Fil d'Ariane
"C'est vraiment scandaleux", dénonce Lee Yong-soo. "Je porterai l'affaire devant la Cour internationale de justice." Aujourd'hui âgée de plus de 90 ans, cette ancienne "femme de réconfort" s'est dite stupéfaite de la décision des juges, quittant le tribunal avant même la fin de l'audience.
"I will take the case to the International Court of Justice. I will definitely go," said 92-year-old Lee Yong-soo, a victim of sexual slavery who sought compensation from the Japanese government over wartime sufferings.
— DW News (@dwnews) April 22, 2021
A South Korean court rejected the lawsuit. pic.twitter.com/tmTzbjSKO0
Tout au long du procès, les plaignantes - seules quatre des 10 survivantes qui ont engagé cette procédure en 2016 sont toujours en vie - ont souligné que celui-ci était l’ultime moyen de retrouver leur dignité humaine. Lee Sang-hui, avocat de Lee Yong-soo, a affirmé que les plaignantes et leurs conseils devaient encore arrêter leur décision sur l'opportunité de faire appel.
Lee Yong-soo est l'une des centaines de milliers de Coréennes qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, ont servi d'esclaves sexuelles aux soldats japonais. Des femmes dites de "réconfort", mobilisées par l'armée nippone dès les années 1930, alors que la Corée était sous le joug de l'empire du Soleil du Levant. Selon la majorité des historiens, elles furent jusqu'à 200 000 femmes, principalement originaires de Corée, mais également d'autres pays asiatiques y compris la Chine, forcées à se prostituer dans des bordels militaires japonais.
Le 21 avril 2021, le tribunal sud-coréen a invoqué l'immunité de juridiction du Japon pour débouter les quatre survivantes qui réclamaient à Tokyo des dédommagements pour les souffrances subies dans les bordels de l'armée impériale - un esclavage sexuel systématique assimilable à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre, selon Amnesty International. "La décision d’aujourd’hui est une déception majeure et ne rend pas justice aux dernières survivantes de ce système d’esclavage militaire, ni aux victimes qui ont subi ces atrocités avant et pendant la Seconde Guerre mondiale mais sont déjà décédées, ainsi qu’à leurs familles," estime Arnold Fang, chercheur sur l'Asie de l'Est à Amnesty International.
Ces 30 dernières années, des victimes vivant en Corée du Sud, à Taiwan, aux Philippines, en Chine et aux Pays-Bas ont engagé au total 10 procédures judiciaires contre le gouvernement japonais devant des tribunaux japonais. Cependant, les survivantes ont finalement perdu dans toutes ces affaires avant de gagner dans celle de janvier en Corée du Sud.
Selon les termes de la décision de justice du 8 janvier 2021, qui accordait des indemnités aux plaignantes, les victimes de ce système ont subi "des souffrances psychologiques et physiques extrêmes et inimaginables". Le tribunal avait également statué : "même si les actes dans cette affaire étaient des actes souverains, l'immunité de l’État ne peut s’appliquer."
Amnesty International
Si cette décision a déçu des plaignantes et leurs familles, c'est aussi que le même tribunal du district central de Séoul avait, en janvier 2021, ordonné à Tokyo de dédommager d'autres plaignantes. Cette première décision a été rendue dans le cadre d’une action en justice distincte engagée par 12 autres survivantes en 2016. Sans précédent, elle a été dénoncée par le Japon. Il s'agissait du premier dossier civil présenté à la justice en Corée du Sud contre Tokyo par celles que l'on désigne par l'euphémisme "femmes de réconfort". "Ce qui était une victoire historique pour les survivantes après une trop longue attente est aujourd’hui à nouveau remis en question," déplore Arnold Fang.
Le tribunal du district central de Séoul a débouté les plaignantes en considérant que "le gouvernement japonais devait bénéficier du principe d'immunité souveraine". Si l'une des plaignantes promet de contester la décision du tribunal, un expert estime qu'elle pourrait favoriser une amélioration des relations entre deux capitales et ouvrir la voie à un dégel entre Tokyo et Séoul, deux alliés très proches de Washington, dans une région dominée par la Chine et confrontée à la menace d'une Corée du Nord dotée de l'arme nucléaire. Cette décision est par ailleurs cohérente avec les accords diplomatiques bilatéraux et doit permettre la bonne tenue d'éventuelles discussions, indiquent les documents judiciaires. "D'un point de vue diplomatique, cela peut être un appui pour placer les relations sur la voie de l'amélioration", a déclaré Lee Won-deog, de l'université Kookmin
Tokyo a toujours refusé de comparaître devant les tribunaux sud-coréens au sujet des femmes de réconfort, soutenant que ce dernier avait été vidé par le traité de 1965, qui impliquait le versement de réparations. Il stipulait en outre que toutes les réclamations entre les Etats et leurs ressortissants se trouvaient "réglées complètement et définitivement". Or les relations entre Tokyo et Séoul, plombées par les vieux contentieux hérités de la période où la péninsule était colonie japonaise (1910-1945), se sont envenimées depuis l'élection en 2017 du président sud-coréen Moon Jae-in, avocat de centre-gauche engagé dans les dossiers des droits de l'Homme.
La tragédie des femmes de réconfort dans Terriennes :
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