Moureen, Thérésa, Anouch et Flora ont un point commun : elles ont fui leurs pays pour survivre. Aujourd’hui, les femmes représentent plus de la moitié (51%) des flux migratoires de la planète. Certaines d’entre-elles partent avec leurs enfants sous le bras. Pour celles qui se retrouvent ballotées jusque dans le Montargois, l'une des agglomérations françaises où se côtoient paisiblement les origines les plus diverses, à une heure de Paris, au sud de la capitale, l’association Mille Sourires prodigue aide et réconfort : cours de français, aides à l’insertion pour les mamans, distribution de produits de puériculture et soutien scolaire pour les enfants.
C’est dans le quartier populaire de la Chaussée, aux pieds des tours d’habitations, fraichement repeintes de couleurs pastel, que se côtoient plus d’une cinquantaine de nationalités et qu’officie dans un modeste appartement de quatre pièces, l’association Mille Sourires. Une simple affichette collée sur la porte extérieure signale l’entrée. Aujourd’hui, c’est le jour du repas en commun. Posés sur une grande table, des plats remplis de mets variés et colorés font écho aux langues entendues et aux vêtements portés par les femmes réunies à l’occasion de ce déjeuner. « Ce repas est une de mes grandes fiertés » déclare Christine Julian, directrice de l’association. « Beaucoup d’entre elles étaient encore, il y a peu de temps, en proie à la solitude et la désespérance. Je leur ai proposé de se rencontrer régulièrement autour du thème de la cuisine pour échanger et partager, tout simplement. » A présent incontournable, ce rendez-vous convivial est l’occasion de croiser régulièrement de nouvelles mamans mais aussi d’écouter des récits d’intégration réussie.
Les femmes, vecteur d’intégration
Voici venir Moureen Loh, la trentaine, souriante, chemisier orange, aux motifs colorés, des grandes lunettes, un regard enjoué : « Je viens de terminer une formation de commis de cuisine et je travaille depuis peu dans un restaurant local ». Camerounaise anglophone, elle est représentative du courant migratoire récent où des jeunes femmes seules et diplômées aspirent à autre chose que de se marier très jeune et de rester au foyer. Mais leur niveau de compétences, mal reconnu dans le pays d’accueil, les cantonne à des tâches subalternes. « Je suis arrivée en France en 2006, licence en poche. J’ai tenté de compléter mon cursus mais en vain ! Après mon mariage en 2007, j’ai été régularisée. Deux ans plus tard, mon couple ne fonctionnant plus, j’ai dû quitter Paris et je suis arrivée à Montargis avec mes deux enfants. »
Là, sans repères ni point de chute, Moureen Loh atterrit bon an mal an en centre d’hébergement d’urgence. En fait, des mois de galère ponctuent son quotidien. « J’étais déprimée, fatiguée, je ne savais plus quel chemin emprunter. C’est mon assistante sociale qui m’a envoyée vers Mille Sourires. Là, j’ai rencontré d’autres mamans, isolées comme moi, avec lesquelles je pouvais véritablement échanger. Nous partagions les mêmes problèmes et avions en tant que maman les mêmes interrogations. Je me sentais comprise, écoutée. Peu à peu j’ai remonté la pente. »
A nouveau sur pieds et encouragée par Christine Julian, Mourreen se reconstruit un parcours de vie : rencontre avec la mission locale, accompagnement vers l’emploi, obtention d’un logement et formation en Greta. Cette autonomie, elle s’est battue pour l’obtenir mais est consciente que sans soutien, cela aurait été plus difficile encore. Alors, elle poursuit ce lien indéfectible avec l’association en partageant à son tour ses expériences de vie et montrer à d’autres femmes que, oui, c’est possible de s’en sortir.
