En finir avec les droits de « l'Homme » en France, la députée Catherine Coutelle y serait-elle parvenue ?

A-t-on fait un pas en avant sans que personne s'en rende compte ?  Au nom de l'égalité entre les sexes, la députée socialiste Catherine Coutelle a inscrit l'expression "droits humains" dans un texte de loi, comme le font les anglophones avec human rights.  Cette question peut sembler anecdotique et, pourtant, elle soulève d'importants enjeux d'égalité via le langage. 
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Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
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Ni vu ni connu. La députée socialiste Catherine Coutelle a réussi à glisser l'expression "droits humains" dans un texte de loi, une proposition qu'elle coprésente, "relative au devoir de vigilance des sociétés mères
 et des entreprises donneuses d’ordre", et assez peu en lien direct avec ses fonctions de Présidente de la Délégation de l'Assemblée Nationale aux Droits des Femmes et à l'Egalité des chances entre les hommes et les femmes...

Au premier paragraphe de ce texte on peut lire : "l’objectif de cette proposition de loi est d’instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Il s’agit de responsabiliser ainsi les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames en France et à l’étranger et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement."

Vous avez bien lu : "droits humains" en lieu et place du sempiternel "droits de l'Homme". Aussitôt, l'élue de la Vienne (centre sud ouest) se réjouissait sur son compte twitter. 


C'est que la bataille est ancienne et quelque peu ardue en France, contrairement à d'autres pays de la francophonie. Supprimer l'expression « droits de l'Homme » de la terminologie officielle des instances et institutions de la République française, comme cela a déjà été fait au Canada, en Suisse et en Haïti, c'est ce que réclame le collectif Droits humains pour tout-e-s, depuis plus d'un an déjà...

Explications avec Eliane Viennot, professeure de lettres, spécialiste de la Renaissance, et autrice de Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin, petite histoire des résistances de la langue française.

Considérez-vous les « droits de l'Homme » comme une expression misogyne ?
Ce n’est pas spécialement une expression misogyne. Mais elle ne désigne que les hommes. Dans une société qui se veut égalitaire, il est urgent d'abandonner cette expression qui ne désigne que la moitié de la population.

Comme le défend l'Académie française, vous ne pensez pas que le nom Homme, avec une majuscule, a  une valeur neutre et universelle ? 
livre Eliane Viennot
Ouvrage d'Eliane Viennot
Cet homme-là, au singulier, qui représenterait soi-disant tout le monde avec une majuscule, c’est une falsification ! Dans la langue française, le nom homme ne signifie pas homme et femme. Cela se vérifie tous jours dans presque toutes les expressions. C’est une supercherie construite à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Un phénomène historique tout à fait observable. Des lettrés, que je qualifie de masculinistes, sont intervenus dans la langue française pour qu'elle soit beaucoup moins égalitariste qu'elle n'était.  Des interventions contraires au fonctionnement naturel de la langue. Ils ont notamment cherché à supprimer des équivalents féminins pour certains métiers ou plus précisément pour certaines qualités. C'est ce que j'appelle la masculinisation de la langue française. Par exemple, le terme « autrice », le féminin d'auteur, a été abandonné, alors qu'il était issu du latin et avait trouvé sa place dans la langue. Par contre, ils n'ont pas combattu la « boulangère », une fonction subalterne qui ne les concernait pas. Refuser le féminin de certains mots ou de certaines tournures, c’est contraire à la langue française. Comme quasiment toutes les langues romanes, la langue française genre naturellement. Elle crée des formes pour le masculin et le féminin et accorde en fonction du genre.

En 1789, il aurait fallu parler de la Déclaration des droits de l'homme et de la femme ?
Il aurait fallu simplement parler des droits ou des droits de la personne qui était déjà une expression bien présente dans la philosophie française. Mieux encore, il aurait fallu dire que c’était pour tout le monde. C'est d'ailleurs ce qu'ont défendu certains penseurs et penseuses comme Olympe de Gouges qui réclamaient l'universalité des droits. A l'époque, de nombreux textes affirmaient qu'il n’y avait aucune raison d'éliminer les femmes, qu'elles devaient siéger à l’assemblée et décider comme les hommes. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait. Les femmes n'ont pas obtenu les mêmes droits. Elles n'ont pas été incluses dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen comme le dit clairement le titre.

