Fil d'Ariane
Les maths, c'est pas pour les filles ? En Iran, la couverture d'une nouvelle édition d'un manuel de mathématiques destiné aux élèves d'élémentaire ne montre plus que des garçons. Dans le pays qui a vu naître Maryam Mirzakhani, lauréate de la médaille Fields, la pilule a du mal à passer. Face à l'indignation générale, le ministre de l'Education iranien a fini par présenter des excuses, mais la couverture ne pourra être changée que pour la rentrée 2021...
République islamique d'Iran, 5 septembre 2020, c'est la rentrée des classes et les élèves se voient remettre leurs nouveaux manuels pour l'année. Le soir, ils et elles les montrent fièrement à la maison. Certains parents se souviennent de ce livre de maths. Ils l'ont déjà vu chez leurs aîné.es, peut-être même ont-ils eux-mêmes appris en tournant ses pages. Mais là, stupéfaction : sur la couverture de la nouvelle édition, il manque quelqu'un... ou plutôt quelques unes : les deux petites filles qui figuraient sur la couverture originale ont disparu. L'illustration présente désormais trois garçons sous un arbre en formules mathématiques.
Les écoles sont tenues d'utiliser les manuels du ministère, dont les couvertures et le contenu sont sujets à modifications selon des considérations éducatives, religieuses et révolutionnaires. Celle-là passe mal. Sur Twitter, plusieurs réactions dénoncent de façon plus ou moins crue cette discrimination sexuelle, cet arrachement symbolique des filles à un milieu scientifique où elles sont pourtant si nombreuses à briller :
Here is #Iran, Birthplace of Prof #Maryam_Mirzakhani, World Mathematics Genius. Here the pictures of Girls are removed from cover of Third Grade Math Textbook by the Ministry of Education. There is no equality between Men and Women. There is no #Human_Rights#poor_Iran pic.twitter.com/8wHst3rUBa
— Ali Ghafar Rahimi (@AliGhafarrahimi) September 11, 2020
Iranian netizens' reaction to erasing girls from the cover image of #Iran's third-grade math books by the education ministry.
— IranNewsUpdate (@IranNewsUpdate1) September 11, 2020
Authorities' misogynistic nature does not let them burden the image of girls and #women on education books, let alone... pic.twitter.com/fMcMDwCkLD
The reality of school books in #Iran.
— Iran Arab Spring (@IranArabSpring) September 11, 2020
The authorities are removing girls from the third class #mathematics book cover and eventual from classes and society pic.twitter.com/eHQ9fpCQNF
"La figure la plus prestigieuse des Mathématiques en Iran cette dernière décennie était une femme nommée Maryam Mirzakhani, et vous enlevez des filles de la couverture d'un manuel de mathématiques ?" s'indigne un internaute. Une instagrameuse réagit en recouvrant l'illustration privée de filles d'un portrait de cette scientifique décédée en 2017 à l'âge de 40 ans, qui reste, à ce jour, l’unique lauréate féminine en plus d'un siècle d'existence du prix Fields, équivalent du prix Nobel de mathématiques.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Azadeh Shafiee (@azadeh__shafiee) le 11 Sept. 2020 à 1 :56 PDT
Parents, écoliers et autres internautes ont laissé libre cours à leur créativité pour corriger l'"oubli" et ajouter des personnages féminins sur la couverture.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par Sky of kindness (@winx.club_support_forum) le 11 Sept. 2020 à 2 :12 PDT
Nasim Bahary, illustratrice, il y a sept ans, de la couverture originale du manuel mathématiques, a réagi sur Instagram et évoqué un changement "à peine croyable". La vice-présidente iranienne chargée des Femmes et de la Famille, Massoumeh Ebtékar, a, elle, jugé la semaine dernière que "les préoccupations du peuple étaient légitimes, les filles ne peuvent être ignorées". Mais elle a également noté que d'autres couvertures de manuels modifiées, dont un livre de sciences représentant trois filles, montraient qu'il n'y avait pas d'intention de discriminer. Dans un communiqué, l'organisme ministériel en charge des manuels a indiqué que la couverture avait été modifiée car trop chargée : "l'illustration précédente était trop encombrée avec trop de formules mathématiques", selon les experts en esthétique et psychologues du ministère.
Le quotidien en persan Shargh critique le ministère pour la conception de ses manuels en général : citant des statistiques de l'ancien ministre Javad Hosseini, le journal souligne que "70 % des noms et des dessins sont masculins" et que les femmes sont largement sous-représentées dans les contenus pédagogiques, alors que, dans ce pays, 57 à 60% des étudiants sont des étudiantes. Devant la vague de critiques le ministère iranien de l'Education a annoncé que la couverture du manuel dont des petites filles ont été retirées serait modifiée l'année prochaine. "Un acte de mauvais goût a été réalisé en retirant l'image des filles, nous nous excusons donc et corrigerons cela", a déclaré Mohsen Hadji Mirzaï, cité par l'agence officielle Irna. Toutefois, "les manuels ont déjà été imprimés et distribués, donc la couverture ne changera pas avant l'année prochaine", indique le bureau des relations publiques du ministère.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par princess Peransa (@peransa.salehi) le 12 Sept. 2020 à 2 :30 PDT
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