« Toutes les femmes qui frappent à la porte de l’association ont déjà été suivies par les institutions qui gèrent le droit d’asile », précise Christine Julian. « Envoyées par des assistantes sociales, à qui elles ont déjà expliqué leur situation, je me suis donné pour règle de ne pas poser de questions sur leur parcours individuel, ce n’est pas mon rôle. Ici, nous apportons une assistance concrète aux mamans et à leurs jeunes enfants. Si elles veulent me parler, elles savent que ma porte est toujours ouverte. »
Cette confiance construite au fil du temps par la directrice et son équipe permet de recueillir aujourd’hui une parole encore retenue. C’est le cas de Thérésa Akini, l’une des rares à accepter de livrer quelques bribes de son odyssée. Tendue et quelque peu pressée, elle est arrivée avec le petit dernier dans sa poussette. Elle se tient droite, élégante dans ce qui semble être un long drapé, sombre et satiné, élaboré dans une étoffe traditionnelle. Arrivée en France en 2010 avec ses deux enfants tout jeunes, elle reste discrète sur son âge. Son français est hésitant et c’est en anglais qu’elle s’exprime, dès lors qu’elle évoque les raisons de sa fuite : « C’était une question de vie ou de mort avec ma famille, particulièrement avec mon père. »
Cette urgence l’a conduite à quitter le pays via une filière de passeurs. "Cela m’a pris six mois pour arriver en France, dont trois dans le désert marocain." Tout en parlant, son visage s’est figé à l’évocation de ce souvenir pénible. Le regard voilé, interrogateur, un temps de silence s’installe. Puis subitement, elle se fend d’un grand sourire en prenant dans ses bras son petit dernier et déclare : « Il est temps que je prenne mes responsabilités, que je prenne soin de mes enfants. » Cette fois le ton est tout autre, plus ferme, déterminé. Ses yeux pétillent tout en embrassant le visage rondelet de son enfant. Le bien-être de ses enfants est en jeu.
Thérésa et Moureen se connaissent un peu, conversent en anglais, cela renforce les liens. Thérésa est fière d’annoncer que son projet de formation « d’aide à la personne » est en bonne voie.
« Pour tous, le sésame c’est la régularisation ! » insiste Christine Julian. « C’est pourquoi Thérésa peut envisager une formation. » A ses côtés, Bernard Desfretières opine du chef. Bénévole à la retraite, il fait partie du collectif « Immigrés du Montargois » qui tente de démêler d’inextricables situations dans le cadre de la législation du droit d’asile. « Quand les procédures de demande s’éternisent, nos actions conjuguées demeurent souvent l’ultime recours avant la rue ! » dit-il.
Venir en aide aux plus fragiles
Née en France en décembre dernier, Aïcha, petite bouille des steppes d’Asie centrale, illumine la pièce de ses grands yeux noirs. Chaque semaine, sa maman Flora vient s’approvisionner en produits de puériculture (couches, lingettes, crème pour bébé, talc …) à Mille Sourires, très loin de son pays d’origine le Kazakhstan, qu’elle a fui en 2011. Elles vivent en hébergement d’urgence, en attente de régularisation.
« Comme Flora, certaines femmes sont en quasi situation de SDF, explique Christine. Passée la nuit en centre d’urgence, dès le petit matin, elles sont contraintes de quitter les lieux à 8 heures et errent toute la journée dans la rue, encombrée de leurs jeunes enfants et de leurs bagages. Seul, un point chaud relais existe mais est inadapté ! Je bataille pour mettre en place un lieu d’accueil, comme un havre de paix, où les mamans et leurs enfants de moins de trois ans, pourront tranquillement se retrouver, se reposer, se ressourcer, en toute sérénité » argumente-t-elle.
Flora ne parle pas français sinon quelques mots mais semble comprendre approximativement les questions qu’on lui pose. En dépit d’une précarité flagrante, cette jeune maman demeure bienveillante. « Arrivée par avion en urgence. Menaces de mort » seront les seuls éléments qu’elle communiquera. Chacune de ces femmes véhicule un cortège d’épreuves. Où trouvent-elles une telle résilience, une telle énergie ?
« Faute d’hébergement en 2013, j’ai dormi plusieurs mois avec mes enfants et mon mari dans notre voiture », confesse Anouch, petite silhouette arménienne. « Plusieurs fois, les vitres étaient gelées de l’intérieur et j’étais très inquiète pour mes enfants. Peur qu’ils ne tombent malades et pas d’argent pour les soins, » poursuit-elle l’accent rocailleux. « Pour se laver, une association nous autorisait l’accès à ses douches. Il fallait faire vite le matin pour que notre fils ainé soit à l’heure au collège. Et puis, il y a eu Mille Sourires ! » Après avoir remué ciel et terre, Christine Julian a fini par leur trouver un hébergement en auberge de jeunesse. Ce n’est pas le grand luxe, certes, ils dorment à quatre dans la même pièce et bénéficie de repas chauds. Mais ils sont au sec !
A ce jour, leur dossier de demande d’asile est toujours en examen, englué dans les entrelacs administratifs. En cause, l’inscription par la France de l’Arménie comme pays sûr (c'est à dire où les citoyens ne sont pas considérés comme menacés) en 2009, l’année de leur arrivée.
