Terriennes

En Chine, la nouvelle société de consommation augmente les violences faites aux femmes en détruisant la famille

Fondée durant des millénaires sur l'ordre confucéen, la famille chinoise aura éclaté en quelques décennies sous les coups de boutoir de la société de consommation et de l'argent roi, en Chine comme ailleurs. Avec pour conséquence l'augmentation des violences conjugales et l'avènement d'une prostitution de masse.

La mort du Phénix

Au Vème siècle avant J-C, Confucius rencontra Jieyu, un ermite du duché de Chu, qui chantonnait :
        Phénix, O phénix!
        Comme la vertu chancelle!
        C’en est fait du passé,
        Mais pour le futur, il est encore temps.
        Assez! Assez!
        Ceux qui gouvernent aujourd’hui
        Sont en danger.
Attiré par ce chant mystérieux, Confucius descendit de son char pour s’entretenir avec le vagabond qui avait l’air d’un fou quand celui-ci s’enfuit dans les hautes montagnes…

On peut lire cet episode dans “Les Entretiens” de Confucius , mais qui peut retrouver le phénix, produit de l’imagination humaine ?
Confucius lui-même dit avec amertume:
        Le phénix n’est pas apparu.
        Le fleuve Jaune n’a pas livré de message.
        Pour moi, tout est donc fini!

La légende populaire dit qu’ayant vécu plusieurs siècles, le phénix, dégoûté par la confusion qui régnait parmi les humains, choisit son moment pour disparaître et que Zilu, un des disciples favoris du grand Sage, s’inclina respectueusement dans la direction de l’oiseau, qui s’éleva dans les airs en battant trois fois des ailes. Les Chinois pensent que c’est Confucius qui est parti en se métamorphosant en l’Oiseau du Feu.

L'ordre moral confucéen, protecteur mais contraignant pour les femmes

Confucius a légué ses “Entretiens” dans lesquels il a instauré une morale définissant les différents rapports sociaux dont les liens familiaux. De génération en génération, la famille chinoise a été fondée sur la pensée confucéenne qui, à travers les âges, a établi l’Ordre moral dans l’Empire du Milieu. Cet ordre établi était particulièrement contraignant pour la femme, qui, selon Confucius, doit obéissance au mari puis, une fois le mari mort, au fils. Pendant plusieurs millénaires, les Chinois se sont inspirés de la doctrine confucéenne pour axer leurs moeurs sur la piété filiale, trait essentiel du confucianisme.
 
Plus de deux mille cinq cents ans se sont écoulés. De nos jours, on constate que la famille confucéenne est en train de se disloquer et que les violences conjugales augmentent. Tout va à l’encontre des enseignements de Confucius. En son temps, le vieux Maitre ne parlait que d’humanité, rarement de profit. A ses yeux, le luxe entrainerait l’arrogance. Dans la vie, il péchait à la ligne, pas au filet. Il éprouvait de l’aversion pour le négoce et évitait la concurrence. Il dit même: “Un honnête homme s’efface devant ses concurrents.” Sous son influence, la société chinoise est demeurée pendant très longtemps une société basée sur la non-concurrence. 

Aujourd’hui, on a introduit cette notion, tous azimuts, en Chine. Force est de constater que ce mécanisme occidental sème le trouble dans la mentalité des gens et entraine une crise morale au sein de la famille.
En outre, Confucius se refusait à toute idée de jouissance et essayait de persuader les hommes de refréner leurs désirs. Or, passé de mode, ce puritanisme confucéen n’arrive plus désormais à endiguer les ravages de l’argent. Tout au contraire, l’idée de la volupté s’élabore sur le sol chinois. La tradition succombe et les contraintes de l’entourage une fois relâchées, les femmes entretenues deviennent un fait social saillant.

Le grand retour de la prostitution de masse

Et puis, ce qui appelle l’attention, c’est  que la prostitution, abolie en 1949, réapparait sur le plan national. Dans l’ile de Hainan, des lupanars plus ou moins clandestins, se trouvent être situés parfois en face d’un commissariat de police. Un nouveau dicton populaire dit : “Autrefois, le Détachement féminin rouge (unité de partisanes-guerilleros) luttait pour la prise du pouvoir, mais aujourd’hui, le Détachement féminin jaune (c-à-d, les prostituées) est au pouvoir.” Quel changement !
 
