ce rapport d'une "bonne base pour mener désormais une discussion nécessaire et ouverte, basée sur des faits" dans le pays. La porte-parole adjointe du gouvernement, Christiane Hoffmann, elle, n'a pas souhaité s'engager sur un éventuel changement de la loi avant la fin de la législature, qui se terminera avec les élections de l'année prochaine. "Cela dépendra de l'évolution du débat", déclare-t-elle. 

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Lente levée de l'interdiction d'informer 

Plusieurs mesures gouvernementales ont déjà applani le terrain à la dépénalisation de l'IVG en Allemagne, à commencer par la réforme votée en février 2019, après une longue bataille entre les conservateurs démocrates-chrétiens d'Angela Merkel et leurs partenaire sociaux-démocrates. Celle-ci assouplissait l'interdiction de "publicité" pour l'interruption volontaire de grossesse en autorisant les gynécologues à dire qu'ils proposent l'IVG. Jusqu'alors, cela était illégal et passible de deux ans de prison. 

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Les médecins pouvait dorénavant aussi publier sur leurs sites internet des liens renvoyant vers les plannings familiaux ou autres institutions chargés d'informer les femmes sur le sujet. Mais ils n'avaient toujours pas le droit de publiquement diffuser d'informations sur ces interventions médicales.

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En juin 2022, la coalition du chancelier Olaf Scholz faisait un pas supplémentaire en faveur d'un assouplissement de la législation en abrogeant le paragraphe 219a du Code pénal qui, en limitant l'information sur l'avortement, avait permis la condamnation de plusieurs gynécologues. Une législation polémique en raison du débat qu'elle soulevait sur les droits des femmes, mais aussi car sa forme initiale avait été adoptée en mai 1933 par les nazis, peu après qu'Adolf Hitler se fut arrogé les pleins pouvoirs. 

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(Re)lire dans Terriennes : 

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