Fil d'Ariane
"Cela a été fantastique d'être ministre des Transports et des Communications et, en fait, j'aurais bien continué toute ma vie. Mais je suis maintenant arrivé à un carrefour dans la vie où c'est au tour de ma femme de poursuivre son rêve. C'est un accord que nous avions conclu il y a de nombreuses années."
Ketil Solvik-Olsen
Bienvenue en Norvège, pays où les hommes n'hésitent pas à quitter, parfois, le devant de la scène au bénéfice de leur conjointe. Le 30 août 2018, en direct à la télévision norvégienne Tv2 Nyhetskanalen, Ketil Solvik-Olsen, ministre des Transports et des communications depuis cinq ans, et membre du parti du Progrès, formation de droite anti-immigration annonce qu'il abandonne son fauteuil. Le ministre s'explique. Il a décidé de suivre son épouse Tone Solvik-Olsen aux Etats-Unis, où elle a accepté pour un an un poste de médecin dans un hôpital pour enfants.
HA ha ha ..
— Louisette Libert (@LibertLouisette) August 31, 2018
Ces hommes nordiques son moins patriarcal que ceux de nos pays latins Ketil Solvik-Olsen a renoncé à son ministère pour que son épouse poursuive sa carrière dans un hôpital pour enfants aux États-Unis pic.twitter.com/TGDzwZSfG5
La décision de Ketil Solvik-Olsen a été saluée comme un geste exemplaire pour la parité femmes-hommes sur les réseaux sociaux. Ce geste inédit chez un ministre en Norvège s'inscrit tout droit dans la lignée de ce royaume, pionnier comme les autres pays nordiques en la matière. Dans le dernier rapport du Forum économique mondial sur l'égalité femmes-hommes, la Norvège arrive en deuxième position derrière l'Islande. "Ici, souvent il y a au sein du foyer une sorte d'accord tacite, c'est chacun son tour, soit le père travaille pendant une certaine période, soit la mère, et cela se fait de manière assez naturelle et organisée", nous explique la journaliste norvégienne Vibeke Knoop-Rachline, "mais à ce niveau de l'Etat, c'est jusqu'ici du jamais vu !".
Outre les réseaux sociaux, à droite comme à gauche, la scène politique norvégienne applaudit, elle-aussi, au choix de Ketil Solvik-Olsen. D'ailleurs, l'ex-ministre bénéficie d'une incroyable popularité : "de tous bords, on s'accorde à dire qu'il s'agissait d'un très bon ministre et qu'il faisait du bon travail pour les transports norvégiens", nous confie Vibeke Knoop-Rachline, correspondante à Paris pour plusieurs organes de presse norvégiens et suédois, et qui revient justement d'Oslo.
«Un ministre Norvégien démissionne au profit de la carrière de sa femme» Ketil Solvik-Olsen est membre d'un parti nationaliste conservateur. Faudra un jour arrêter de s'extasier devant la récupération féministe de l'extrême droite.
— Seb (@sebasqien) August 31, 2018
Néammoins, certains observateurs émettent des réserves sur les motivations profondes de cette décision et sur sa possible récupération politique, comme le relève un certain @sebasqien sur Twitter. Le parti du Progrès (Fremskrittspariet en norvégien abrégé en FrP, ndlr), est certes dirigé par une femme, Siv Jensen, et siège depuis 2013 aux côtés des conservateurs de la Première ministre Erna Solberg, au sein d'une coalition élargie depuis un an au petit parti libéral de centre-droit (lui aussi présidé par une femme). Mais le progrès qu'il prône à travers son nom n'est qu'une facade, cachant des valeurs plus populistes que progressistes, on le présente comme un parti à la droite de la droite, anti-immigration et anti-islam.
"Ici on ne dit plus parti d'extrême-droite pour le parti du Progrès, ajoute Vibeke Knoop-Rachline. On parle plutôt d'un parti populiste conservateur. Depuis qu'il participe à la coalition, il s'est extrêmement banalisé, c'est un parti soi-disant comme les autres, sans problème. Et pourtant c'est le neuvième ministre membre de ce parti à quitter le gouvernement en quelques mois. A croire que quelque chose ne tourne pas si rond au sein de cette formation !".
Si le départ de Ketil Solvik-Olsen est volontaire, ceux qui l'ont précédé ne l'étaient pas. Ce qui a eu pour effet de ternir quelque peu le blason en quête de dorure de ce mouvement. Exemple : la démission forcée de la ministre de la Justice, Sylvi Listhaug fin mars 2018 . Cette passionaria de la politique norvégienne, au terme d'une polémique sans précédent, avait fini par se faire exclure, et cela malgré des excuses répétées, pour un post publié sur sa page Facebook. Elle y accusait le parti travailliste de considérer que « les droits des terroristes sont plus importants que la sécurité de la nation ».
Cette vindicte intervenait en plein débat sur la déchéance de nationalité, qui a fait beaucoup parler en Norvège en ce printemps 2018. