Fil d'Ariane
« Je pouvais me retrouver aux urgences deux à trois fois par semaine. J’étais tout le temps malade, je me sentais tout le temps faible », confie Charlotte Kassy Ahou à la journaliste des Haut-Parleurs, Laura Mel. Ivoirienne, la trentaine, Charlotte s’est éclaircie le visage et le corps pendant deux ans. L’assistante de direction a finalement trouvé la force de rompre avec ce rituel dévastateur pour préserver sa santé : « J’ai arrêté parce que c’était une question de vie ou de mort. » Geste militant, dans un pays où de plus en plus d’Ivoiriennes n’hésitent pas à recourir à cette pratique.
Il n’existe aucun chiffre officiel sur le nombre d’utilisatrices en quête d’une apparence plus claire. Mais, depuis plusieurs années, cette « tendance » gagne massivement les Ivoiriennes. Et, de plus en plus d’Ivoiriens, au masculin, s’initient, eux aussi, à la dépigmentation. En parcourant les rues d’Abidjan, l’ampleur du phénomène saute aux yeux. Depuis les célébrités jusqu'aux vendeuses sur le marché, en passant par les cadres d’entreprises comme Charlotte.
Aujourd’hui, la jeune femme arbore une couleur ébène unie, et raconte : « À l’époque, j’entendais surtout parler de mérite des femmes à la peau claire. Implicitement, je me disais qu’elles avaient beaucoup plus de succès. Et donc, naïvement, je m’y suis mise aussi. »
Interviewée par l’AFP, Marie-Grâce Amani, adepte de la dépigmentation, se justifie : « Ce sont les hommes qui poussent les femmes à devenir claires. » Une accusation reprise par la ministre ivoirienne de la Santé, Raymonde Goudou Coffie : les Ivoiriens « aiment les femmes qui brillent la nuit ! », ironise-t-elle lors d'un entretien avec l'AFP en 2015.
Attirer le regard des hommes. Se sentir désirer. Tel serait le but de cette dépigmentation aliénante en usage dans plusieurs pays africains, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire. Le « soi » disparaît peu à peu, renié, pour plaire… au péril de sa santé.
Malgré les mises en garde des médecins, les pratiques perdurent et les produits éclaircissants pullulent. Certains sous des noms évocateurs. A l’instar de la marque « glow and white » - « lueur et blanc », ou du savon aux « vertus » blanchissantes : « Mousso gbé ». En Dioula, (langue du pays), jolie fille se traduit par « Mousso gbé », mais, littéralement, il signifie aussi… fille au teint clair.
Et surtout, la pratique est accentuée par l’influence grandissante exercée par certaines industries cosmétiques par le biais des publicités omniprésentes dans la presse féminine.
En mai 2015, afin de freiner l’expansion du « Tchatcho » (argot péjoratif pour nommer la dépigmentation), le gouvernement ivoirien a adopté un décret prohibant la vente de produits éclaircissants. Mais, deux ans plus tard, l’impact reste dérisoire. « La phase consistant à retirer les produits interdits du marché », promise par la Ministre Goudou Coffie dans un entretien à l’AFP, en août 2015, n’a pas vu le jour. Les visages éclaircis s’affichent toujours sur les panneaux publicitaires.
Le diktat de la peau blanche sévit également en Asie. En mars 2016, la BBC rapporte qu’en Asie du Sud-Est, les annonces matrimoniales des femmes à peau claire connaissent un engouement plus grand comparé à celles à peaux mates. Selon un rapport de 2011, de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS), la dépigmentation volontaire relève de considérations multiples : « socio-anthropologiques, psychologiques esthétique et médicales ».
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