Fil d'Ariane
"J’avais 22 ans quand j’ai été diagnostiquée séropositive, en 2001. A cet âge, on a la vie devant soi. Mais à cette époque, ce diagnostic était une condamnation à mort. Chaque jour, je pensais que ma dernière heure était venue", écrit Vuyiseka Dubula dans une tribune qu'elle a tenu à nous transmettre.
Elle raconte aussi comment elle a survécu, deux mois après avoir appris la nouvelle, "la mort ne m’avait toujours pas emportée. C’est plutôt un camarade qui est venu à moi pour m’emmener dans les locaux de Treatment Action Campaign (TAC), une association sud-africaine qui luttait pour l’accès universel au traitement contre le VIH. C’est là que, pour la première fois, je rencontrais d’autres personnes vivant avec le VIH. C’est aussi là que je comprenais une chose : pour les personnes vivant dans la pauvreté, l’accès aux services de santé est un combat".
Vuyiseka est née à Idutywa dans la province du Cap-Oriental, en Afrique du Sud. Elle vient d'une famille pauvre de la classe ouvrière et a dû s'instruire tout en travaillant. C'est dans cette ville rurale qu'elle a fait ses études primaires et secondaires, avant de terminer ses études secondaires à Thandokhulu High, à Mowbray, au Cap. Elle est diplômée de sciences de la santé et services sociaux, en psychologie, à l'université d'Afrique du Sud. En 2011, elle a obtenu sa maîtrise en gestion du VIH à l'université de Stellenbosch. Elle a également eu l'occasion de passer trois mois à élaborer des méthodes de recherche sociale dans le cadre d'un cours de master à l'université du Sussex en tant que chercheuse invitée. A 42 ans, elle vient d'obtenir un doctorat à l'université du KwaZulu-Natal, sur la politique du VIH et l'administration de la santé publique.
Vuyiseka vit avec le VIH depuis 13 ans et sous traitement ARV depuis 11 ans. Elle se bat pour que les personnes vivant avec le VIH aient accès aux traitements, mais aussi pour que les femmes et les filles aient accès aux services de santé et vivent sur un pied d'égalité dans "une société exempte de violence sexiste et sexuelle".
Vuyiseka Dubula se bat pour qu'en Afrique du Sud, les filles aient accès aux soins sur un pied d'égalité, dans un monde "exempt de violences sexuelles".
La militante reconnait les progrès remarquables réalisés au cours des quarante années écoulées depuis les premiers cas de VIH. "Il y a vingt ans, alors qu’on m’apprenait que j’étais séropositive, la science avait déjà donné à l’humanité des médicaments pour combattre le virus. Cependant, des Sud-Africains comme moi et beaucoup d’autres personnes vivant dans la pauvreté continuaient à mourir par millions. Le traitement antirétroviral, bien que hautement efficace, coûtait près de 10 000 dollars par année, une somme bien au-delà de notre portée", rapporte-t-elle.
"Pour rendre cette thérapie accessible aux personnes vivant dans la pauvreté, nous avons dû nous battre", ajoute-t-elle, "C’était une question de vie ou de mort. À l’époque, en Afrique du Sud, les dirigeants rejetaient la science du traitement antirétroviral et abandonnaient les gens à leur triste sort".
C'est alors un long chemin d'actions et de combat qui commence pour elle, comme pour les militants du monde entier qui, par milliers, descendent dans la rue : "Nous avons manifesté pour les millions de personnes condamnées à mort. Nous avons fustigé les gouvernements négligents et les sociétés pharmaceutiques plus soucieuses de leur profit que de la vie humaine. Nous avons exigé des mesures garantissant l’accès universel au traitement. Nous avons exigé l’équité."
L'objectif est de créer un fonds populaire qui aurait pour mission d’assurer à chaque individu, quelles que soient sa classe sociale, son appartenance ou sa couleur, l'accès au traitement dont il a besoin pour rester en vie. "À l’époque, l’idée même d’un mécanisme mondial consacré à l’accès au traitement pour les personnes vivant dans la pauvreté semblait invraisemblable. Certains estimaient même que les personnes vivant dans la pauvreté en Afrique n’étaient pas suffisamment alphabétisées pour suivre un tel traitement. Mais nous avons persévéré. Notre insistance a conduit à une action politique et à la création du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme – un fonds populaire doté d’une structure de gouvernance faisant intervenir la société civile, les communautés et les personnes touchées par les maladies", témoigne la militante sud-africaine.
Son impact fut immédiat. En Afrique du Sud, comme dans de nombreux autres pays, le Fonds mondial a financé les premières initiatives de traitement et instauré les infrastructures connexes, catalysant ainsi le mouvement pour un traitement universel. "En 2004, je comptais parmi les nombreuses personnes commençant un traitement qui allait sauver leur vie", confie-t-elle.
Pour elle, le partenariat du Fonds mondial, qui célèbre ses 20 ans cette année, a changé la donne. Vingt ans et 38 millions de vies sauvées plus tard, le partenariat continue de remplir son mandat.
Vuyiseka Dubula tient à le répéter encore et encore : le combat n’est pas terminé. Bien que des millions de personnes soient aujourd’hui sous traitement antirétroviral, beaucoup d'autres n’ont toujours pas cette chance. En 2020, les maladies liées au SIDA ont fait près de 700 000 victimes, et on comptait plus de 1,5 million de nouvelles infections au VIH. "C’est absolument inacceptable" insiste-t-elle.
"Les obstacles auxquels nous faisons face aujourd’hui sont des politiques restrictives et le manque de perspectives économiques, ainsi que des problèmes de rejet social et de discrimination profondément ancrés dans les sociétés", dénonce Vuyiseka Dubula.
"La voie à suivre est claire : nous devons exhorter les gouvernements et les dirigeants du monde entier à en faire davantage. En faire davantage, cela signifie, pour les gouvernements, offrir des perspectives d’avenir aux populations les plus vulnérables, notamment les jeunes femmes et les filles. En faire davantage, c’est protéger et décriminaliser les populations clés, comme les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les personnes transgenres et les personnes qui consomment des drogues. Et par-dessus tout, les gouvernements doivent en faire davantage pour réduire les inégalités de toutes sortes qui contribuent à prolonger la présente pandémie et les autres épidémies", poursuit-elle.
Il s'agit selon elle d'entrer aujourd'hui dans une deuxième phase de revendications, et "ce n’est qu’un commencement". C'est un nouveau combat qui s'engage pour tenter de vaincre l’épidémie de VIH d’ici 2030. Le but est non seulement de vaincre le SIDA, mais aussi de lever "tous les obstacles à l’accès aux médicaments, aux vaccins et aux diagnostics essentiels pour la lutte contre les épidémies actuelles, le COVID-19 et les pandémies à venir".
La militante appelle à l'unité de tous et toutes. "La jeune femme de 22 ans qui était sur le point de mourir il y a vingt ans est aujourd’hui une femme qui a un mari et deux enfants – et tous trois sont séronégatifs. Il y a vingt ans, je n’avais qu’un certificat d’études secondaires. Le mois dernier, je portais la toge et le mortier pour recevoir mon doctorat", dit-elle non sans fierté, avant de conclure en réaffirmant plus que jamais son engagement : "J’ai parcouru un long chemin, et je ne cesserai jamais d’élever ma voix et de me battre pour que d’autres personnes puissent avoir cette chance".