Hystérique, hystérie... Des termes entrés dans le langage courant comme péjoratifs, voire insultants. Aujourd'hui encore, l'hystérique est une femme (très) en colère ou qui exagère la séduction, quand l'hystérie, elle, désigne plutôt la vive réaction d'un groupe, on parle alors d'hystérie collective.
La psychologue et autrice Isabelle Siac en a eu assez d'entendre ce mot utilisé en dépit de son bon sens, et souvent comme une insulte dégradante – "Laisse tomber, elle est complétement hystérique..." Car parmi sa patientèle, elle voit chaque jour "des personnes atteintes d'hystérie et qui en souffrent vraiment," explique-t-elle. Voilà pourquoi elle a voulu écrire Pour en finir avec l'hystérie féminine : remettre cette pathologie dans son contexte historique et médical. Au fil des témoignages, études de cas, expériences, recherches historiques, observations, une certitude se dessine : l'hystérie est une pathologie sans genre ni âge et c'est au patriarcat que l'on doit l'image que l'on se fait aujourd'hui d'une personne hystérique.
Quand le rapport aux autres est malade
L’hystérie est une névrose qui passe par le corps, qui dit une douleur, une souffrance psychique que les mots ne permettent pas de formuler de façon posée et rationnelle, comme l'explique Isabelle Siac.
Les manifestations de l'hystérie s’inscrivent dans le rapport à l’autre dans la mesure où elles sont visibles. Isabelle Siac, psychologue, autrice
D'où l'insulte "hystérique" pour désigner une personne qui ne sait pas se contrôler. "C'est une façon d'exprimer ses émotions qui passe par le corps, dit la psychologue. Les manifestations de l'hystérie s’inscrivent dans le rapport à l’autre dans la mesure où elles sont visibles, comme les somatisations, et/ou entendables, comme la souffrance physique ou la séduction."
Les deux symptômes de l'hystérie, la séduction et la plainte, sont aussi les principaux ressorts qu'ont eu les femmes pendant des millénaires pour exister. La séduction, qui permet de mettre le corps en avant, et la plainte, pour celles n'avaient pas la capacité de s'affirmer autrement. Voilà qui les a enfermées dans un rôle de petite chose qu'il faut protéger. Certaines ont encore du mal à sortir du carcan.
Dans son livre, Isabelle Siac illustre son propos d'histoires éclairantes, comme celles de ces deux femmes de 25 ans l'une et 45 ans l'autre, aux profils différents. Elles ne présentent pas les mêmes symptômes hystériques, mais "se rejoignent sur une même personnalité sensible qui a grandi avec un père violent et une mère qui n'est pas présente, soit parce qu'elle ne manifeste pas de tendresse, soit parce qu'elle ne s'affirme pas face à son mari," explique la psychologue.
Il y a quelque chose de la jeune fille en manque d'amour livrée à un homme qui promet de lui donner une existence, mais elle va être abusée par ce puissant. Isabelle Siac, psychologue, autrice
Dans ces deux cas, "il y a quelque chose de la jeune fille en manque d'amour livrée à un homme qui promet de la protéger et de lui donner une existence, mais elle va être abusée par ce puissant, quel que soit le puissant," dit Isabelle Siac.
L'actrice américaine Marilyn Monroe, sex symbol des années 1950, a connu les mêmes turbulences, allant de divorces en échecs sentimentaux toute sa vie. Elle est d'ailleurs, pour la psychologue, un cas typique d'hystérie : "Une femme qui souffre d'une insécurité massive et qui se comporte en enfant, alors qu'elle n'est pas une enfant, qui se prend les pieds dans le tapis et se laisse hypersexualiser, entre autres par le cinéma. Tout comme ces jeunes filles qui, aujourd'hui, veulent paraître sur les réseaux sociaux," ajoute-t-elle.
Marie-Antoinette, elle aussi, reste un personnage hystérique de la grande Histoire "dans le sens où elle est très suggestive, sensible au regard des autres", note Isabelle Siac. Et un peu comme Lady Diana, "une femme très exposée qui ne s'appartient pas du tout, mais qui n'est pas aux premières loges. Son seul pouvoir, c'est ce qu'elle représente."
