En France, les maternités ferment, les centres d’IVG aussi
Rassemblés devant l’hôpital St-Antoine pour un dernier baroud d’honneur jeudi 9 février 2011 à Paris, le personnel de santé du service maternité s’apprête à quitter définitivement les locaux. Victime du plan stratégique de l’assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) le service accueillait aussi un centre d’IVG dont la clôture risque de rallonger des délais d’attente déjà records en Île-de-France. Même logique à l'échelle nationale : une maternité sur trois doit fermer en France en raison du projet de modernisation des hôpitaux.
Une affiche annonçant la fin des consultations de gynécologie à l'hôpital Saint-Antoine (cliquez sur l'image pour l'agrandir).
Le matin du jeudi 9 février, une femme enceinte se présente au service maternité de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, elle souffre d’hémorragies. Il y a encore quelques jours, un interne l’aurait conduite au premier étage du bâtiment réservé aux grossesses pathologiques et auscultée en attendant l’arrivée du médecin. Mais ce jeudi, la maternité vieille de 115 ans redirige la patiente vers l'hôpital Armand Trousseau où une partie du service sera transférée dès le lundi 13 février.
Déjà, les locaux ont été vidés, les motifs enfantins qui décoraient les murs ont été enlevés et il ne reste que quelques cartons au dernier étage. Le lundi 6 février, les dernières patientes avaient quitté l’hôpital « dans la désolation ». « Certaines d’entre elles disaient “ pourvu que j’accouche avant la fermeture “, elles étaient très malheureuses » , confie Malika Merbouche, diététicienne au service maternité. La doctoresse refuse d’être prise en photo : « je ne suis pas en état, j’ai pleuré comme une madeleine aujourd’hui ». « Ça fait quelque chose de voir le service comme ça » renchérit Rose-Nay Rousseau, la secrétaire générale de l’union syndicale CGT de l’AP-HP. « Avant il y avait de la vie, des bébés, des parents… Maintenant, c’est comme une école sans enfants, c’est très triste » conclut-elle les yeux brillants.
L’affliction du personnel de santé est d’autant plus amère qu’elle s’ajoute à l’incompréhension totale des choix stratégiques de l’assistance publique des hôpitaux de Paris (l’AP-HP) : « On accueillait jusqu’à 3000 femmes par an, on avait une PMI (Protection Maternelle et Infantile ndlr), ce qui est très rare et on était centre de référence d’hémobiologie périnatale. En plus, la maternité avait été refaite à neuf en 2002 ». Malika Marbouche a beau chercher, elle ne comprend pas : « On n’avait pas de problèmes d’effectif, pas de problème de sécurité des patientes, pas non plus de problème de coût puisqu’on n’était pas déficitaires et malgré tout, on décide de faire des regroupements et de centraliser les maternités soit disant pour être plus efficients. »
Poursuivre la modernisation
L'AP-HP s'engage dans un communiqué à « poursuivre la modernisation de ses hôpitaux et à maintenir l’offre de soins de gynécologie et d’obstétrique dans l’est parisien (…) en développant à Trousseau, un centre majeur de pré-natalité permettant d’accueillir près de 4000 accouchements (…) et en renforçant à Tenon l’expertise dans la prise en charge de la femme et de la mère ». Pourtant, Malika Marbouche relève plusieurs incohérences : « ces hôpitaux n’ont pas la capacité de reprendre nos patientes. Jusqu’à présent, ils nous les transféraient ici ». Elle ajoute que « le transfert se fait vers deux maternités dont une est extrêmement vétuste, celle de Tenon, et à Trousseau ils ont des problèmes de place et de personnel ».
Malika Merbouche : “Je ne comprends pas“
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Graziella Raso, de l’union syndicale AP-HP CGT, dénonce une stratégie marchande : « nous avons la crainte que la fermeture du service maternité ne serve qu’à une chose : à vendre les terrains ». Un projet que dément l’AP-HP qui affirme conserver les locaux pour y installer un service de médecine polyvalente et de gériatrie.
