En Ethiopie, quand les femmes Afars se dressent contre les mutilations sexuelles
Au nord-est de l’Ethiopie, depuis cinq ans les Afars s'organisent pour lutter contre l'ignorance et en finir avec les mutilations sexuelles qui ont détruit une génération de femmes après l'autre. Dans ce combat au long cours, ces pionnières sont épaulées par l'association française Femmes solidaires. Ensemble, elles viennent d'ouvrir une "Maison" pour y informer et accueillir celles et ceux prêts à renoncer à ces coutumes d'un autre temps. Reportage
Halima Issé, trente- neuf ans, se souvient comme si c’était hier du « non » qu’elle avait jeté, une vingtaine d’années auparavant, à la face de la matrone. « Je venais d’accoucher, dans d’atroces douleurs, quand, estimant que j’étais trop ouverte, elle avait tenté de ressouder les grandes lèvres avec des épines. Je redoutais de me retrouver à nouveau avec un petit orifice et continuer ainsi à souffrir quand j’urinais ou quand j’avais mes règles. Ma mère était obligée d’y introduire une plume d’oie pour faire sortir les caillots.» Elle se remémore ce « non » vomi à la gueule de la société, complice de la souffrance infligée à la moitié de sa population. Elle ne peut oublier ce « non » salvateur qui l’a conduite sur le chemin de l’émancipation. Originaire de la région Afar, au nord-est de l’Ethiopie, Halima Issé est désormais une personne incontournable dans la lutte contre les mutilations génitales dont sont victimes 95% des Ethiopiennes.
Sur sa route, au sein même de Gawani, sa commune, Halima, femme métamorphosée, découvre d’autres rebelles avec qui elle noue une chaîne indéfectible tendant à tirer les fillettes des mains de l’exciseuse. Au fil des années de combat, elles en ont sauvé 867. Mieux, elles sont parvenues à un changement de mentalité dans les sept villages afars où elles mènent le travail de sensibilisation.
Tout avait commencé dans l’un d’eux, à Bilaforro. Une terre aride, désertique accueille ici environ 1100 familles semi-nomades. Des daboitas (huttes) semblent perdues dans cette étendue où le soleil s’accroche jusqu’à la tombée de la nuit, sans qu’aucun arbre ne permette un moindre répit. Un lieu inhospitalier où chaque jour les femmes sont obligées de se lever à quatre heures du matin pour aller chercher de l’eau et en revenir huit heures plus tard. Un endroit hostile où les femmes ont uni leur voix pour dire « stop » à l’excision. L’une d’elles, Ahadi Walho, raconte : « Ma fille en est morte. Elle a eu une infection et une rétention urinaire. Il n’y a pas d’hôpital ici, il fallait se rendre à Addis-Abeba, la capitale, mais c’était trop tard. Si, à l’époque, j’avais connu les militantes, je ne l’aurais pas fait exciser. J’étais ignorante. »
Le mot « ignorance » revient constamment dans les conversations. Comme celle de Robo Lamao : « J’ai causé des douleurs à mes filles. Maintenant, je suis une grand-mère qui refuse de mutiler mes petites-filles. » L’une d’elles se laisse bercer dans les bras protecteurs. « J’ai rejoint le camp de celles qui sensibilisent contre l’excision. J’espère que mes paroles auront de l’effet auprès des grands-mères encore réfractaires », ajoute Robo Lamao.
Fatouma Mohamed, la première personne à avoir dit « stop », se souvient de la période où les militantes devaient « ruser pour mettre les fillettes à l’abri ». Avec la complicité des mamans, elles cachaient les enfants avant la cérémonie commune à toutes les futures excisées, programmée après avoir scruter les constellations. Mais depuis l’instauration de la loi contre cette pratique barbare, promulguée en 2009 par l’Etat de la région Afar, et appliquée en 2012, « on peut se plaindre à la police si certains continuent à faire souffrir nos fillettes. La peur a changé de camp », se réjouit Fatouma Mohamed. Connue pour être « un bastion de l’excision et de l’infibulation », la commune de Gawani est désormais un « haut lieu de résistance », commente Halima Issé.
Il faut dire que, dans leur lutte quotidienne, Halima, Fatouma et tant d’autres de leurs « sœurs » ont pu bénéficier de l’apport de Femmes solidaires. Cette association française avait, entre 2008 et 2012, mis en place un marrainage de petites filles non mutilées et scolarisées. Un coup de pouce qui « nous a boostées », indique Halima Issé.
Aujourd’hui, la solidarité continue à fonctionner, avec la création de la Maison des femmes solidaires, ouverte le 16 mai 2014, en présence de Sabine Salmon, présidente de l’association, dans une ambiance de fête qui avait rassemblé des femmes et leurs fillettes des sept villages où les personnes excisées sont maintenant minoritaires. « Nous sommes liées les unes aux autres. Nous le resterons pour tous les combats que nous avons à mener pour l’émancipation des femmes, ici, chez nous et ailleurs », déclare Sabine Salmon, émue, en remettant les clés de la maison blanche aux volets bleus à Halima Issé et à ses camarades.
En Ethiopie, les Afars sont des battantes
Une langue commune aux femmes qui se battent pour leurs droits
Sabine Salmon, présidente de Femmes solidaires, raconte la genèse de ce travail transcontinent
03.07.2014propos recueillis par Sylvie Braibant, montage Arnaud Chauvet
"Le projet est né d'une rencontre de femmes" nous dit Sabine Salmon, présidente de Femmes solidaires. Informer, sensibiliser, éduquer, c'est le triptyque du projet commun entre Afars et Françaises. Avec pour résultat, un changement impressionnant des mentalités des femmes et des hommes. “De France, nous sommes les hauts parleurs de ces Ethiopiennes remarquables“, dit-elle encore de ce pont entre deux régions du monde.
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Tout au Nord Est de l'Ethiopie, les Afars
Tout au Nord Est de l'Ethiopie, la zone Afar, en rose sur cette carte administrative - Wikicommons