Dans votre ouvrage Non, le masculin ne l'emporte pas sur le masculin, vous expliquez que les grammairiens ont tendance à concevoir la féminisation des mots comme la naissance d'Eve. Que voulez-vous dire par cette comparaison ?
Les grammairiens pensent qu’on fait des mots féminins à partir du masculin, comme Eve est née de la côte d'Adam. C'est une représentation erronée de la féminisation du langage. En français, les mots masculins comme féminins viennent d’un radical. Pourtant, c’est ce que l’on retrouve dans pratiquement tous les grammaires, même encore dans celles d’aujourd’hui : on explique comment faire du féminin à partir du masculin ! Ce n’est pas comme ça que fonctionne la langue française.

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A ceux et celles qui considèrent que cette bataille des mots n'est qu'anecdotique, que répondez-vous ?
Je leur dis de regarder l’histoire pour qu’ils se rendent compte de l’énergie que les masculinistes ont mise dans cette histoire en écrivant de nombreux livres pour appuyer leurs propositions. Je peux vous dire que l’énergie était énorme et qu'ils savaient, eux, que l’enjeu était énorme. Car l’enjeu est dans nos têtes. Quand on sait, dès 6 ans, que le masculin l’emporte sur le féminin, ça crée de l’inégalité.

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7 préjugés qu’on vous oppose systématiquement mais qui ne tiennent pas la route…


1. Qu’importent les questions de vocabulaire
Si la modification que nous demandons était vraiment secondaire, elle ne se heurterait pas à tant de résistance. Les termes qu'emploient les pouvoirs publics disposent d'un poids tout particulier. Serait-ce trop leur demander qu'ils évitent d’entretenir la divulgation d’expressions discriminatoires ?
2. Ce combat n’est pas une priorité
Il est souvent opposé que nous devrions concentrer nos énergies sur d’autres combats majeurs, y compris féministes, qui seraient plus essentiels. Ce changement nous apparaît pourtant comme un préalable indispensable pour faire avancer les droits fondamentaux. Plus encore qu’une priorité, ce combat est une évidence !
3. « Droits humains » est un anglicisme
En réalité, seule la France et certains pays francophones utilisent les termes « droits de l'Homme ». La majorité des pays disent « droits humains ».
4. La Déclaration de 1789 est la première déclaration universelle des droits fondamentaux
En réalité, la Déclaration de 1789 n'était pas universelle puisque les femmes en étaient exclues. Les femmes de l'époque qui revendiquèrent son application universelle furent durement persécutées. Parmi les droits énoncés par la Déclaration de 1789 ne figure pas la protection contre la discrimination de genre, qui en effet n'est pas un droit de l'homme, mais un droit humain.
5. Le H majuscule a déjà une valeur incluante
L'utilisation du H majuscule est en pratique extrêmement rare à l'écrit. A l'oral, la majuscule est inaudible. L'utilisation d'une majuscule pour signifier l'inclusion du genre féminin signifie surtout que cette inclusion est considérée comme un détail.
6. La France est tenue de conserver la terminologie des textes antérieurement ratifiés Plusieurs pays francophones ont déjà procédé à cette modification de langage sans pour autant que soit remise en cause leur ratification des traités internationaux.
7. Le privilège des formes masculines relève d'une logique profonde de la langue française
En réalité, le privilège des formes masculines en français résulte d'une opération importante de masculinisation de la langue entamée au XVIIe siècle. L'utilisation du masculin comme forme linguistique "neutre" n'a donc rien d'une donnée intangible, en particulier pour désigner les personnes humaines. C'est une évolution récente de la langue qui fait figure d'exception à ce que l’Institut national de la langue française décrit comme « une tendance massive et indo-européenne : le genre [linguistique], pour les animés humains, suit globalement le sexe[biologique]».
Plus d’infos sur la campagne : droitshumains.fr