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Enterrées, violées, brûlées vives, asphyxiées, enfouies dans un vulgaire sac poubelle délaissé au bord d’une route, l’Argentine ne compte plus les crimes machistes contre les femmes.
Le mercredi 3 juin 2015 des milliers d’Argentins sont descendus dans les rues du pays pour dire leur colère au cri de #NiUnaMenos (Pas une de moins) contre cette tragédie. Un hashtag ou mot dièse inventé par la poétesse mexicaine Susana Chávez Castillo assassinée en 2011 pour avoir dénoncée les crimes contre les femmes au Mexique. Aujourd’hui, ce slogan est devenu un appel de ralliement sur les réseaux sociaux et dans la rue contre les féminicides en Amérique latine. Une région du monde où le simple fait d’être une femme représente un danger.
En Argentine, 1808 cas de féminicides ont été enregistrés depuis 2007 par l’ONG Casa del Encuentro à Buenos Aires. Une ONG qui est la seule à relever la violence contre les femmes en Argentine, directement dans la presse du pays. Car jusqu’aujourd’hui il n’existe aucune statistique officielle.
« Il est évident que la réalité doit être beaucoup plus élevée » commente Alejandra Lauria coordinatrice de l’ONG Casa del Encuentro. « C’est pour cela que l’une des premières mesures que nous avons exigée pendant la manifestation est la création d’un registre des femmes assassinées dans le pays. »
Bien que la loi 24 685 ait été votée en 2009 sous la présidence de Cristina Fernández de Kirchner pour protéger et encadrer les femmes victimes de violence, le bilan, six ans après, reste dramatique. Plusieurs crimes de jeunes filles, dont celui de Chiara Páez, ont profondément choqué le pays. Âgée de 14 ans Chiara a été tuée et enterrée dans le jardin de son petit-ami alors qu'elle était enceinte. Quelques jours plus tard, Katherine Gabriela Moscoso, âgée de 18 ans, était retrouvée morte et enterrée dans la petite ville balnéaire de la côte atlantique de Monte Hermoso.
La population excédée à incendier le commissariat de police et aurait d’ailleurs battu à mort le grand-père de l’ex petit-ami de Katherine accusé dans cette affaire de complicité de meurtre. Dans les semaines qui viennent, on pourra voir si les peines de prison ont été correctement appliquées. Pas seulement pour que justice soit faite mais pour pouvoir mesurer l’efficacité du système judiciaire du pays. Un système accusé d’être machiste et qui aurait tendance à mieux protéger les hommes violents que les femmes victimes.
C’est d’ailleurs le cas de la jeune Suhene Carvalhaes Muñoz, étranglée par son petit-ami et morte à l’hôpital 8 mois plus tard en mars 2015 d’une thrombose veineuse cérébrale. Son assassin n’a toujours pas été inculpé et personne ne sait où il se trouve. « La loi existe et pourtant elle n’est pas appliquée », crie Catarina la mère de Suhene avec un très léger accent brésilien. Vivant en Argentine depuis 30 ans, elle n’aurait jamais imaginé que la personne qui partageait la vie de sa fille depuis deux ans allait un jour la frapper à grands coups de pieds dans le visage tout en étant inconsciente après avoir été étranglée.
Les policiers ont demandé ce qu’elle avait fait pour énerver son petit-ami
« Il était jaloux, terriblement jaloux. Je le savais mais je ne pensais pas qu’il était capable de faire ça à ma fille le jour de l’anniversaire de leur rencontre. En revenant chez eux après avoir dîné au restaurant, ils ont croisé dans la rue des adolescentes. Damian, son petit-ami, outré par leur minijupe les a insultées en les traitant de 'salopes' ! Ma fille Suhene lui a dit d’arrêter. Ils se sont disputés. Et dans leur appartement, quand ma fille lassée par les insultes et sa jalousie maladive a décidé d’aller dormir chez moi, il lui a assené des coups et l’a étranglée ce qui a provoqué une mort lente et douloureuse 8 mois plus tard » pleure Catarina. « Quand la police, alertée par les voisins, est arrivée, ils ont demandé à ma fille et à son agresseur de les suivre au commissariat en marchant. En marchant ! dénonce Catarina. Elle a marché 800 mètres, blessée, et après avoir perdu connaissance, dans le commissariat, les policiers lui ont demandé ce qu’elle avait fait pour énerver son petit-ami et ont tenté de la décourager à porter plainte. »
C’est exactement le genre de comportement machiste auquel doivent faire face les femmes en Argentine. La plupart du temps, aux yeux des représentants de "l'ordre" il semblerait que la violence des hommes envers elles soit justifiée, voire acceptée, aussi bien par les hommes que par les Argentines elles-mêmes.