Les relations extraconjugales ne sont plus mal vues. Dans les années 70, la justice poursuivait l’adultère. Or, dix ans plus tard, on se contentait de critiquer ce qu’on est convenu d’appeler ‘l’intrusion de la tierse personne’. Et actuellement, on est devenu plus tolérant à cet égard, en parlant seulement de  “la fraude sentimentale”. Un paysan parvenu est allé jusqu’a dire en public : “Mon  épouse est pour moi le plat de consistance et la femme que j’entretiens, le dessert.

Les taux de divorce montent en flèche, 39% à Pekin en 2010, un record. Une année, à la Saint-Valentin, fête occidentale que les jeunes Chinois ont acceptée avec plaisir, à la différence de leurs voisins indiens, on assistait à une scène contrastée dans un bureau d’enregistrement de mariage de Pékin : d’un coté, les nouveaux mariés au bouquet de fleurs, et de l’autre, des jeunes couples séparés qui venaient faire enregistrer leur  divorce à l’amiable. Le chef du bureau disait: “C’est facile d’aimer, mais beaucoup plus difficile de vivre ensemble. ” Dans cette situation, la fille-mère fort méprisée autrefois, ne fait plus objet de curiosité.

Un autre phénomène nouveau : dans les milieux des “cols blancs”, un certain nombre de jeunes femmes, souvent lectrices du de Simone de Beauvoir, choisissent le célibat à vie, considéré comme un nouveau mode de vie. Ce qui aurait été tout à fait impensable sous le soleil de Mao.

La dictature de l'individualisme

A l’ère de l’informatique, les rapports humains se refroidissent. Il en est de même des rapports familiaux. La famille arrive en effet difficilement a résisté aux tentations et pressions venues de l’extérieur. Quant à l’enfant unique, c’est souvent l’Enfant-roi qui incarne le Moi rejeté par les valeurs confucéennes. Confucius enseignait en effet : “Du vivant des parents, l’enfant n’entreprend pas de longs voyages” (Ils ont le devoir de s’occuper d’eux). Mais l’enfant gâté d’aujourd’hui déclare : “Confucius? Connais pas!” Gâté dès sa petite enfance, il fréquente le MacDo, nourrit le rêve américain, jusqu’à son départ pour les Etats-Unis avec les économies laborieusement accumulées pendant des années par ses parents. Il s’épanouit, obtient « the Green card », réussit à se faire naturaliser américain, laissant parents et grands-parents dans la solitude.  Ces derniers se font appeler aujourd’hui “ les vieux de nids vides ”.

On ne s’étonne donc plus que le célèbre photographe français Marc Riboud ait déploré que la Chine risque de perdre son identité culturelle.
Dans l’Antiquité, Confucius tentait de régénérer la société chinoise de son époque, en rétablissant les rites culturels. Mais en tant que prophète, il était parfaitement conscient de son impuissance et ne cherchait point à survivre à son humanité.
Le phénix lui-même, écoeuré de leur comportement, refusa de vivre parmi les moineaux. A la vue des fleurs de cerisier, il s’exclama: “Il y aura des fleurs qui ne porteront pas de fruits.”

Le vieux Maitre dit au bord d’une rivière: “Tout passe comme cette eau qui coule, sans trêve, ni jour ni nuit!”
Au fait, tout l’univers est emporté d’un même flot, qui pourrait en renverser le courant?
“ Le Tao ne réussit pas à s’imposer.”, constata enfin Confucius qui reprit : “Je vais m’embarquer sur un radeau de haute mer et prendre le large.”
Malgré une récente revalorisation officielle de la conception confucéenne, le temps de Confucius est à jamais révolu.
 

A propos de Shen Dali

Shen Dali est écrivain, délégué chinois au colloque international sur les droits d’auteurs (WIPO 1984) et a la Tribune de la culture (CIO 1997). Président du jury “Grands reportages” au FIPA, en 1997. Il est l’auteur de nombreux romans, notamment Les Enfants de Yenan (Stock, 1985), Les Lys rouges (1986), La Rose de Jéricho (1999) aux Editions Wenlian, a Pékin et Les Amoureux du lac (Maisonneuve et Larose, 2004). Dans L’Etoile filante(1995), il racontait le destin de sa mère, compagne de combat de Mao, première femme gouverneure de province chinoise, et éliminée pendant la révolution culturelle.