En BD, l’originale histoire du sexe des femmes

Avec un humour décapant, l’auteure féministe suédoise Liv Strömquist raconte l’histoire de la représentation du sexe de la femme dans son nouvel essai en bande dessinée bien nommé : "L’Origine du monde". Passionnant !
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couverture livre strömquist
Dans son dernier ouvrage l'auteure féministe Liv Strömquist aborde l'histoire et la représentation du sexe de la femme. 
©Liv Strömquist, Editions Rackham
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"'L’Origine du monde' remplacerait avantageusement bien des manuels d'éducation sexuelle", résume parfaitement l'essayiste Mona Chollet dans un article du Monde diplomatique. L'auteure de cette bande dessinée originale, la Suédoise Liv Strömquist, y rétablit certaines vérités ; dénonce nombre d'erreurs (mensonges ?) ; s’attaque à de multiples tabous et critique des excès de sexisme qui ont ponctué l’histoire de la représentation du sexe et par conséquence, de la sexualité des femmes de l’Antiquité à nos jours.

Dès son titre, Liv Strömquist donne le ton. Avec "L'Origine du monde", l'auteure fait directement référence au tableau de Gustave Courbet représentant de manière réaliste le sexe d'une femme. Jugée subversive, pendant des années, cette toile a choqué en son temps et, plus récemment, a été censurée par le réseau social Facebook. 

tableau gustave courbet L'Orgine du  monde
Gustave Courbet (1819-1877) a peint le tableau "L'Origine du monde" en 1866. Il est exposé au musée d'Orsay à Paris. 
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


Liv Strömquist ne s'embarrasse d'aucun discours polissé. Sur un ton ouvertement féministe et avec un humour au vitriol elle passe en revue plusieurs thèmes au fil de l’histoire. L’anatomie et le fonctionnement du sexe féminin - souvent caché, mutilé - est resté longtemps mé/inconnu. Pourtant, il n’a jamais cessé de susciter l’intérêt de tout un chacun. 

Ces obsédés du sexe féminin

A commencer par ces hommes obsédés par ces organes féminins que liste l’auteure au début de son ouvrage. Tous ont participé à véhiculer des idées fausses sur l’anatomie féminine.

kellogs sexe femme
L'un de ces hommes obsédé par le sexe des femmes, un certain monsieur Kellogs. 
©Liv Strömquist, Editions Rackham

On apprend ainsi que pour John Harvey Kellogg (médecin américain et inventeur des "corn flakes", 1852-1943) : « l’onanisme serait la cause du cancer de l’utérus, de l’épilepsie, de la folie, ainsi que de diverses déficiences mentales et physiques » … Rien que ça ! Un autre scientifique entend lui aussi lutter efficacement contre la masturbation féminine : le docteur anglais Isaac Baker Brown (1811-1873). Ce dernier recommande pour cela une solution radicale : l’ablation du clitoris, que l'on appelle ailleurs excision.

Après « Les Sentiments du prince Charles », sur l’amour et le mariage, l’auteure féministe Liv Strömquist frappe à nouveau avec son nouvel ouvrage intitulé « L’Origine du monde » aux Editions Rackham.

livres strömquist
Editions Rackham, Paris, 144 pages, 20,00 €,

Il y a aussi le baron Georges Cuvier qui a disséqué les parties intimes d’une Africaine vendue comme esclave au XIXème siècle.

Surnommée « Vénus hottentote », elle sera exhibée nue en public à Londres avant de mourir.

Dans son rapport d’autopsie de 16 pages, Georges Cuvier en consacrera neuf à la vulve de cette femme, contre une seule phrase sur son cerveau ! En conclusion, il dira à propos des Noires que « la grande taille des petites lèvres est le signe d’une ‘sexualité bestiale’ ». Ou comment une théorie nourrissait le racisme scientifique.

Lui, comme d'autres, au lieu de faire avancer la connaissance de ce "deuxième sexe", participent ainsi sous des dehors scientifiques à véhiculer de fausses idées sur la sexualité et le sexe des femmes. 

La vulve, un tabou ?

Plus tard dans l'histoire, il ne se résume d'ailleurs qu'à ses organes internes, le vagin. Certains, comme le philosophe existentialiste français Jean-Paul Sartre et époux de Simone de Beauvoir, l'auteure célèbre du "Deuxième sexe", y voient un trou qui ne peut être comblé que par l'homme... 

Sa partie externe, la vulve est inexistante. Le sexe féminin est ainsi rarement représenté complet. En peinture ou dans les manuels de science, il ne se résume ainsi souvent qu'à une simple fente. Exit la vulve avec le clitoris, les grandes et petites lèvres. Une simplification du sexe de la femme qui à de quoi complexer plus d'une jeune fille.

Toute adolescente qui se baserait là-dessus en s’examinant devant un miroir en arriverait à la conclusion qu’elle est difforme.

La psychologue Harriet Lerner

Ces modèles de sexe qui manque de réalisme sont visibles dans des manuels d’éducation sexuelle datant de 1980 et même de 2002, souligne l'auteure. «  Cette description incomplète du sexe féminin prête à confusion. Et toute adolescente qui se baserait là-dessus en s’examinant devant un miroir en arriverait à la conclusion qu’elle est difforme », explique la psychologue Harriet Lerner citée par l’auteure de la BD "L'Origine du monde".  Certaines procèdent à une opération pour réduire la taille de leurs petites lèvres.

