Fil d'Ariane
"On les empêchait de dormir pendant des jours (...) et elles avouaient qu'elles étaient des sorcières, dansaient avec le diable ou avaient des relations sexuelles avec lui", raconte Claire Mitchell, fondatrice de "Witches of Scotland" (Les sorcières d'Ecosse).
Cette avocate de 50 ans a fondé cette association il y a deux ans, le 8 mars 2020, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, après avoir découvert l'ampleur du l'impact du Witchcraft Act. Cette loi de 1563 prévoyait la peine capitale pour les coupables de sorcellerie et fut en vigueur jusqu'en 1736.
Son association réclame trois choses: la grâce de toutes les personnes condamnées pour sorcellerie, des excuses officielles des autorités, et un monument national pour se souvenir de ces drames méconnus.
"Cela n'aurait jamais dû se produire", lance Claire Mitchell qui se bat pour que les personnes exécutées pour sorcellerie, en très grande majorité des femmes, soient graciées et qu'un mémorial rende hommage à ces grandes oubliées de l'Histoire.
"Entre le 16e et le 18e siècle en Ecosse, environ 4.000 personnes ont été accusées de sorcellerie. 84% étaient des femmes", explique l'avocate à l'AFP. Au total, plus de 2.500 personnes ont été exécutées pour sorcellerie, la plupart du temps étranglées puis brûlées, après des aveux extorqués sous la torture.
Vieille femme effrayante ou beauté dangereuse, la "sorcière" a emprunté de nombreux visages au fil du temps. À partir du XVIe siècle en Écosse, des milliers de personnes ont été accusées de sorcellerie. Deux femmes entendent réhabiliter ces victimes, oubliées de l’Histoire. pic.twitter.com/yUqqWyiq6P
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) February 13, 2022
Dans le cimetière de Dundee (nord-est de l'Ecosse), un cimetière du 16e siècle balayé par un vent glacial connu sous le nom "The Howff", se trouve une petite colonne en pierre surnommée "la pierre des sorcières". Des passants y laissent des pétales de fleurs et des pièces de monnaie, en hommage aux personnes exécutées pour sorcellerie dont Grissel Jaffray, étranglée et brûlée en 1669.
Dans une rue du centre ville, une mosaïque représentant un cône d'où s'échappent des flammes commémore cette femme connue comme "la dernière sorcière de Dundee".
Zoe Venditozzi, 46 ans, membre de la même association, raconte que jusqu'à récemment, elle ne connaissait "rien" de ces chasses aux sorcières, "bien que je sois née à Fife, où il y a eu beaucoup d'exécutions". Elle a découvert que "n'importe qui pouvait être accusé", des gens "généralement ordinaires, souvent pauvres, vulnérables, qui ne pouvaient pas se défendre" ou qui étaient "perçus comme bizarres ou gênants".
À cette époque, "les gens croyaient vraiment très fort au diable", rappelle-t-elle, et "les femmes avaient tendance à être accusées parce qu'elles étaient perçues comme des personnes pouvant être facilement manipulées par le diable".
Elle aussi sensible à cette cause, une députée du SNP (parti indépendantiste au pouvoir en Ecosse), Natalie Don, compte bientôt déposer une proposition de loi au parlement écossais pour obtenir la grâce de toutes les personnes condamnées pour sorcellerie.
"Dans plusieurs pays, des personnes sont encore accusées et condamnées pour avoir pratiqué la sorcellerie. L'Écosse devrait montrer la voie en reconnaissant les horreurs de notre passé et en veillant à ce que ces personnes ne restent pas dans l'histoire comme des criminelles. Cela enverra également un message fort à l'échelle internationale pour montrer que ces pratiques ne sont pas acceptables", fait valoir la députée.
L'Ecosse a été particulièrement touchée par ces chasses aux sorcières.
Julian Goodare, professeur d'histoire émérite à l'université d'Edimbourg, a supervisé la création d'une base de données pour les recenser. Comparant les 2.500 personnes exécutées pour ce motif en Ecosse au 2 millions d'habitants à l'époque, il souligne que c'est un ratio "cinq fois supérieur à la moyenne en Europe".
Cet historien souligne qu'il s'agissait d'exécutions à la suite de procès lors desquels des "preuves" étaient apportées: des aveux ou encore des déclarations de voisins affirmant que la suspecte les avait "ensorcelés", explique-t-il sur l'esplanade du château d'Edimbourg, où ces exécutions étaient organisées au vu de tous.
La chasse aux "sorcières" était le fait de l'Etat, d'une élite persuadée que "le diable tentait de faire tout le mal possible et que les sorcières étaient ses alliées". Lui aussi est favorable à l'installation d'un monument retraçant cette histoire: "Nous ne pouvons pas changer le passé mais nous pouvons apprendre de ce passé".