Nous sommes le lendemain des élections législatives (2013) en Norvège. Erna Solberg, 52 ans, futur Premier ministre (Première ministre comme disent les Québécois), affronte la meute médiatique devant son domicile (modeste). Comment a-t-elle dormi ? A-t-elle fêté la victoire (écrasante) ?
- Oui, j’ai fait la lessive, dit-elle.
- Et j’ai dormi. J’étais un peu fatiguée.
Comme c’est typique de la part d’Erna Solberg. Leader du parti conservateur norvégien depuis 2004, elle n’oublie jamais de se mettre au niveau de tout un chacun, même dans les grands moments. Dans son discours, le soir dsu scrutin, devant un parterre de fans sur excités, elle a remercié plusieurs fois « la base », y compris son mari et ses enfants qui ont assuré le travail à la maison et lui ont permis de gagner. Ce qu’elle n’a pas dit devant la forêt de micros tendus, c’est qu’elle se rendait directement à sa première réunion avec les quatre autres leaders de la coalition gagnante, pour attaquer les négociations en vue de la formation du prochain gouvernement. Avant de partir, elle n’a pas oublié d’inviter tout le monde à partager le «bløtkake» (gâteau à la crème) au siège du parti, pour fêter la victoire.
"La Merkel norvégienne"
Voilà donc Erna en quelques gestes, comme l’appellent depuis longtemps affectueusement les Norvégiens. La reine de la nuit, comme la surnomment les journaux après son raz-de-marée électoral. Portée aux nues la veille, retombant sur ses pieds et dans le rythme du quotidien quelques heures après. Les médias étrangers lui ont déjà trouvé d'autres surnoms : « Jern-Erna », "dame de fer" comme Thatcher. Ou « La Merkel norvégienne ». Peut-être, en effet, qu’Erna Solberg a les qualités ou les défauts de ses collègues britannique et allemande. Mais elle est avant tout terriblement elle-même. Juste Erna.
Tombée dans la politique dès la fin de ses études (sociologie, économie sociale, sciences politiques). Elue de sa région, Hordaland, battue par les fjords à l’Ouest dès 1989. Mariée à Sindre Finnes, du Medef norvégien et mère de deux enfants. Le partage des tâches fut vite réglé. Sindre a toujours assuré la base arrière, quitte à renoncer à une plus belle carrière. La boss c'est elle. Depuis toujours. En plus, il ne fait pas le poids – littéralement. Erna avoue sa faiblesse pour les bonnes choses, et en abuse. Avant les élections, elle aurait maigri de 30 kilos, et s’est laissée photographier en plein exercice. Elle veut vivre plus sainement, et n’a fêté sa victoire qu’avec de l’eau.
Une femme de poids
Son poids politique ne se mesure pas en kilos, mais elle ne boxe que dans la catégorie des poids lourds, et prend les rênes du parti dès 2004. Avec un seul but : ravir le pouvoir aux sociaux-démocrates. En 2001, ceux-ci perdent les élections, mais le temps n’est pas encore venu pour Erna Solberg, qui devient seulement ministre des Affaires locales et des régions. Elle se fait tout de même remarquer par son franc-parler, notamment à propos du réfugié politique Mollah Krekar (un kurde irakien, islamiste radical fondateur du groupe Ansar al-Islam, et qu'elle avait décidé d'expulser en 2003, ndlr). Les soutiens de celui-ci la menacent de mort. Elle n’en a cure, et continue de vivre comme elle l’entend – proche des gens.
Elle approuve la manière dont son rival politique, Jens Stoltenberg, a géré la crise après les attentats d’Anders Breivik en 2011, et attend tranquillement son heure. Qu’elle doit cependant partager avec l’ancien parti politique de Breivik, justement, le Parti du Progrès. Toujours populiste et xénophobe, mais un peu moins extrêmiste. Son leader charismatique, Siv Jensen aura un poste de choix, peut-être les Finances. Erna Solberg n’a pas peur. C’est elle, la boss.
Sans peur mais pas sans reproche
Mais elle pourrait avoir à naviguer en eaux parfois troubles avec ce partenaire vorace et exigeant, qui veut que les Norvégiens « sentent la différence dans leur portefeuille ».
Moins d’impôts, plus d’argent public pour les hôpitaux, les routes etc. Et d’où viendra-t-il, cet argent frais ? Du fonds pétrolier, la cagnotte des Norvégiens jusqu’ici gérée avec une extrême prudence, afin d’assurer des revenus aux générations futures.
Erna Solberg ne souhaite pas changer les règles, notamment celle de ne jamais dépasser 4 % des intérêts pour le budget de l’Etat. Ca peut être difficile à tenir. Tout comme la promesse électorale imprudente (et sur laquelle elle est revenue), de supprimer le congé de paternité (14 semaines rémunérées). Les courants politiques libéraux voulaient que les pères décident eux-mêmes, que cela ne soit pas automatique. Erna Solberg a dû trancher. Comme souvent. Et sa main ne tremble jamais.