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Dans l'Union européenne, seules Malte et Chypre reconnaissent le féminicide comme un crime à part entière. En Croatie, le débat, actuellement, bat son plein pour modifier la loi en ce sens, ravivé par le meurtre d'une jeune femme il y a quelques mois.
Détail d'une publication sur le compte Instagram de Sanja Kastratovic.
Le 21 septembre 2023, Mihaela Berak, 20 ans, est morte. Un homme avec qui elle avait eu une brève relation, un policier, est en détention, soupçonné de l'avoir abattue avec son arme de service.
La mort de cette étudiante en droit a donné naissance à un vif débat en Croatie sur les errances d'un système chargé de protéger les victimes, et sur les textes de loi qui décident des peines encourues.
Mihaela avait alerté ses proches sur ce qu'elle pensait du policier qu'elle avait brièvement fréquenté. "Il est putain de fou", avait-elle écrit dans un message à ses amis publié dans la presse après sa mort. "Possessif", "dérangé", "manipulateur au dernier degré"... les mots qu'elle utilisait pour le décrire étaient clairs.
"Comment est-il possible qu'un homme, dont une jeune fille a conclu après l'avoir connu seulement quelques jours, qu'il était manipulateur et obsessionnel, passe un test physiologique et obtienne un permis de port d'armes ?", s'interroge Sanja Kastratovic, du groupe de défense des droits des femmes Adela d'Osijek, la ville natale de Mihaela.
Journée internationale des droits des femmes à Zagreb, en Croatie, le 8 mars 2023.
Le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, manifestantes et manifestants ont demandé à travers la Croatie justice pour Mihaela. Et revendiqué l'inscription du féminicide dans la loi, la transformation de toutes les formes de violences faites aux femmes en crimes plutôt qu'en délits, et l'interdiction du port d'armes pour les policiers en dehors de leurs fonctions.
Le Premier ministre conservateur, Andrej Plenkovic, avait annoncé début septembre une batterie de mesures pour combattre les violences faites aux femmes et aux enfants. Parmi elles, plusieurs amendements au code pénal, dont un visant à faire du féminicide un crime à part, condamnable de 10 à 40 ans de prison. Dans l'Union européenne, seules Chypre et Malte ont fait de même.
L'an dernier, 2 300 femmes ont été tuées en Europe par leur conjoint ou des membres de leur famille, selon des données de l'UE. En Croatie, qui compte 3,8 millions d'habitants, 13 femmes ont été tuées – 12 d'entre elles par un proche. Pour les militants, ces chiffres justifient l'urgence de modifier la loi.
"Le code pénal devrait préciser que le féminicide est une circonstance aggravante qui appelle des sanctions particulièrement sévères, des peines de prison longues", explique Dorotea Susak, à la tête du Centre d'études féminines.
Certains juges de la Cour suprême estiment qu'inscrire le féminicide dans la loi serait discriminant – pour les hommes. "En distinguant le meurtre d'une femme, il semblerait que la vie d'une femme vaut plus que celle d'un homme", estimait des juges de la Cour suprême en octobre dans un texte publié sur son site internet.
Mais selon le président du tribunal, Radovan Dobronic, cet avis ne tient pas compte de la Convention d'Istanbul sur la protection des Femmes, que la Croatie a ratifiée en 2018. Cet accord international visant à protéger les femmes des violences domestiques, des viols conjugaux, des mutilations génitales... est le premier instrument contraignant au monde destiné à prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes.
Changer la loi est la partie la plus facile... Nous sommes toujours une société patriarcale et conservatrice. Suncana Roksandic
Selon la convention, "les mesures spéciales nécessaires pour prévenir et protéger les femmes contre la violence sexiste ne seront pas considérées comme une discrimination", souligne Radovan obronic.
Pour les organisations de défense des droits humains, l'argument des juges ne tient pas, puisque l'égalité constitutionnelle entre hommes et femmes est, chaque jour, bafouée. Et que plus de 90% des crimes contre les femmes sont le fait d'hommes, ajoute Dorotea Susak.
Pour les juristes, si les statistiques prouvent le besoin de changer la loi, rien ne remplacera la prévention : "Le code pénal est l'outil ultime – mais ne résout pas le problème, dit Suncana Roksandic, professeure à la faculté de droit de l'université de Zagreb. Changer la loi est la partie la plus facile... Nous sommes toujours une société patriarcale et conservatrice", reconnaît-elle.
Rien ne consolera la famille Berak - raconte d'une voix brisée la mère de la victime, Jadranka Berak. Peu importe combien de temps il passe en prison, celui qui a tué leur fille "nous a condamné à un océan de tristesse, a arraché la moitié de notre âme. Nous a détruit".