En réalité, si l’AP-HP conserve ses locaux, elle y transfère des activités plus rentables que les services maternité. Son plan stratégique supprime au niveau national près d’une maternité sur trois, selon l’union syndicale. Premier effet de la centralisation de ces services : en province, de plus en plus de femmes n’ont pas le temps d’accéder à l’hôpital et accouchent directement dans l’ambulance. Une situation sur laquelle ironise Rose-Nay Rousseau : « le directeur financier de l’AP-HP vient d’avoir un bébé et je pense qu’il était bien content que sa femme puisse accoucher dans une maternité de proximité ».
Des slogans féministes des années 70 (cliquez pour agrandir l'image).
« Un bond en arrière »
Au delà du problème de proximité, c’est l’accès aux centres d’IVG, souvent attenants aux maternités, qui est remis en cause. Danielle Gaudry, présidente de la confédération du Mouvement français pour le planning familial témoigne de cette évolution : « non seulement on ferme des centres d’IVG avec les maternités, mais en plus on supprime les crédits alloués aux centres autonomes. Avec deux conséquences : soit le nombre d’IVG prises en charge diminue, soit c’est la distance entre la consultation et l’avortement qui augmente. » En Île-de-France, où un quart des avortements français sont réalisés, les délais d’attente s’allongent. Entre la demande et le rendez-vous en consultation, les patientes doivent parfois attendre plus de deux semaines.
Deux semaines qui peuvent se révéler fatidiques pour celles qui s’approchent des 14 semaines d’aménorrhée au bout desquelles la loi française interdit de pratiquer l’avortement. « D’année en année, de plus en plus de femmes sont obligées d’aller se faire avorter à l’étranger alors qu’elles avaient fait leur demande dans les délais légaux. En 2009, le planning familial en a redirigé 800, en 2010 elles étaient 1200. Nous n’avons pas encore les chiffres de 2011 mais la tendance est claire : ça augmente. » Et pour Rose-Nay Rousseau, cette situation est sans équivoque « c’est un bond en arrière pour la liberté des femmes de disposer de leur corps. Elles vont se faire avorter en Hollande, comme dans les années 1970, du temps ou l’avortement était illégal ! »
Danielle Gaudry : “Nous demandons que les femmes qui ont fait leur demande dans les délais légaux puissent avorter en France“
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Dans la cour de l'hôpital Saint-Antoine le 9 février 2012. (cliquez pour agrandir l'image)
La loi de tarification à l’activité en cause
Issue de la réforme hospitalière de 2007, la loi de tarification à l’activité crée une hiérarchie tarifaire des actes médicaux. Alors que les hôpitaux fonctionnaient sur des budgets globaux, ils sont désormais dépendants des recettes issues ces actes médicaux. C’est sur ces recettes qu’ils déterminent désormais leurs dépenses. Or, dans la hiérarchie tarifaire, l’avortement ne se révèle pas très rentable.
C’est comme ça que Danielle Gaudry explique le morcellement du centre d’IVG de l’hôpital Saint-Louis, à Paris, dans des locaux beaucoup plus petits et mal adaptés. Même démarche à Kremlin-Bicêtre où les 250 m2 réservés aux avortements ont été divisés par deux (120 m2). L’espace dégagé doit accueillir un service d’ophtalmologie, beaucoup plus rentable. Pour le transfert du centre d’interruptions volontaires de grossesses (IVG) de l’hôpital Saint-Antoine vers les maternités d’Armand Trousseau et Tenon, Graziella Raso parle d’ « une salle de 9 m2, avec trois fauteuils pour y installer les femmes qui finalisent leur IVG sous anesthésie ». Pour elle, « cette logique marchande est incompatible avec le fonctionnement d’un service publique, surtout que là, c’est sur la santé qu’on fait des bénéfices... »« Et sur les femmes ! » Ajoute Rose-Nay Rousseau.
Graziella Reso et Danielle Gaudry sur la loi de tarification à l'activité
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Mais ces femmes se révoltent peu, comme le constate Danielle Gaudry. « Elles sont tellement culpabilisées par le discours ambiant, la plupart des médecins leur tiennent des propos moralisateurs et elles s’en veulent trop pour se révolter ». Pourtant, le 24 mars prochain,les européennes sont conviées à Bruxelles pour une manifestation en faveur du droit à l’avortement. En attendant, elles (et ils) peuvent aller signer la charte de défense de ce droit sur le site www.abortionright.eu