Les filles ne sont pas toujours bienvenues en Inde. Vécues comme un fardeau, des familles les éliminent avant leur naissance, parfois juste après. Un phénomène qui ne régresse pas, au contraire, creusant le déficit de filles dans l'un des deux pays les plus peuplés au monde. Avec des conséquences économiques, sociales et sociétales.
En Inde, les raisons avancées pour ne pas vouloir de filles sont toujours les mêmes : économiques, sociales, claniques, au premier rang desquelles échapper à la dot qui ruine les familles lorsqu'il faut marier les filles. "
Personne ne veut accoucher d'une fille. On préfère se faire nettoyer." confie une jeune femme dans le reportage ci-dessus.
Selon une étude de 2011 publiée par la revue britannique
The Lancet, quelque 12 millions de foetus féminins auraient été avortés en raison de leur sexe au cours des 30 dernières années. L'Inde compte 782 femmes pour 1000 hommes, selon le dernier recensement connu, contre 940 en 2011 et 933 et 2001, une évolution négative qui, selon certaines ONG, justifie l'actuelle politique d'interdiction des tests prénataux. Le déficit féminin pour l'ensemble du pays serait désormais de plus de 63 millions de filles, presque l'équivalent de la population française.
Quand l'urgence déclenche des propositions à contre temps
En février 2016, Maneka Gandhi, ministre indienne des femmes et de l'enfance avait proposé de rendre obligatoire les tests prénataux de détection du sexe de l'enfant à naître afin de réduire le haut niveau de foeticide des filles. Une idée à l'envers de ce qui devait être fait pour la classe politique indienne. La proposition avait aussi soulevé un tollé, parmi les éditorialistes et les associations de défense des droits des femmes. Il faut dire que l'on a un peu de mal à suivre le raisonnement ministériel. Si tous les parents connaissent légalement le sexe de leur enfant à naître, ne vont-ils pas encore plus pratiquer de naissances sélectives ? On suppose que dans l'esprit de la ministre avait germé l'idée que les grossesses en étant mieux suivies par ce biais, les personnels soignants pouvaient empêcher les avortements de foetus féminins.
Nous savons que nous allons créer un mouvement public parmi les jeunes.
Rakesh Kumar du ministère de la Santé
Plus sérieusement et patiemment, Rakesh Kumar du ministère de la Santé, tente par un travail de fourmi, de renverser la tendance en faisant campagne dans les universités et les lycées, auprès des futurs parents. Parce qu'il sait que contre les tentatives de corruption exercées par les parents auprès des personnels de santé pour connaître le sexe de leur futur enfant, seule l'éducation pourra renverser la tendance. "Parfois les bébés filles sont tuées avec du lait empoisonné ou enterrées vivantes, sous le sable. Et certaines sont privées de nourriture pour qu'elles ne survivent pas.", explique-t-il calmement pour impulser un électrochoc à son audience. L'homme est pourtant optimiste : "Nous savons que nous allons créer un mouvement public parmi les jeunes."
En Inde, il y aujourd'hui un énorme fossé entre la loi et la pratique : si parents et médecins risquent jusqu'à cinq ans de prison lorsqu'ils demandent le sexe de l'enfant ou font un test prénatal, cette pratique reste répandue. Le Premier ministre Narendra Modi ne cesse d'exhorter les Indiens à cesser de "tuer" les foetus féminins, estimant que le déséquilibre entre les sexes peut avoir de graves conséquences.
Pense-t-il alors seulement aux conséquences économiques et familiales ? Ou voit-il les effets de l'accroissement d'un monde d'hommes sur l'augmentation des viols, souvent en réunion ? La plus grande démocratie du monde n'en finit pas d'êttre secouée par des crimes et agressions sexuelles graves, répétées.
Et ailleurs ?
Dans des pays comme la Chine, l’Inde ou le Pakistan, le nombre de garçons dépasse celui des filles de plus de 10%. On estime que d’ici 2030, on pourra compter jusqu’à 1200 garçons pour 1000 filles dans ces pays. On assiste bel et bien à une génération féminine perdue en Asie, puisque cette tendance frappe aussi dans une moindre mesure des pays comme la Corée du Sud ou la Thaïlande.
Les raisons de ces rapports déséquilibrés sont diverses. Pour la Chine, la politique natale de l’enfant unique a fait beaucoup de tort au genre féminin, les parents préférant bien souvent donner naissance à un fils (les « enfants-empereurs »). De plus, dans les pays de tradition confucéenne, seul le fils peut succéder aux parents et perpétuer le culte des ancêtres. En 2005, on estimait à 32 millions le nombre de Chinoises « manquantes ».
Au Pakistan, comme en Inde, la pauvreté de nombreuses familles pousse ces dernières à préférer les garçons aux filles ; lors des mariages, la famille de l’épouse doit verser une dot à celle du marié, un coût que tous ne peuvent pas se permettre. Par ailleurs, on estime que les hommes sont plus productifs que les femmes, et en cela plus « rentables » pour les familles les plus démunies.
Le poids des migrations aussi
Dans les pays du Golfe (Emirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn, Koweït) où une grande partie de la main d’œuvre est d’origine étrangère, les travailleurs migrants n’ont bien souvent pas la possibilité de faire venir leurs familles. Aussi, on assiste à des déséquilibres statistiques de fait, avec parfois plus de 2000 hommes pour 1000 femmes.
A terme, si la proportion de filles par rapport aux garçons continue d’être aussi déséquilibrée, c’est toute une frange de la population qui ne pourra pas être renouvelée.
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