En France, les femmes de plus en plus "féministes", mais pas les hommes

Difficile d'être une femme, mais difficile aussi d'être un homme : dans son rapport annuel sur l'état du sexisme en France, le Haut Conseil à l'Egalité constate une "polarisation" croissante entre les femmes et les hommes, en particulier dans la jeunesse.

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Sororité

Une membre du collectif Les Amazones Avignon colle un message de soutien à Gisèle Pelicot non loin du palais de justice où s'est déroulé le procès du viol de Mazan à Avignon, France, le 18 décembre 2024. 

AP Photo/Lewis Joly
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Six Français sur 10 estiment qu'il est difficile d’être une femme. C'est le cas de 86 % des femmes de 25 à 34 ans et de 66 % des jeunes hommes, selon le baromètre du Haut Conseil à l'égalité réalisé en octobre 2024 auprès d'un échantillon représentatif de 3 200 Français de 15 ans et plus.

45% des hommes de moins de 35 ans - et un quart des Français - jugent qu'il est difficile d'être un homme, une idée qui progresse chez les jeunes homme de 19 points en deux ans auprès des hommes de 15-24 ans, tantis que 73 % des hommes en général trouvent qu’on généralise en considérant que tous les hommes sont sexistes (+ 3 points).

Les femmes sont plus féministes et les hommes plus masculinistes, surtout les jeunes. Bérangère Couillard, présidente du HCE

"Les femmes sont plus féministes et les hommes plus masculinistes, surtout les jeunes", affirme Bérangère Couillard, présidente du HCE, à l'AFP. 

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Traditionalisme et effet "Trump"

Dans le sillage de l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, marquée par une campagne aux accents virilistes et misogynes, le baromètre du HCE met en évidence "une certaine infusion de cette idéologie traditionaliste" en France chez les hommes (mais également les femmes, dans une moindre mesure). L'étude révèle que quelque 76 % des hommes estiment que les femmes doivent être fidèles en amour, 42 % qu’elles doivent avoir peu de partenaires sexuels. 

Dans une interview exclusive pour le quotidien Libération, Bérangère Couillard, ancienne ministre déleguée chargée de l'égalité femmes-hommes (en 2023, ndlr), estime que "Dans la vie politique, on voit des discours masculinistes de plus en plus répandus. La campagne américaine a été particulièrement suivie par les Français. Or on constate des écarts de vote très importants entre les jeunes hommes et les jeunes femmes. Dans la perception qu’ont les hommes et les femmes des inégalités qu’ils et elles vivent, dans les médias, dans la famille, dans le monde politique, dans le monde du travail, on a des écarts de 5 à 20 points, ce qui est très important". 

Aux Etats-Unis, 45 % des jeunes hommes ont voté pour le républicain Donald Trump à l'élection présidentielle, quand 72 % des jeunes femmes ont soutenu la démocrate Kamala Harris, relève-t-elle. 

Trump et contraception

Donald Trump en meeting de campagne à Wildwood, dans le New Jersey, le 11 mai 2024. Dix jours plus tard, il déclarait qu'il était prêt à soutenir une réglementation sur la contraception. La nouvelle administration Trump pourrait imposer des quotas et/ou soutenir les restrictions imposées par les États sur l'accès des femmes à la contraception. 

Crédit AP Photo/Matt Rourke

Un effet Procès Mazan ?

Pour autant, le procès des viols de Mazan, où 51 hommes ont été condamnés pour des viols sur Gisèle Pelicot, droguée par son mari, a aidé à une "prise de conscience", selon le HCE : pour 65 % des Français, cette affaire illustre le fait que "tous les hommes portent une part de responsabilité" en matière de violences sexistes et sexuelles. De plus, environ 9 Français sur 10 "considèrent que les hommes ont un rôle à jouer dans la prévention et la lutte contre le sexisme".

Pour Bérangère Couillard, "Il y a un avant et un après. Le procès de Mazan a permis de montrer la banalité des profils des accusés. Le violeur peut être partout autour de nous. Notre enquête montre que 9 Français sur 10 estiment que les hommes ont un rôle à jouer dans la lutte contre le sexisme. Malgré tout, il y a aussi eu une tendance à présenter M. Pelicot comme un monstre, invisibilisant la banalité des profils des violeurs. Malheureusement, trop peu d’hommes se sentent encore concernés par ces enjeux. Un discours de déni s’est répandu, accompagné de la résurgence du mouvement #NotAllMen, et des paroles du type «Moi je ne suis pas comme ça»".

