Laura Passoni, une Belge convertie, a rejoint l’Etat islamique en Syrie en 2014, avec son fils et son mari. Imaginé comme un lieu idéal de vie pour les vrais musulmans, le califat est un enfer qu’elle a fini par fuir. Elle raconte dans un livre, "Au coeur de Daesh avec mon fils", sa vie de recluse à Raqqa.
Gaziantep, la ville turque située à 40 km de la Syrie, le 20 juin 2014. Laura demande à Oussama, son mari tunisien, si elle peut enfin porter son niqab. Trop tôt, répond-il. Il faut attendre d’avoir franchi la frontière. Laura en rêve de ce voile qui couvre tout. Elle ne l’a porté qu’une fois, lors de son mariage en Belgique. En Syrie, elle fera même mieux: elle ajoutera une couche avec le sitar (qui signifie pudeur), un tissu léger qui cache les yeux. Elle les a commandés sur Internet, avant de partir. Laura trouve ça très romantique: «
J’enviais alors les femmes qui pouvaient se couvrir, l’idée que seul leur mari pouvait les voir, ça évoque la fidélité. Un homme qui aime une femme en niqab est loyal, il veut sa femme pour lui seul et il ne regarde qu’elle.»
Ainsi pense cet été-là Laura Passoni tandis qu’elle voyage tour à tour en camionnette, à pied, en pick-up avec Nassim son fils de 4 ans et Oussama. Cette jeune Belge native de Charleroi, d’origine italienne, fait sa hijra, son passage d’un pays non musulman vers un pays musulman. Pas n’importe lequel: la Syrie de l’Etat islamique (Daech, selon l’acronyme arabe) qui a proclamé le califat et bâtit sa terre promise.
«Entre quatre murs»
Elle dit aujourd’hui qu’elle a été manipulée et se repentit. Elle vient de publier un livre qui raconte sa conversion à l’islam et ses neuf mois passés au Levant, confinée le plus souvent dans une madafa, ces maisons pour femmes où les épouses cuisinent, lessivent, éduquent à temps plein les fillettes, à temps partiel les petits garçons. Le reste du temps, les djihadistes initient ces derniers à la lecture du Coran et au maniement des armes.
Laura Passoni raconte: «
Je voulais être au côté de mon mari qui voulait se battre contre Bachar el-Assad, le soutenir, mais aussi être utile en soignant les blessés, en m’occupant des orphelins, mais j’ai vite compris que la place des femmes était entre quatre murs, hormis la brigade Al-Khansaa, une milice féminine chargée de contrôler l’application de la charia auprès des femmes.» Elle perd là-bas jusqu’à son nom puisqu’elle est appelée Oum Nassim el-Belgiki (mère de Nassim de Belgique). «
Les femmes servent à procréer et peupler l’Etat islamique», résume-t-elle.
Qu’allait faire Laura Passoni dans le califat de l’Etat islamique? Une fuite, une fugue «romantique», une quête de bonheur en terre idéalisée (droit et devoir religieux, forme d’égalité entre les êtres, pas de drogue, pas d’alcool, une vie saine et en ordre). Son histoire ne se prêtait pourtant guère à cette dérive. Laura n’est fille ni des cités, ni de la troisième génération. Pas ghettoïsée, pas ostracisée, pas réduite au qualificatif «d’origine arabe», voire de beurette. Un petit pavillon à Jumet, en Wallonie.
Mère née dans les Abruzzes, technicienne de surface, père né à Milan, ouvrier dans le silicone, tous deux catholiques. Les grands-parents ont quitté l’Italie pour trimer dans les mines de charbon près de Charleroi. Leila, la copine de Laura, a à peu près la même histoire, sauf que les grands-parents ont quitté le Maroc. Elles sont inséparables depuis l’âge de 8 ans et Laura est fascinée par l’esprit de famille chez les voisins, la religion qui les rassemble, les rituels, les prières, le ramadan, la nourriture halal.
Lecture du Coran
Laura lit le Coran pour se rapprocher de Leila et de cette famille unie qui la fascine. Sa sœur souffre de graves troubles alimentaires qui accaparent les parents, alors Laura est un peu livrée à elle-même au point de se convertir à l’islam, toute seule, sans en aviser ses proches. «
C’était après des vacances à Agadir avec Leila et ses parents, j’avais 17 ans, j’ai cherché le mode d’emploi sur Internet. C’était facile: il suffisait de réciter la Shahâda, la profession de foi, le premier pilier de l’islam», se souvient-elle. Plus de porc, jamais d’alcool, que du halal. Elle appartient un peu à la famille de Leila.
Elle annonce sa conversion à sa mère qui lui dit: «
Si ça te rend heureuse, tant mieux.» Son père associe cela à une lubie d’adolescente. Laura tombe amoureuse d’Ali puis de Mohamed, alterne les périodes de chômage et de contrats de caissière de supermarché, se rêve assistante sociale mais les études la rebutent, veut devenir femme au foyer car elle attend un enfant (Nassim). Mais Mohamed la quitte. Il a fait le vide autour d’elle. Elle se retrouve seule. Voir ses parents manger du jambon la dégoûte. Elle s’en est éloignée. Son refuge: Internet. «
Cette déception amoureuse est la cause de ma radicalisation. L’islam et ses repères allaient me sortir de mon malaise», explique-t-elle.
