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De ce jour là, le 26 avril 2018, celui où un tribunal espagnol a abandonné les accusations de viol contre cinq jeunes hommes pourtant fiers publiquement de leur crime, il restera des images de manifestations spontanées à travers toute l'Espagne, et un nouveau mot clé, complétant le #MeToo américain et le #BalanceTonPorc français : #Cuéntalo #RaconteLe. Depuis, des milliers d'Espagnoles racontent sur les réseaux les agressions sexuelles dont elles, ou d'autres ont été victimes.
Todas tenemos una historia horrible que contar. Contémoslas sin miedo porque así abrimos los ojos de otros y nos apoyamos entre nosotras. Aquí está una de las mías. #Cuéntalo #Cuentalo pic.twitter.com/xJp7a99xer
— Lady Love (@MaariaOrtiz) 29 avril 2018
"Nous avons tous une histoire horrible à raconter. Disons-leur sans crainte parce que de cette façon, nous ouvrons les yeux des autres et nous nous soutenons les uns les autres. En voici une des miennes. #Cuéntalo #RaconteLe" lance l'une.
Tandis qu'une autre se fait la porte-voix d'une femme qui ne peut plus raconter, parce que tuée : "J'ai 19 ans et en sortant de faire la fête, je décide de rentrer en "Cabify" (transport espagnol par application internet, ndlr) parce que 'c'est plus sûr'. Ils m'enlèvent, m'emmènent dans un motel, me violent et m'étranglent. Puis ils m'abandonnent morte dans un ravin enveloppée dans un drap. Je le dis parce que Mara Castilla, qui a été assassinée ce jour-là, elle, ne peut pas. #Cuéntalo #RaconteLe"
Tengo 19 años y salgo de fiesta, decido regresar en Cabify por que "es más seguro". Me secuestran, me llevan a un motel, me violan y estrangulan, me encuentran muerta en un barranco envuelta en una sábana. Lo cuento yo porque Mara Castilla no puede. #Cuentalo
— Monroy ✨ (@FernandaMonroyT) 29 avril 2018
Les cinq Sévillans, âgés de 27 à 29 ans, finalement condamnés pour "simples" abus sexuels s'étaient eux-mêmes vantés de leurs actes du 7 juillet 2016, pendant les fêtes très populaires de la San Fermin en Navarre (nord). Sur un groupe de messagerie WhatsApp intitulé "la manada" ("la meute"), ils s'étaient notamment envoyé une vidéo des faits accompagnée du message: "en train d'en baiser une à cinq".
Le jugement du tribunal de Navarre (nord) était particulièrement attendu en Espagne, sept semaines après une "grève générale féministe" sans précédent et les énormes manifestations du 8 mars pour les droits des femmes.
Les juges ont certes condamné chacun des cinq prévenus à neuf ans de prison pour "abus sexuel" sur une Madrilène de 18 ans, aggravé du chef d'"abus de faiblesse". Ils devront en outre verser 50.000 euros à la victime, qu'ils n'ont plus le droit d'approcher ni de contacter pendant 15 ans.
Mais les magistrats n'ont pas retenu l'accusation de viol, pour lequel le Code pénal espagnol stipule qu'il doit y avoir eu "intimidation" ou "violence".
La sentence est très inférieure aux réquisitions du parquet, qui avait requis 22 ans et 10 mois à l'encontre de chacun des prévenus.
La décision judiciaire a aussitôt été contestée, et les avocats de la victime et de quatre accusés ont annoncé leur intention de faire appel.
Aux portes du tribunal, des manifestants criaient "ce n'est pas un abus sexuel, c'est un viol". Et de nombreux usagers de Twitter relançaient le slogan "moi je te crois, ma soeur" à l'attention de la victime.
Movilizaciones en todo el país. Estamos en la calle porque no es no, porque te creemos. #YoSiTeCreo #NoesNo pic.twitter.com/hnwAIWvbsH
— PSOE (@PSOE) 26 avril 2018
Le chef de l'opposition, le socialiste Pedro Sanchez, s'est interrogé sur Twitter: "Si ce qu'a fait 'la meute' n'est pas de la violence en groupe contre une femme sans défense, qu'entend-on alors par viol ?"
