"Absolument choqué d'apprendre le meurtre de la célèbre journaliste Gauri Lankesh. Je n'ai pas de mots pour condamner ce crime odieux", commentait aussitôt le gouverneur Siddaramaiah (Parti national du Congrès fondé par Mahatma Gandhi). Tandis que les éditeurs de presse d'Inde manifestaient eux aussi leur stupéfaction.
RT @smritikak: Editors Guild # Gauri Lankesh Marde @ htTweets at pic.twitter.com/hIMxBYtakV
— Ritu Khan (@RituSweetie) 6 septembre 2017
L'annonce de ce meurtre a soulevé le coeur sur les réseaux sociaux ondines et au delà, en particulier parmi ses confrères. "Le journalisme n'est rien sans courage. La démocratie n'est rien sans dissidence. Vous resterez inspirante Gauri Lankesh." rappelle une consoeur.
Journalism is nothing without courage. Democracy is nothing without dissent. You had plenty of both #GauriLankesh You live on as inspiration
— Shekhar Gupta (@ShekharGupta) 5 septembre 2017
Gauri Lankesh, qui vient d'être asassinée à Bangalore, est une ancienne du programme Journalistes en Europe fondé par Philippe Viannay.
— Olivier Da Lage (@odalage) 5 septembre 2017
Le portrait de cette routière du journalisme et les circonstances de sa mort évoquent aussitôt une autre grande figue de la liberté de la presse : la Russe Anna Politkovskaïa, assassinée au pied de son immeuble, journaliste rigoureuse qui s'attaquait aux pouvoirs corrompus et absolus de Moscou à Grozny.
A retrouver dans Terriennes :
> Mots et maux d'Anna Politkovskaïa, dans le regard et la voix d'Anne Alvaro
Rédactrice en chef d'un magazine hebdomadaire de société et politique et d'autres revues déclinées autour de lui, Gauri Lankesh était très critique à l'encontre des nationalistes hindous, dont elle pourfendait les tentatives hégémoniques violentes ou les discriminations contre les citoyens "autres", tels les musulmans ou les intouchables. Elle n'hésitait pas à prêter sa voix et sa plume aux opprimé.e.s de tous horizons et en particulier aux femmes. Elle dénonçait le système de castes et celui des élites en général.
Née en 1962 dans une famille d'écrivains et de journalistes, elle avait commencé à écrire dans les colonnes de l'hebdomadaire fondé par son père "Lankesh Patrike", grand admirateur de Mahatma Gandhi, dans la capitale de l'Etat du Karnataka, avant de fonder son propre groupe Gauri Lankesh Patrike.
Article après article, elle dénonçait la domination hindouiste, qui n'était plus pour elle une religion mais "un système de hiérarchie autoritaire dans la société" au sein duquel, "les femmes sont traitées comme des créatures de seconde zone".
Certains préfèreraient me voir en prison
Gauri Lankesh, 2016
Elle était l'une des rares femmes dont la voix comptait et était écoutée dans la presse indienne, n'hésitant pas à s'attaquer à des sujets brûlants comme la corruption de membres du BJP, le parti hindouiste, ultra-conservateur et nationaliste de Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014. Une enquête publiée dans son journal, en 2016, fondée sur des sources internes au BJP, visait trois de ses dirigeants dont elle pointait la prévarication. Une investigation qui lui avait valu un procès pour diffamation. Et une condamnation. Elle avait refusé de dévoiler le nom de ses informateurs pour les protéger.
Après cette sentence pécuniaire, elle avait commenté sobrement : "certains préféreraient me voir en prison."
Avec sa franchise, elle suscitait l'admiration autant que la détestation. On la traitait de "maoïste" ou on lui lançait qu'elle était confite dans sa haine des Hindous. Un rejet de sa personne qui s'exprimait encore aussitôt après sa mort comme le remarque Olivier Dalage, journaliste à RFI, fin connaisseur de l'Inde et de ses journalistes : "Certains semblent trouver qu'être dans l'opposition justifie l'assassinat de Gauri Lankesh".