Si le sexe de la femme est si mal connu et représenté, c'est aussi parce qu'il représente un tabou. Ainsi, en 1972, la sonde américaine Pioneer est lancée dans l’espace pour diffuser des informations de la vie sur Terre « à destination d’éventuelles créatures extraterrestres ».

L’homme, lui, est dessiné paré de son anatomie complète. Mais la femme, elle, « n’a rien à montrer » note sur un ton sarcastique l’auteure Liv Strömquist. Le petit trait qui devait symboliser son sexe a disparu. Gommé, effacé. Il faut croire que la NASA avait peur de choquer des intelligences extra-terrestres. 

nasa sexe femme
Quand la Nasa a revisité le sexe de la femme. 
©Liv Strömquist, Editions Rackham

Pourtant avant d’être cachée, presque annihilée dans les représentations, la vulve a été longtemps… exhibée !

statuette exhibant sa vulve
Statuette exhibant sa vulve. 
©Liv Strömquist, Editions Rackham

Et cela remonte à l’ère du paléolithique avec la peinture de vulves sur des objets ou ses représentations dans des gravures rupestres. 


Puis dans l’Antiquité, elle réapparaît avec le culte de Déméter. La déesse était régulièrement honorée par « un rituel d’exhibition de la vulve », relate Liv Strömquist. 


Elle multiplie dans sa bande dessinée les reproductions de statuettes de femmes jambes écartées, affichant avec fierté leur anatomie qui prend alors une dimension spirituelle, sacrée. 

L’orgasme, la sexualité des femmes… toute une histoire ! 

La représentation tronquée, la méconnaissance du sexe de la femme s'accompagne de son lot d’idées reçues sur sa sexualité et notamment sur l'orgasme. Avant les Lumières, « on croyait que l’orgasme était une condition préalable pour que la femme tombe enceinte ». Sans orgasme, pas d'enfants. L'idée a fait long feu. 

Pendant longtemps, la sexualité féminine est incomprise parce que peu connue, trop assimilée à celle des hommes. « Un sexe - un corps- tout est fondé sur la ressemblance, et c’est le corps masculin qui est le mètre étalon. Dès lors, le discours sur le corps féminin présente le clitoris comme un pénis féminin », décortique l’auteure dans sa BD riche en recherches documentaires. 

Avant les Lumières, « on pensait que la femme était charnelle, libidineuse, et en proie aux pulsions biologiques tandis que l'homme était capable de se maîtriser et d'entretenir des relations d'amitié élevées et intellectuelles. » 

orgasme grossesse
En même temps que la connaissance du sexe de la femme, évolue la perception de sa sexualité. 
©Liv Strömquist, Editions Rackham





 

A la fin du XVIIIème siècle, tout s'inverse et s’installe la différence entre les deux sexes. « La sexualité féminine est dès lors conçue comme faible ou inexistante alors que la sexualité masculine est quelque chose de puissant et difficile à maîtriser. » L’idée d’une « femme sans désir a procuré aux femmes une sorte de pseudo pouvoir : désormais on considérait qu’elles avaient une morale plus élevée que les hommes ». 

La contrepartie de cette « élévation partielle dans la société » ? « Effacer totalement leur propre sexualité. » Il faudra encore attendre pour la libération sexuelle des femmes et la compréhension plus complexe d'une sexualité étouffée. 

La sexualité des femmes "a d’abord été considérée comme une version moindre de l’homme, puis envisagée comme son contraire."

Le clitoris, se perd dans les limbes de l'histoire. Ainsi entre 1900 et 1950 le mot même de « clitoris » est « rarement mentionné ». Cela s’accompagne d’une autre assertion : « la supériorité de l’orgasme vaginal ». Cette idée va « conditionner des générations de femmes à croire que leur sexualité était inexistante ou déficiente juste parce qu’elles atteignaient l’orgasme par stimulation du clitoris. » 

Ces idées vont évoluer avec le temps. Il faut attendre 1998 (!) quand une chercheuse australienne découvre la taille (7 à 10 cm) et l’anatomie du clitoris. L’idée de l’orgasme clitoridien fait son grand retour. Puis viendra le point G. 

Et autre chose à côté de laquelle, « on est passé complètement à côté pendant 200 ans » : l’éjaculation féminine. Parce que comme le souligne Liv Strömquist, la sexualité des femmes « a d’abord été considérée comme une version moindre de l’homme, puis envisagée comme son contraire. » On ne pousse donc pas autant les recherches sur le sujet. 

Le mot tabou viendrait du mot ''tupua'' des langues polynésiennes et qui désigne… la menstruation

Les règles, autre tabou ?

Enfin, Liv Strömquist n’aurait pas pu faire un ouvrage complet sans évoquer les règles. Elle remarque qu'« on a peur d’être démasquée quand on a ses règles » alors les marques de serviettes hygiéniques ou de tampons jouent sur cette crainte pour valoriser leur produit qui vous font« sentir en toute confiance », « fraîche ». 
Parce qu’au fond, les règles c’est tabou, un terme qui « viendrait du mot ‘tupua’ des langues polynésiennes et qui désigne… la menstruation » ! 

D’objet de vénération, aux pouvoirs presque magiques dans des temps anciens, le sang est longtemps considéré comme sale et toxique. Les règles véhiculent aussi une myriade de superstitions : « Dans les années 1920 en Suède, on croyait couramment qu’il ne fallait pas se faire de permanente pendant les règles parce qu’elle ne tiendrait pas. » 

C'est l'une des grandes qualités de cet ouvrage que de battre en brèche toutes ces idées reçues comme celle-là ou d'autres. Un exercice réussi avec brio.