En Iran, Parastoo Ahmadi "refuse d'arrêter de chanter pour le pays qu'elle aime"

Elle a osé défier la loi en chantant sans voile sur Youtube. L'Iranienne Parastoo Ahmadi a été arrêtée et interrogée pendant plusieurs heures dans le nord du pays, puis relâchée, ainsi que ses musiciens. Le pouvoir judiciaire iranien annonce un procès.

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Parastoo Ahmadi

La chanteuse iranienne Parastoo Ahmadi se montre sans voile lors d'un concert dont la vidéo a été postée sur internet.

capture d'écran Youtube
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"Je suis Parastoo, la fille qui ne peut garder le silence et refuse d'arrêter de chanter pour le pays qu'elle aime, écrit Parastoo Ahmadi sur Youtube. Ecoutez ma voix dans ce concert imaginaire et rêvez d'une Nation libre et belle".

Longue robe noire près du corps, épaules dénudées et sans foulard sur les cheveux, sa tenue viole ouvertement les règles imposées par la République islamique... Ce geste, Parastoo Ahmadi l'a très vite payé en se faisant arrêter par la police des moeurs iranienne. 

Taire la voix des femmes

La date de la prestation d'une trentaine de minutes, sans public, n'est pas précisée. Mais elle semble avoir été tournée en Iran. On voit la chanteuse accompagnée de son groupe, quatre hommes, dans la lumière tamisée du patio d'un caravansérail traditionnel. Ce concert semble être la première de plusieurs prestations filmée à l'extérieur. Or depuis la révolution islamique de 1979, les Iraniennes doivent couvrir leurs cheveux et ne peuvent chanter seules en public.

Pendant près de trente minutes, la chanteuse de 27 ans interprète des morceaux folkloriques, des compositions de son groupe, ainsi qu'un chant révolutionnaire emblématique de la contestation iranienne. Ce dernier, connu sur les réseaux sociaux depuis les années 2000, évoque le sacrifice de la jeunesse pour la nation. Il a pour titre Az Khoon e Javanan e Vatan ("Du sang de la jeunesse de la nation"), et est devenu l'un des hymnes de la contestation. En juin 2023, elle interprète L'air de la liberté, une chanson écrite par Fatemeh Dogoharani, autre hommage au mouvement "Femme, Vie, Liberté". Trois mois plus tard, elle fait l'objet de poursuites judiciaires et se retrouve convoquée devant le tribunal de sécurité de Téhéran.

Au cours de ces dernières années, Parastoo Ahmadi a conquis un grand nombre d'admirateurs (plus de 14 000 abonnés) en postant ses chansons sur son compte Instagram, qui vient d'être désactivé. Son compte YouTube reste toutefois accessible. La vidéo postée sur cette plateforme bloquée dans le pays, mais qui reste accessible par le biais de logiciels de contournement, a rapidement attiré l'attention internationale, cumulant presque deux millions de vues en quelques jours. 

Un procès ?

Sans la nommer, l'agence de presse de la justice iranienne dénonce le fait qu'un "groupe dirigé par une chanteuse" ait produit "de la musique sans respecter les règles légales et religieuses". Les autorités sont "intervenues et ont pris les mesures appropriées, ouvrant des poursuites contre la chanteuse et la production", précise l'agence Mizan.

Selon le journal L'Orient Le Jour, l'avocat de la jeune femme, cité dans des médias, notamment celui de l'opposition Iran International, confirme "l'arrestation de Parastoo Ahmadi, de son guitariste Soheil Faghih-Nassiri et de son pianiste Ehsan Beiraghdar... Ils ont tous été arrêtés 'séparément', selon l'avocat Milad Panahi-Pour. Il a souligné que la chanteuse avait été appréhendée 'dans la province de Mazandaran'".

En direct le 15 décembre 2024 dans le journal le 64', le correspondant de TV5MONDE, Saviosh Gazhi précise que la chanteuse a été libérée à 3 heures du matin, avec la promesse de se présenter à la justice, "même chose pour ses musiciens", ajoute le journaliste. La jeune femme risque la prison pour n'avoir pas respecté la loi interdisant aux femmes de se présenter les cheveux découverts. 