(Re)lire "Coupables" : le verdict est tombé pour les accusés de viol sur Gisèle Pelicot

Merci Gisèle

Un homme tient une pancarte "Merci pour votre courage Gisele Pelicot" devant le palais de justice d'Avignon, en France, le 19 décembre 2024. 

Crédit AP Photo/Lewis Joly

Du sexisme ordinaire au discours anti #MeToo

Le baromètre montre que les femmes sont confrontées au quotidien au sexisme : 86 % d'entre elles ont déjà vécu une situation sexiste et neuf sur dix ont adopté des stratégies d'évitement du sexisme au quotidien. Trois quarts des Français jugent importants la prévention et la lutte contre le sexisme. 

Les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes sont citées dans le monde du travail (76 %), dans la rue et les transports (71 %) dans le monde politique (70 %), dans la vie de famille (62 %), dans les médias (48 %). 

57 % des femmes considèrent encore que femmes et hommes ne sont pas traité·es de la même manière dans les médias. Des médias où l'on observe une "libération de la parole sexiste", déplore la présidente du HCE. "La parole sexiste est très libre. C’est comme s’il y avait une forme d’acceptation de la part de la population française. Aujourd’hui, le sexisme est presque vu comme une opinion", explique-t-elle dans l'entretien au quotidien français.

Discours anti Metoo
Crédit Haut Conseil à l'égalité

Selon cette enquête, 8 Français sur 10 trouvent qu’il existe une tolérance trop importante vis-à-vis des actes et propos sexistes. "On observe en effet que le contre-discours de résistance à #MeToo, est de plus en plus construit et organisé", lit-on dans le rapport du HCE, "Il trouve une chambre d’écho dans les processus et campagnes de désinformation eux mêmes de plus en plus élaborés. Il arrive ainsi qu’un discours sexiste soit considéré comme un simple "avis", visant à influencer l’opinion, notamment en diffusant volontairement des informations fausses, faussées ou biaisées. Le sexisme deviendrait l’expression de la « vérité de chacun.e »".

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Consentement en question

Alors qu'une commission parlementaire publie ce 21 janvier un rapport sur l'inscription du consentement dans la définition du viol, 35% des femmes indiquent avoir eu un rapport sexuel sans en avoir envie, devant l'insistance du partenaire. Seulement 13 % des hommes reconnaissent avoir pu le faire. 

Il n’y a encore pas si longtemps, les femmes avaient l’obligation de répondre aux sollicitations sexuelles de leur mari. C’est quelque chose qui reste ancré. Bérangère Couillard, dans Libération

Pour Bérangère Couillard, cela montre une différence de perception du consentement. "Il n’y a encore pas si longtemps, les femmes avaient l’obligation de répondre aux sollicitations sexuelles de leur mari. C’est quelque chose qui reste ancré. Pour avoir la paix dans le couple, des femmes cèdent encore à des rapports sexuels, alors que les hommes n’ont pas l’impression d’être insistants", précise-t-elle dans Libération.

Lutter contre le sexisme dès l'école

9 Français sur 10 sont favorables à un programme à l'école pour comprendre la sexualité et prévenir les violences de genre, que le HCE recommande de mettre en place. Cette mesure est même perçue comme la plus efficace contre le sexisme pour 10 Français sur 10. Ces chiffres montrent un véritable consensus alors que le débat est vif sur ce sujet. "Lorsque les conservateurs s’opposent avec tant de bruit à la mise en place de cours sur la vie relationnelle et sexuelle, ils s’opposent à la loi", rappelle Bérangère Couillard.

Manif noustoutes Louvre

Des militantes NousToutes devant le Louvre, à Paris, réclament une meilleure éducation à la vie affective, sexuelle et relationnelle, suite à la condamnation de 50 hommes pour le viol ou l'agression sexuelle de Gisèle Pelicot lors du procès Mazan, le 20 décembre 2024. 

Crédit AP Photo/Thomas Padilla

Enfin, le HCE préconise de développer des "budgets sensibles au genre", pour analyser au niveau national, régional, communal, ce qui est dépensé pour les garçons et les hommes d'une part, pour les filles et les femmes d'autre part, et "ajuster les politiques publiques".

Lancé en 2022 pour compléter l’état des lieux du sexisme, le baromètre du HCE permet de rendre compte des perceptions de l’opinion face aux inégalités de genre, de restituer le vécu et la perception des Français·es face aux violences sexistes et sexuelles, d’explorer leur degré d’adhésion aux normes et aux injonctions de genre, de traduire leur rapport aux mesures de lutte contre le sexisme et aux pouvoirs publics.

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