En Egypte, mères et fils devant l’objectif

Le photographe Denis Dailleux prouve, une fois encore, son amour de l’Egypte. Dans son dernier ouvrage, il rend hommage aux mères qui posent avec leurs fils dans une série photographique. Entre pudeur et gravité, il met en lumière cette relation affective familiale forte au cœur d’une société qui reste très patriarcale.  

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En Egypte, mères et fils devant l’objectif
©Denis Dailleux / “Mères et fils“ / Agence VU' / Le Bec en l'air
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Fières, solennelles, détournant parfois le regard par pudeur. Plus d’une vingtaine de mères égyptiennes posent avec leurs fils, chez elles, dans le salon ou une chambre. Tout en sobriété. En fonction de la pose choisie par les sujets ou le photographe, on décèle le degré d’intimité qui lie la mère à son éternel enfant. Certains se tiennent par la main, d’autres se touchent à peine, voire pas du tout, assis côte à côte sur un lit ou un canapé, en une inversion remarquable de la tradition picturale occidentale, passée ou présente, qui expose des corps dénudés de femmes auprès d'hommes habillés.  

Dans de nombreux clichés, la mère est placée « par respect », précise le photographe français, devant son grand garçon, alors en position protectrice, tous muscles dehors. L’imposante musculature des fils qui posent torses-nus près de leurs mères voilées ou qui arborent un niqab, n’est pas un hasard. 

Tous sont culturistes et ont été choisis par Denis Dailleux, séduit par « la beauté de leurs corps ». « Je choisissais des garçons et après je découvrais les mères. » Impossible autrement d’atteindre ces femmes qui vivent souvent dans l’ombre des hommes. « Je n’aurais pas pu dire à leur fils "je vais photographier ta mère". Ils m’auraient ri au nez car en Egypte, ce n’est pas respectueux de photographier la maman dans certains milieux. Ce n’est pas pour la cacher mais par respect. Selon moi, c’est plus de l’archaïsme qu’un fait religieux. »  

Dans la haute société, la donne est différente et prendre les femmes en photos ne pose pas problème sauf qu’« on ne rentre pas chez les bourgeois parce qu’ils protègent leur intérieur. Les gens les plus généreux sont les gens du peuple. » 

En Egypte, mères et fils devant l’objectif
©Denis Dailleux / “Mères et fils“ / Agence VU' / Le Bec en l'air
Histoire personnelle

Denis Dailleux commence son projet six ans auparavant, puis l’abandonne. Trop personnel. « J’ai un respect pour la mère, et tout d’abord pour la mienne, qui est très clair. Tout part d’elle. Mon rapport avec ma mère est trop fort. » Et d’ajouter. « C’est pour ça que j’ai mis autant de temps à assumer [ce projet], je savais que c’était là où je me mettrais le plus à nu.»

Comme ces fils dénudés posant à côté de leurs mères et qui sont, pour une fois, mises en lumière, mises en avant, à la fois physiquement dans leur pose sur la photo et également socialement par le biais de ce livre. Elles sortent de l’ombre, même si, souligne Denis Dailleux, « la mère règne souvent chez elle. » C’est elle qui s’occupe de la maison et des enfants. A chaque fois, sans comprendre toujours les volontés du photographe, elles l’accueillent chez elles avec bienveillance et souvent un plaisir non dissimulé qui se traduit par la remise d’un cadeau.

En Egypte, mères et fils devant l’objectif
©Denis Dailleux / “Mères et fils“ / Agence VU' / Le Bec en l'air
C’est le cas pour la prise de cette photo (ci dessus) montrant un fils déposant un baiser sur le front de sa mère. Une pose choisie par les sujets. « Au départ, j’ai rencontré son frère dans une compétition de body building, raconte Denis Dailleux. Quand je l’ai mis en scène, il ne se passait rien. Parfois, il n’y a pas d’émotion qui passe. Tout d’un coup son frère a surgi. Islam était rayonnant. J’ai tout de suite vu que c’était avec lui qu’il fallait que je fasse la photo. Islam a pris la place de son frère dans cette maison extrêmement modeste. Nous sommes restés tous les trois. Puis je lui ai demandé s’il avait une idée. Il a alors pris la tête de sa mère et a posé un baiser sur le front de sa mère. Elle était comblée. »

En Egypte, mères et fils devant l’objectif
©Denis Dailleux / “Mères et fils“ / Agence VU' / Le Bec en l'air
Dans cet autre cliché (ci dessus) pris dans une ambiance familiale, le photographe nous dit avoir été « suffoqué par la gentillesse de la maman ». Sur  l’image, « elle est tellement masculine et lui, en même temps, on pourrait dire un peu féminin. C’est ce qui est très troublant et va un peu vers le comique. » 

En Egypte, mères et fils devant l’objectif
©Denis Dailleux / “Mères et fils“ / Agence VU' / Le Bec en l'air
La photo la plus bouleversante pour lui, c’est quand « le plus vieux, qui a 50 ans s’allonge sur les genoux de sa mère (ci dessus). C’est un macho fini, il a une tête qui fait peur mais tout d’un coup, face à sa mère, il est devenu un amour. Il a caressé, embrassé sa mère. Sa démonstration d’affection était tellement incroyable. Auprès de sa mère il redevenait le fils qu’il avait été enfant, avec le même amour et la même sacralisation de la mère. » 
Fort de cette expérience et de cette parution, le photographe travaille aujourd'hui une déclinaison de son projet au Ghana et au Brésil. 


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“Mères et fils' de Denis Dailleux

“Mères et fils' de Denis Dailleux
Le Bec en l'air éditions, octobre 2014, 64 pages, 25€