Ella dijo NO. Te creímos y te seguimos creyendo. Si lo que hizo #LaManada no fue violencia en grupo contra una mujer indefensa, ¿qué entendemos entonces por violación? #NoesNo #YoSíTeCreo
— Pedro Sánchez (@sanchezcastejon) 26 avril 2018
Une manifestation de protestation ont envahi les rues de Madrid et de Barcelone, où la maire de gauche, Ada Colau, s'est adressée à la victime par un tweet: "cela m'indigne qu'après un viol collectif, tu doives supporter la violence d'une justice patriarcale".
Hermana #yosítecreo, y me indigna que tras la violencia de una violación múltiple debas sufrir la violencia de una #JusticiaPatriarcal
— Ada Colau (@AdaColau) 26 avril 2018
No estás sola, hoy seremos miles tomando las calles y uniendo nuestra voz a la tuya. pic.twitter.com/rj7yqKDcfW
Et sur un mur de la capitale espagnole on pouvait lire cet avertissement, en marge des protestations :"Si le système judiciaire échoue, vous allez goûter à la justice des femmes".
L'affaire avait abouti en novembre 2017 à ce que la presse avait appelé le "procès de l'année" à Pampelune.
A huis clos, la jeune femme avait raconté avoir bu de la sangria, dansé et fait la fête avec des amis, avant de se retrouver seule sur un banc, où un des jeunes était venu lui parler de "football" ou de "tatouage".
Puis elle avait suivi le groupe, embrassé un garçon, sans "penser qu'allait se produire ce qui s'est produit", selon sa déclaration publiée par la presse.
"Quand je me suis vue cernée... Je ne savais plus comment réagir... J'ai réagi en me soumettant", avait-elle résumé, en décrivant des fellations à la chaîne et des rapports imposés sans préservatif.
Arrêtés dès le lendemain des faits, les prévenus sont restés depuis en détention provisoire.
L'un d'eux est membre de la Garde civile - suspendu de ses fonctions -, un autre a appartenu à l'armée et plusieurs étaient des supporters "ultras" du club de football de Séville.
Leurs avocats n'avaient admis que le vol du téléphone de la victime, abandonnée à demi-nue dans une entrée d'immeuble.
Ils ont toujours soutenu que la jeune femme était consentante: à l'image, "on ne voit pas d'agression sexuelle, on voit des relations sexuelles, point", plaidait l'avocat de trois d'entre eux, Agustin Martinez Becerra.
La procureure Elesa Sarasate avait rejeté ces arguments en disant que "l'intimidation, gravissime, avait empêché la résistance ou la fuite". Elle faisait valoir que la jeune fille, qui ne s'était jamais adonnée au sexe en groupe, avait rencontré ses agresseurs sept minutes avant le "viol".
La romancière espagnole Lucia Etxebarria a rappelé qu'il y a 10 ans, au moment de la San Fermin 2008, une étudiante de 20 ans avait été tuée à Pampelune parce qu'elle résistait à son violeur. Et aujourd'hui "il s'avère que si tu ne résistes pas, ce n'est pas un viol", a-t-elle souligné sur Twitter.
Al magistrado que entendió que en ese vídeo no había violación:
— Lucia Etxebarria (@LaEtxebarria) 26 avril 2018
Sí una mujer se queda completamente quieta mientras folla y cierra los ojos, eso no es sexo. O es violación o es necrofilia.
Le ministre de la Justice Rafael Catala a admis qu'il était temps de "réfléchir à une réforme" de la législation espagnole sur les agressions sexuelles, qui date de 1995.
Ce n'est pas la première fois que les Espagnoles se mobilisent contre les violences machistes, ce qu'on appelle aussi féminicide, fléau épidémique dans ce pays marqué par d'autres violences contemporaines... En novembre 2015, elles demandaient déjà, par des actions de rue specatculaires l’application plus stricte de la loi sanctionnant les violences faites aux femmes.