« Quelle sera la prochaine étape ? » s’inquiète Anouch dans un français hésitant. Son ainé, Eric, scolarisé au collège, intégré, bilingue, des potes plein le cartable et des résultats scolaires excellents, ne veut plus quitter le montargois et s'inquiète de devoir repartir à zéro après 14 ans d’errance. Un espoir est peut-être permis : « Pour les cas qui s’éternisent, plus de cinq ans en France et / ou l’un des enfants est scolarisé depuis au moins trois ans,
la circulaire Valls du 28 novembre 2012 nous permet désormais d’envisager plus sérieusement des régularisations », précise Bernard Desfretières.
Mille Sourires de plus en plus sollicité
Depuis janvier 2014, l’association enregistre une forte augmentation du nombre de familles à accompagner. Les entrées du premier trimestre de l’année 2014 représentent déjà près des 2/3 de celles de l’année 2013, soit 94 personnes. Christine Julian s’inquiète : « A ce rythme, je ne vais plus pouvoir faire face même avec mes bénévoles. Les pouvoirs publics semblent débordés car seules les femmes suivies par une assistante sociale, peuvent accéder à nos services. »
Pour l’instant, cette comptabilité en tension ne remet pas en cause l’ensemble des activités proposées par Mille Sourires. Pour preuve « les Mamans » de l’association viennent d’obtenir une aide budgétaire de la CAF (Caisse d’allocations familiales) pour leur projet d’animation de quartier.
Le travail des bénévoles de Mille sourires en quelques clichés
L'immigration au coeur des scrutins européens
Qu'elles soient locales ou continentales, les percées des partis d'extrême droite et populistes à la faveur de scrutins européens récents, et dans la majorité des pays du Vieux continent, montrent que les discours alarmistes autour de l'immigration trouvent des résonances parmi les électeurs. Pas une semaine sans que des discriminations soient relevées ici ou là contre les nouveaux arrivants (ici un maire espagnol qui refuse d'enregistrer des familles roms, là un autre en France qui demande à ce que le linge et les paraboles n'apparaissent plus sur les balcons, etc). Pas une semaine sans que des téméraires qui franchissent mers et continents ne soient victimes de tragédies de l'exil. Dans ces naufrages les femmes et leurs enfants sont nombreuses comme ce 14 mai 2014 au large de la Sicile où 206 personnes en majorité des mères avaient été secourues mais où deux petites filles, douze femmes, trois hommes avaient péri... Plus de 20 000 immigrés sont morts noyés ces 20 dernières années en tentant de traverser la Méditerranée.
Le droit d’asile, une machine à bout de souffle
Le volume des demandes de protection est en constante augmentation depuis 2008 pour s’établir en 2013 à un peu plus de 66.000 dossiers. Le circuit, aujourd’hui grippé, demeure presque immuable. En premier lieu, le demandeur d’asile adresse sa requête à l’
OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). En cas de refus, le demandeur peut faire un recours auprès du
CNDA (Cour National du Droit d’Asile). Mais les délais pour statuer sur chaque dossier sont démesurément longs (un an et demi en moyenne). Arrivé sur le territoire français par des moyens légaux ou autres, le demandeur d’asile doit déposer son dossier auprès de la préfecture dans des délais précis. Tandis que les institutions examinent son cas, une autorisation de séjour provisoire est délivrée sous 15 jours et les autorités se doivent de proposer aux demandeurs des conditions d’hébergement et de ressources décentes en couvrant les besoins fondamentaux du demandeur d’asile. Or, les dispositifs d’hébergement sont saturés, le coût des aides aux requérants en attente de jugement explose.
La
Cimade autre association d'aide aux réfugiés, rappelle aussi que la notion de pays d'origine sûrs a été introduite en droit français par la loi du 10 décembre 2003 - « les ressortissants de ces pays dits sûrs qui sont menacés dans leur pays et souhaitent demander l’asile en France, voient s’amenuiser leurs droits. Ils n’ont pas accès aux mêmes droits que les autres demandeurs d’asile. Ils n’ont par exemple pas le droit à un hébergement dans un centre d’accueil pour demandeur d’asile (CADA) et ne peuvent bénéficier de l’allocation temporaire d’attente (ATA, 10,67€ par jour) que pendant l’examen de leur demande d’asile à l’OFPRA »