Fil d'Ariane
Dans un article très complet, le Guardian nous apprend que : "Les Khasis, qui sont environ un million dans l'État indien du nord-est de Meghalaya, perpétuent la tradition matrilinéaire. La fille cadette hérite, les enfants prennent le nom de famille de leur mère et, une fois mariés, les hommes vivent chez leur belle-mère. Les hommes constituent le sexe faible au Meghalaya, mais aujourd'hui ils se révoltent parce que, comme l'explique l'un d'entre eux, 'Les hommes sont doués de leadership naturel. Ils doivent protéger les femmes, qui en retour doivent les soutenir'. Selon Valentina Pakyntein, anthropologue à l'Université de Shillong, le système matrilinéaire remonte à une époque où les Khasis avaient plusieurs partenaires et donc il était difficile de déterminer la paternité des enfants. Mais les militants d'un renversement de tendance au profit des hommes ont une autre explication, et affirment que leurs ancêtres étaient loin de chez eux pendant trop longtemps à faire la guerre pour pouvoir s'occuper de leurs familles."
Le reporter de Radio Canada a constaté la même chose : "De nombreuses femmes dans la rue qui n'ont pas peur d'occuper l'espace public. Des femmes à la tête de commerces. Des femmes qui conduisent sans leur mari. Tout un contraste avec le reste de l’Inde. Ici, les jeunes filles s’habillent comme elles le veulent, sans crainte d’être agressées. « On est conscientes d’être en sécurité ici. On sait que les hommes ont plus de respect chez nous que dans d’autres sociétés », confie une adolescente.
Au prorata de la population, une femme a quatre fois moins de risques de se faire agresser ici que dans la capitale New Delhi et 10 fois moins de subir un attentat à la pudeur, selon les chiffres du National Crime Records Bureau. « Je suis contente d'être une fille, dit une autre adolescente. J'ai toujours été très contente. Comme femme, on a un rôle important à jouer, alors ça me plaît. » Pour comprendre l’importance des femmes dans la culture khasi, il faut commencer par une visite à la maternité.
« À la maternité, on entend des cris de joie quand c'est une fille qui vient au monde, raconte l'infirmière en chef, Fabulous Lynden. Quand c'est un garçon, les parents sont quand même contents, mais on ne les entend pas. » Les parents khasi prient pour mettre au monde une fille, en raison du droit coutumier. Dans les familles khasi, la lignée se fait de mère en fille. C’est la plus jeune des filles qui hérite de la propriété et des biens. À défaut d'avoir une fille, l'héritage revient à une nièce. Les enfants prennent aussi le nom de leur mère. Les parents qui n'ont eu que des garçons ont de la pression de leur famille pour avoir une fille. Dans le reste de l’Inde, les filles sont considérées comme une charge financière et où il arrive encore trop souvent qu’elles soient éliminées avant la naissance."
Comme le tweete une jeune chercheuse indienne, à l'aide de deux clichés bien choisis, en décembre 2017 : "Le matriarcal et matrilinéaire système khasi maintient les hommes à la maison et transfère les richesses aux filles. Le système patriarcal et patrilinéaire des Korwas (Uttar Pradesh au Nord de l’Inde également, ndlr) enferme les femmes à la maison et fait hériter les fils. Ces systèmes différents entraînent des résultats démographiques différents." On ne saurait mieux résumer.
The matrilocal & matrilineal Khasi bring their husbands home & transfer wealth to their daughters. The patrilocal and patrilineal Pahari Korwa bring wives home and transfer wealth to their sons. These different marriage systems create different demographic patterns. #shaktifield pic.twitter.com/5i9vdYD28m
— Shakti Lamba (@lamba_shakti) 13 décembre 2017
Alors des hommes de cette région hors du monde se sont associés pour renverser leur monde. Ils mènent campagne via leur association Syngkhong Rympei Thymai (SRT) - environ 1000 membres, dont beaucoup sont des personnalités influentes etanonymes de peur d'être ostracisés par la communauté et leur belle-famille -, pour qu'enfin leur enclave rejoigne la tradition patriarcale à l'oeuvre partout sur la planète, cet universalisme de domination masculine que décrivait si bien l'anthropologue Françoise Héritier, disparue en novembre 2017, ou encore le sociologue Pierre Bourdieu. Ces hommes khasis ne militent pas pour l'égalité ou la parité mais pour aller au delà et prendre leur tour de cette hégémonie de mâle qu'ils estiment "naturelle" et qu'ils veulent enfin rejoindre. On espère qu'ils n'y parviendront pas...
Et on leur conseillera de revoir les oeuvres complètes de Fearless Nadia (Intrépide Nadia), héroïne adulée du cinéma "bollywoodien" des années 1940. Mary Ann Evans, indienne d'origine australienne, bien en chair et audacieuse, avait appris à monter à cheval, à chasser, à pêcher le poisson (et les hommes), à se battre, à tirer plus vite que son ombre, à sauter de trains lancés à pleine vitesse, etc. Actrice, son mari et producteur de Bollywwod lui offrit un film où sous le nom de Fearless Nadia, elle interprétait une prbncesse partie en croisade contre toutes les injustices... commises par des hommes.
"Hunterwali", autrement dit la "dame au fouet" la propulsa au sommet du box office indien et Fearless Nadia devant un personnage récurrent du cinéma bollywoodien.
Fearless Nadia incarna toute sa vie, malgré sa blondeur, des héroïnes indiennes inspirées par des personnages réels de l'histoire de l'Inde, en particulier contemporaine, des femmes Robin des bois se lançant à l'assaut des corrompus et autres escrocs politiques. Comme la fameuse Phoolan Devi (1963 - 2001), surnommée "reine des brigands". Violée dans son enfance, chef de gang, condamnée en vertu de quarante-huit chefs d'accusation, dont assassinats, pillages, incendies, enlèvements contre rançon, emprisonnée, elle poursuivit ses combats pacifiquement comme députée socialiste du Parlement indien. Avant d'être assassinée à New Delhi en 2001.
Plus d'un siècle auparavant, en 1858, Rani Lakshmibai, souveraine de la province de Jhansi, pris le commandement de la rébellion de sa région contre la puissance coloniale anglaise, à la tête d'une armée forte de 14 000 volontaires, parmi lesquels un fort contingent de femmes…. Elle fut tuée durant la bataille de Jhânsi, à l'occasion de cette action considérée comme la première guerre d'indépendance de l'Inde.
La littérature et l'histoire indiennes regorge de femmes d'une telle trempe. Il serait temps que les écrits déteignent sur les actes, au delà du Meghalaya des Khasis, terre benie pour les femmes.