Laura Passoni ignore tout de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et tombe dans le piège des vidéos de propagande de Daech. Elle rencontre sur Facebook Idriss qui vient de se mettre «
dans le bon chemin». «
On ne peut plus vivre avec les mécréants. Ici, le voile n’est pas accepté. Il faut faire le djihad et aller en Terre sainte», martèle-t-il. Laura ouvre un nouveau compte Facebook au nom de Nora la convertie «
qui est sexy car elle ne montre que ses yeux et comme tout est dans le regard…» Nora attire les «frères» dont Oussama qui cherche une «bonne musulmane» à marier.
Hommes vêtus de noir
Un jour, elle se présente devant ses parents entièrement voilée. Stupeur. «
Je me marie aujourd’hui mais comme vous n’êtes pas musulmans vous ne pouvez pas venir. J’aurai un tuteur pour vous remplacer», annonce-t-elle. Une croisière en Méditerranée en guise de voyage de noces, la Grèce, la Turquie, la Croatie, laisse-t-elle croire à ses parents. Un frère musulman les conduit à Paris pour prendre le train de nuit vers Venise. Dans la voiture, elle communique par texto avec Oussama car une femme n’a pas le droit de parler en présence d’un autre homme que son mari.
A Izmir, sur la côte turque, Laura, Oussama et Nassim quittent le bateau qui fait une escale touristique. Un taxi, direction Gaziantep où la filière les prend en charge et les fait entrer en Syrie. Et très vite partout, des hommes de l’EEIL, de noir vêtus, encagoulés, armés, ceinturés d’explosifs. Laura les admire. Oussama, vite, la quitte temporairement. Il part dans un camp d’entraînement. Laura passe de maison de briques en maison de briques, de groupe de femmes en groupe de femmes. Elle côtoie dans les madafa des francophones, toutes d’origine maghrébine, qui ont suivi leur mari ou sont venues se battre pour Daech, mais dont le rôle se limite à faire la cuisine et le ménage, et procréer. Les prières, la lecture du Coran les réunit. Les sorties sont rares et dûment encadrées.
Dehors, le monde est noir, oppressant. Mais à Raqqa, capitale du califat, elle respire un peu. Plus de vie, des commerces, des couples en mobylette, des femmes dans la rue, toutes en burqa. Les panneaux publicités invitent à suivre la loi islamique et rappellent le code vestimentaire. Mais l’épouvante la saisit au hasard de ses rares déambulations. Corps suppliciés et exposés à titre d’exemple sur les places publiques. Les bombardements sont fréquents, aveugles, ciblant aussi les habitations.
Déclic de la fuite
Ce qui l’angoisse par-dessus tout est la prise en charge de l’éducation de Nassim par des frères. Ils l’emmènent à la mosquée ou en balade, lui offrent certes des confiseries mais aussi des armes en plastique et une cagoule. Il rentre à la maison avec un ours en peluche et un couteau, des jouets qui servent à apprendre à égorger. Laura rappelle au petit qu’une peluche sert à être câlinée.
Le déclic de la fuite, du retour en Belgique, a lieu lorsque Nassim est emmené alors qu’au-dehors les bombardements sont intensifs. «
Inch’Allah si aucune bombe ne tombe sur eux», lui dit-on. Elle a beau être très croyante, cette invocation la tétanise. Partir donc d’autant qu’elle est enceinte. Oussama approuve l’idée de quitter «
cet enfer». Les parents de Laura sont contactés via Skype. Son père, qui a peu de moyens et a très peu voyagé, les attendra en Turquie, de l’autre côté de la frontière. Exfiltration par une route secondaire, le laissez-passer d’Oussama permet de franchir les checkpoints. Puis à pied pour passer la frontière. En Turquie, ils sont placés en garde à vue puis extradés en Belgique.
Le 23 mars 2016, le lendemain des attentats de Bruxelles, Laura Passoni, inculpée pour participation aux activités d’un groupe terroriste, est condamnée à 3 ans de prison avec sursis. Oussama prend 4 années de prison ferme. Elle n’a pas le droit de quitter son pays, est étroitement surveillée, ne peut plus utiliser les réseaux sociaux ou envoyer d’e-mails. Car tous les doutes ne sont pas levés. L’apparente facilité avec laquelle le couple a quitté la Syrie via la Turquie a fait craindre au parquet un retour consenti dans le but de commettre un méfait en Europe.
Laura martèle qu’elle pratique désormais un islam «apaisé». Elle ne trouve pas de travail «
car j’ai un casier judiciaire et aux yeux de beaucoup je suis une terroriste». Elle parle de sa vie ruinée, de ses deux enfants dont elle n’a plus l’autorité parentale, de ses parents endettés à cause d’elle. «
J’ai écrit un livre pour que tout cela sorte mais avant tout pour mettre en garde les jeunes filles. Là-bas nous ne sommes que des ventres, des marchandises stockées, des esclaves», insiste-t-elle. Elle témoigne à visage à découvert malgré les risques encourus et marche dans les rues sans voile.
«Au cœur de Daesh avec mon fils», Laura Passoni et la journaliste Catherine Lorsignol. Editions La Boîte à Pandore. 196 pages.
(Cet article est publié conformément à l'accord de partenariat avec le site Le Temps.)