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Le 23 décembre 2024, la chanteuse a été convoquée par un tribunal de Téhéran : "Les charges retenues contre elle lui ont été expliquées et elle a été libérée contre une caution d'environ 38 500 dollars", selon le quotidien Ham Mihan, qui précise que "les charges ont également été expliquées aux musiciens du concert... et qu'ils ont été libérés contre une caution d'environ 25 500 dollars".

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Loi "moralité et hidjab"

Une nouvelle loi devait entrer en vigueur le 13 décembre 2024, durcissant encore les peines réservées à celles qui ne respectent pas le strict code vestimentaire imposé aux Iraniennes.

Le gouvernement a finalement décidé de ne pas promulguer la nouvelle loi, adoptée par les conservateurs, mais fortement contestée, comme l'explique Saviosh Gazhi, non seulement sur les réseaux sociaux, via une pétition signée par les réalisateurs de cinéma, entre autres, mais aussi par le gouvernement lui-même, et par le président iranien. Un nouveau projet de loi va être présenter pour assouplir les dispositions prévues par le texte initial et "cela va prendre plusieurs mois", précise le journaliste.  
 

Sur son site, l'organisation Amnesty International explique que les femmes pourraient encourir la peine de mort si elles enfreignaient le texte sur "la promotion de la culture de la chasteté et du hidjab". "Cette loi honteuse intensifie la persécution des femmes et des filles qui osent se battre pour leurs droits", dit Diana Eltahawy, directrice adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord pour Amnesty. 

Un vaste mouvement de contestation a secoué tout le pays après la mort en détention, en septembre 2022, de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, arrêtée pour infraction au code vestimentaire.

"Un concert historique"

Sur les réseaux, les réactions de soutien à la chanteuse se sont multipliées, à commencer par celle de l'avocate iranienne et Prix Nobel de la Paix, Narges Mohammadi, récemment libérée pour raisons de santé. "Parastoo Ahmadi a été arrêtée pour avoir donné un concert en direct en ligne sans hijab, défiant ainsi le code vestimentaire de la République islamique. Ses camarades de groupe, #EhsanBeiraghdar et #SoheilFaghihNassiri , ont également été arrêtés. Nous sommes profondément préoccupés et exigeons leur libération immédiate", écrit-elle sur X, anciennement Twitter. 

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Karim Sadjadpour, expert du think tank Carnegie Endowment, a pour sa part salué un "acte de courage extraordinaire" qui creuse "une nouvelle faille dans les fondations de la théocratie en décomposition de l'Iran". "Les Iraniennes continuent de nous bluffer par leur courage", note de son côté Farid Vahid, de la Fondation Jean Jaurès à Paris, évoquant un "magnifique acte de résistance".

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La dissidente en exil Masih Alinejad a salué un concert "historique", proclamant depuis les Etats-Unis que "sa voix (est) une arme contre la tyrannie, son courage une ode à la défiance". Sur X, elle a aussi tenu à rendre hommage à deux autres jeunes femmes qui, elles aussi, ont publié une vidéo en soutient à Parastoo Ahmadi, en chantant sans voile. Voici ce qu'elle écrit "Parastoo Ahmadi a été arrêtée et interrogée pour avoir défié l'interdiction faite aux femmes de chanter. Dans un puissant acte de solidarité, ses sœurs Samin et Behin Bolori ont risqué leur arrestation pour sortir cette chanson émouvante en soutien à Parastoo. Si vous voulez avoir un aperçu de l’Iran sans le régime islamique, ne cherchez pas plus loin que ces images. Des femmes courageuses à l’intérieur du pays le construisent déjà : un Iran laïc ancré dans la paix, la justice et l’amitié, dans le pays, dans la région et dans le monde entier. Le régime peut tenter de les faire taire, mais leurs voix résonneront plus fort que son oppression".

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