"Un pénis normal à doses régulières"
D'emblée, l'hystérie est une maladie des femmes portée au compte de l'utérus, d'où son nom. "Tout cela vient de très loin, jusqu'au Ve siècle avant notre ère, explique l'autrice. C'est une époque où les médecins n'ont pas la moindre idée de la manière dont fonctionne le système reproductif. Alors quand ils constatent, chez les femmes, certains symptômes qu'ils ne parviennent pas à expliquer, ils les mettent sur le compte de l'utérus."
De là à vouloir contrôle la sexualité féminine, il n'y a qu'un pas. "Pour guérir, d'aucuns préconisent une sexualité active, d'autres l'abstinence, mais la sexualité est toujours en jeu, souligne la psychologue. Le tout premier vibromasseur électrique a d'ailleurs été créé en 1880 par le médecin britannique Joseph Mortimer Granville pour traiter l’hystérie féminine en remplaçant le "massage pelvien" réalisé par des médecins.
Comme le disait un gynécologue au jeune Sigmund Freud qui, au début de sa carrière, essayait de comprendre les enjeux de l'hystérie, le remède "est un pénis normal à doses régulières".
Avant et après la pilule
L’hystérie serait donc une "folie femelle", honteuse, indigne. Ce type de théorie était la porte ouverte aux abus sexuels, puisque dès lors que le traitement passe par le contrôle de la sexualité des femmes, leur corps ne leur appartiennent plus vraiment. "Cette façon de contrôler la sexualité féminine, et donc la reproduction, ne faisait qu'alimenter la frustration des femmes, qui n'avaient toujours pas d'espace de parole dans la société. Leur parole s'exprimait alors de façon désordonnée et les femmes finissaient par 'pêter les plombs'", dit la psychologue. Les patientes vont mieux quand leur parole peut être posée et entendue, alors le corps est moins mis à mal et les troubles somatiques s'estompent.
Pour Isabelle Siac, il y a un avant et un après la pilule dans l'histoire de l'hystérie – "ce qui fait beaucoup de siècles avant...", note-t-elle avec amertume. "A partir du moment où la femme maîtrise sa capacité reproductive, son corps n'appartient plus à l'homme. Puis l'avortement, le choix des maternités... toute cette dépendance sexuelle, économique, toute la dépendance aux hommes peut disparaître," explique-t-elle.
De fait, la psychiatrie actuelle a fait disparaître le mot de son lexique, pourtant l’hystérie exprime une problématique essentielle de l’être. Aujourd’hui, elle n’est plus la névrose spécifiquement féminine décrite par Freud en 1895, mais une pathologie sans genre ni âge.
Comment l'hystérie s'est dégenrée
Au XVIIIe siècle, un âge de paix où chacun peut s'épancher, apparaissent les prémices de la psychanalyse et le médecin devient confesseur, sans être moralisateur comme le sont les hommes d'église. C'est l'époque des "vaporeux" et "vaporeuses", qui manifestaient tous les symptômes de l'hystérie même si, chez les hommes, elle se manifestait plutôt par l'hypocondrie. "Ces comportements passaient néanmoins pour des maladies de femmelettes, qui touchaient des hommes un peu dégénérés. Reste que c'est là que l'on s'est rendu compte que l'hystérie n'avait ni genre ni âge," explique la psychologue.
La révolution a mis un terme à ces comportements, puisque "l'un des ressorts majeurs de la révolution est la réhabilitation de l'homme viril, souligne Isabelle Siac, même si l'on en parle peu..." De fait, de la révolution française découle le patriarcat triomphant du XIXe siècle, tandis que les femmes ne sont toujours pas des citoyennes.
Charcot, Freud, guerre et traumatisme
Lorsque le neurologue français Jean-Martin Charcot identifia des symptômes hystériques chez les hommes, il décida de les lier à des événements traumatiques plutôt qu'à une fatalité biologique. Le terme "hystérie traumatique" était né. Mary Catherine McDonald, historienne et philosophe, ne dit pas autre chose : "Dès le départ, le concept de traumatisme était étroitement lié à la faiblesse féminine. Lorsque la Première Guerre mondiale éclata, elle remit en question l'idée selon laquelle la stabilité psychologique était une affaire de caractère personnel, de masculinité et de force morale," explique-t-elle dans National Geographic.
Ainsi Freud et les premiers psychanalystes le savaient bien : l'hystérie n'appartient pas aux femmes, explique Isabelle Siac, "mais c'est sur l'hystérie féminine que Freud a bâti sa réputation et sa fortune, avec son premier grand livre, qui consiste en cinq études de cas, tous portant sur des femmes." D'un côté, Freud surfait sur l'existant pour asseoir son analyse et sa méthode ; de l'autre, il se heurtait à une telle résistance à la fois de la société et du corps médical à dire que des hommes pouvaient être hystériques qu'il avait mis ce "détail" en sourdine, estime l'autrice.