Laura Miller est une chanteuse star de la presse people en Argentine. Dotée d’une forte personnalité, elle a pourtant mis plusieurs mois à raconter son calvaire. Violence psychologique, coups de poings et coups de pieds, jusqu’au jour où en se regardant dans un miroir elle a dit assez ! Invitée dans le sempiternel programme de télévision de la célèbre Mirtha Legrand pour parler de la violence machiste, la présentatrice de 88 ans lui a demandé ce qu’elle avait bien pu faire pour qu’il l’a frappe ainsi. Assise sur une chaise dans son appartement à côté de son bouton anti-panique qui ressemble à s’y méprendre à un téléphone portable, Laura Miller confie : « j’ai été très surprise par cette question, surtout de la part d’une femme. Je lui ai répondu qu’un homme violent aura toujours une excuse pour frapper une femme. »
Au début c'était le prince charmant et ensuite il est devenu mon pire calvaire
Laura va beaucoup mieux aujourd’hui. Elle a moins peur mais elle reste prudente. Elle garde toujours sur elle son bouton anti-panique, qu’elle a déjà utilisé quatre fois face aux insultes et menaces de son ex-compagnon, devant chez elle. « À chaque fois la police arrive en moins d’une minute trente. C’est déjà ça. »
Elle a même écrit une chanson sur son expérience de femme maltraitée.
Pour Monique Thiteux Altschul de l’ONG Mujeres en Igualdad (Femmes dans l’égalité), la violence machiste découle d'un anachronisme entre réalité sociale et héritage du modèle patriarcal à l'oeuvre dans ce pays. « 71% des élèves de la UBA (Université de Buenos Aires) sont des femmes. Les femmes argentines sont de plus en plus autonomes et je pense que cela est un choc pour les garçons qui ont été élevés dans un schéma où la femme doit rester à la maison et obéir à l’homme. L’Argentine est un pays extrêmement machiste et c’est pour cela qu’au sein de notre ONG nous allons dans les collèges pour faire de la prévention contre la violence faite aux femmes. » Une mesure dont les quelque 250 000 Argentins présents le 3 juin face au Congrès de Buenos Aires ont exigé la généralisation. « Nous avançons dans la lutte contre cette violence sexiste mais nous manquons cruellement de moyens. La loi 24 685 est excellente, mais à quoi sert-elle si nous disposons d’un Conseil Général de la Femme qui doit nous protéger et qui alloue un budget ridicule de 80 centimes de pesos (0,080 €) par victime », exprime, agacée, Monique Thiteux Altschul.
Un simple tweet de la journaliste Marcela Ojeda (voir ci dessous) aura donc fait descendre des centaines de milliers de personnes, nons seulement en Argentine mais aussi en Uruguay ou au Chili pour exiger des mesures concrètes contre les féminicides. Mais le chemin est encore long. Alors que le peuple argentin manifestait dans 80 villes du pays, une femme de 20 ans enceinte de six mois était hospitalisée, victime de la violence de son conjoint à Mar Del Plata (410 km au sud de Buenos Aires).
Actrices, políticas, artistas, empresarias, referentes sociales ... mujeres, todas, bah.. no vamos a levantar la voz? NOS ESTAN MATANDO
— #NiUnaMenos LaOjeda (@Marcelitaojeda) 11 Mai 2015
De la même manière que le président Barack Obama, d'origine africaine, n’a pas réussi à résoudre les problèmes raciaux dans son pays, la femme présidente de l’Argentine Cristina Fernández de Kirchner n’est pas parvenue à diminuer les violences contre les femmes. Après le cri de son peuple, il ne lui reste plus que quelques mois avant son dernier mandat pour renverser la donne et mériter que sa politique soit comparée avec celle d’Eva Perón (1919-1952). Une figure historique et militante des droits des femmes en Argentine que Cristina Fernández de Kirchner a toujours essayé de copier.
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