"Nous nous sommes intéressées aux façons dont la loi construit les concepts de vérité et d’autorité et aux mécanismes utilisés par les juges pour déterminer la pertinence d’un témoignage et établir des précédents, qui ne sont ni neutres, ni objectifs", explique Vanessa Munro.
Le féminisme a toujours été un moteur puissant pour les trois universitaires. Toutes ont travaillé sur les liens entre féminisme, genre, lois et systèmes judiciaires. Vanessa Munro a contribué à d’autres projets, en Angleterre et au Pays de Galles (qui a publié une compilation de jugements en 2010). Depuis dix ans, toutes suivent différents projets à travers le monde anglophone.

Pour toutes les trois, s’impliquer et rédiger ces jugements, c’est assumer une position "interne" de juge, au lieu de se contenter de critiquer la loi de l’extérieur, d’un point de vue universitaire. En décembre 2019, elles cosignent un ouvrage compilant les affaires "réécrites" selon une perspective féministe.
Available now! 'Scottish Feminist Judgments: (Re)Creating Law from the Outside In' edited by Sharon Cowan, Chloë Kennedy and Vanessa E Munro #feministjudgments #ScotsLaw pic.twitter.com/0CGNgmEYo1
— Hart Publishing (@hartpublishing) December 21, 2019
Le féminisme, une "maison à plusieurs pièces"
"Nos juges choisissent leurs affaires dans tous les domaines légaux. Chacun.e réécrit le jugement, qui est ensuite commenté par un.e experte (université, juriste ou activiste). Puis le juge rédige un compte rendu comportant ses réflexions sur son expérience de juge féministe", précise Chloë Kennedy. Seules les ressources disponibles à l’époque du jugement originel sont disponibles. "Ce qui signifie qu’elles/ils pouvaient ne pas changer l’issue du procès si la loi ne le permettait pas. Mais un.e juge féministe peut avoir des impacts de différentes façons : en changeant les motifs légaux invoqués pour justifier une décision, ouvrant la possibilité de soutenir une issue féministe dans d'autres affaires." À défaut d’un nouveau jugement, l’expérience apporte aussi de nouvelles voies et des circonstances qui pouvaient manquer à l'affaire.

Dans la multitude de cas rejoués, les issues aussi sont très diverses. Dans certains, le/la juge féministe confirme les conclusions, mais souhaite tout de même ajouter au jugement des paramètres menant à une approche plus féministe.
Exemple : l’affaire Doogan. Des sages-femmes employées par un hôpital de Glasgow défendent leur droit à la clause de conscience pour refuser toute forme de participation à un avortement y compris la surveillance hiérarchique d’autres personnes qui le pratiqueraient.

La loi peut-elle être féministe ?
Montrer que les lois peuvent être réécrites dans une perspective féministe, telle est l’ambition du Scottish Feminist Judgments Project. Les arguments mis en avant dans chaque affaire rejouée démontrent comment les motifs, les conclusions, les récits qui façonnent les décisions peuvent être différents selon la lecture qu’on en fait. Mais les jugements ne sont qu’une petite partie de ce qui constitue les lois d’un pays. Pour aller plus loin, disent les trois juristes, il faudrait prendre en compte toutes les sources légales. "Dans notre projet, disent-elles, nous avons déjà montré comment des textes écrits par des hommes toutes ces dernières années peuvent parfois être interprétés différemment et contribuer à un développement judiciaire progressif."
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