Some people seem to think being an opponent justifies assassination. #GauriLankesh https://t.co/hah4Tv93mt
— Olivier Da Lage (@odalage) 5 septembre 2017
Gauri était une journaliste jusqu'au bout des ongles
Dakshina Murthy
Dans leur hommages, avec leurs mots tristes, ses amis dessinent l'image d'une femme chaleureuse. Ainsi dans le Hindustan Times :
"Vous entendez que des journalistes sont tués au Mexique, en Turquie, en Ukraine, et dans d'autres contrées ou cités lointaines. Et puis vous soupirez et vous continuez à vivre. Mais lorsque les tueurs arrivent à quelques kilomètres de chez vous et abattent quelqu'un que vous connaissez depuis des années et que vous admirez pour son cran, le choc est paralysant. C'est ce qui a fondu sur moi après l'annonce du meurtre de ma chère collègue Gauri Lankesh. Les souvenirs de ces moments passés avec Gauri à discuter autour d'un café, de politique, ou de tout autre sujet, durant 35 ans, me traversent l'esprit à grande vitesse et me font basculer dans la confusion. Je n'étais alors qu'une stagiaire. Et elle était là, à me pousser, à m'aider. Gauri était une journaliste jusqu'au bout des ongles, dénichant les bonnes histoires, et s'amusant de le faire. (.../...) Nous n'étions pas 'amies' sur Facebook ou Twitter ou WhatsApp ou tout autre média social, parce que nous n'en avions pas besoin pour rester proches."
Dans The Wire, un autre écrit :
"La semaine dernière je lui avais conseillé : 'fais attention à ce que tu postes sur les réseaux sociaux. Nous vivons une époque dangereuse.' Elle m'avait rétorqué : 'Nous ne pouvons pas faire comme si nous étions morts. C'est humain de s'exprimer et de réagir. Ce que nous ressentons de façon impulsive est en général la plus honnête de nos réponses.' Mais ce mardi soir 5 septembre, elle a été tuée de sang froid. Le meurtre n'était pas impulsif. Il a été bien pensé et soigneusement planifié. (.../...)
La plus grande qualité de Gauri était qu'on pouvait toujours discuter, échanger, débattre avec elle, la contredire. Et quelle que soit la férocité de notre argumentation, elle respectait notre droit à dire ce que nous avions envie de dire. Nous sommes restés de proches amis parce que nous pouvions ne pas être d'accord."
Trois balles mortelles pour un meurtre de sang froid
Ce 5 septembre 2017, la journaliste ouvrait la porte d'entrée de sa résidence à Bangalore lorsque trois tueurs à moto l'ont abattue d'une balle dans la tête, une dans le cou et une dans la poitrine. Après avoir tiré sept coups de feu.
"J'ai parlé au directeur général de la police et l'ai chargé de mener une enquête rapide et approfondie pour mener les auteurs devant la justice", a encore annoncé le gouverneur. Ce qui laisse sceptiques certains de ses admirateurs sur la volonté réelle d'arrêter ses assassins. "Imaginez que Gauri Lankesh ait été armée et qu'elle ait abattu ses assaillants. Le BJP (parti au pouvoir, ndlr) aurait réuni tant de charges contre elle afin de la garder en prison pour toujours !" commente un militant communiste.
Imagine if #GauriLankesh was armed and took down her killers. BJP would have slapped so many charges on her to keep her in court forever!
— ☭ Comrade Nambiar ☭ (@JagoSarbahaara) 6 septembre 2017
L'Etat méridional du Karnataka est le théâtre depuis plusieurs mois de meurtres de militants, d'universitaires et d'écrivains. Selon l'ONG Reporters sans frontières (RSF), l'Inde se classe 136ème au classement mondial de la liberté de la presse.
Ses lecteurs écrivent encore : "Cela brise le coeur de relire les derniers tweets e Gauri Lankesh"
It is heart breaking to see the (last) tweets of Gauri Lankesh mam
— Raghu#DestroyAadhaar (@roamingraghu) 6 septembre 2017
Dans l'un de ses derniers "posts" elle s'interrogeait : « Pourquoi donc est-ce que je ressens que certains d'entre nous combattent contre nous mêmes ? Nous savons pourtant tous qui est notre plus grand ennemi. Pouvons-nous réfléchir à cela ? »
why do i feel that some of `us' are fighting between ourselves? we all know our ``biggest enemy''. can we all please concentrate on that?
— Gauri Lankesh (@gaurilankesh) 4 septembre 2017
Ces fausses nouvelles qu'elle dénonçait alors concernaient surtout le sort fait aux Rohingyas, ces musulmans de Birmanie persécutés par le pouvoir de Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et autrefois soutenue par les militants des droits humains du monde entier. Une politique ségrégationniste soutenue par le parti au pouvoir en Inde. « Les ‘terroristes’ Rohingyas ‘tueraient des Hindus, brûleraient leurs maisons et leurs temples ? Lisez et vérifiez. Pas de fake news ! »
#WebQoof | Are Rohingya ‘terrorists’ killing Hindus and burning their homes & temples? Read verified, not fake news.https://t.co/JGEpNNQACJ
— The Quint (@TheQuint) 5 septembre 2017
A relire aussi dans Terriennes :
> Kim Wall : quand le meurtre d'une femme, journaliste, se transforme en polar médiatique
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1