L'hystérie au masculin
L'hystérie masculine ne diffère pas beaucoup de l'hystérie féminine, si ce n'est que les hommes hystériques ne sont pas reconnus comme tels. "Les hommes qui ont besoin d'être dans la séduction, qui mettent leur corps en avant, qui sont frustrés et qui se plaignent, faute de mieux, tout le monde en connaît. Mais comme ce n'est pas viril, leur hystérie est difficile à admettre," explique Isabelle Siac.
A la sortie de mon livre, la plupart des hommes étaient très contents de pouvoir aussi être hystériques. Isabelle Siac
Pour la psychologue, le dramaturge français Molière est un cas éloquent d'hystérie masculine, même s'il a du recul sur lui-même : "dans Le Malade imaginaire, il se moque de lui-même, mais au fond, il se croit vraiment malade." Petit à petit, de plus en plus d'hommes, surtout les jeunes générations, ont envie de s'exprimer sur leurs névroses et de faire leur introspection. "Ils ne se considèrent pas comme des sous-hommes pour autant, sourit-elle. Je constate d'ailleurs que, à la sortie de mon livre, la plupart des hommes étaient très contents de pouvoir aussi être hystériques.
Hystérie collective sur les réseaux ?
Il y a une dizaine d'années, avant l'essor des réseaux sociaux, les sociologues comme Jean Baudrillard, avaient tendance à penser que l'hystérie était morte et que nous vivions dans société d'hyperindividualité et de narcissisme généralisés. Mais comme à chaque fois qu'on l'a crue morte au cours de l'histoire, l'hystérie a ressurgi.
Car l'hystérie est une pathologie du lien et que les êtres humains ont besoin de lien. "L'hystérie est une façon d’être en lien, de faire société, qui compense l’hyperindividualisme. Donc "l’épidémie hystérique" n’est pas que mauvaise. La "communauté hystérique" fait contrepoids aux dictateurs, comme à l’époque des "illuminés", les descendants des sorciers et sorcières, pourchassés par Louis XIV, par exemple," explique Isabelle Siac.
Les réseaux sociaux ont recréé une forme d'hystérie, démultipliée parce qu'elle passe par les écrans et les followers, "mais l'on reste sur le registre de la séduction, parfois aussi de la plainte. Ce n'est pas parce que les réseaux sociaux démultiplient les choses qu'ils rendent la société hystérique. Pendant le confinement, les réseaux sociaux ont flambé pour compenser le manque de liens sociaux, mais pas forcément avec plus d'hystérie qu'avant," assure-t-elle.
Isabelle Siac compare l'hystérie à un journal intime ouvert, d’où son déploiement inédit permis par la société de l'image et de la célébrité, via le cinéma et aujourd’hui les réseaux sociaux. "Certaines choses sont terribles, mais d'autres sont positives, comme l'entraide. Les réseaux sociaux sont une forme de partage de la parole qui peut aussi aider à sortir de l'hystérie pathologique," analyse-t-elle.
Un symptôme tenace du patriarcat
Entendre le ministre de l'Intérieur français Gérald Darmanin répondre à une journaliste "Calmez-vous madame, ça va bien se passer !" est insupportable à Isabelle Siac. "Et si une femme, dans une manifestation, disait à un policier "Calmez-vous monsieur, ça va bien se passer", ça ne se passerait pas bien du tout !" s'exclame-t-elle.
J'aimerais qu'un jour plus personne n'ait l'idée de traiter une femme d'hystérique. Isabelle Siac
Aujourd'hui encore, un homme est en colère, quand une femme, elle, est hystérique. Et la colère est plus noble que l'hystérie. L'insulte hystérique reste réservée aux femmes, à celles qui ne savent pas se contenir, un peu irrationnelles... "Autrefois, on pouvait traiter quelqu'un de mongolien, alors que l'on parlait d'une maladie, poursuit-elle. Aujourd'hui, plus personne n'aurait l'idée de traiter quelqu'un de trisomique. J'aimerais qu'un jour plus personne n'ait l'idée de traiter une femme d'hystérique."
(Re)lire aussi dans Terriennes :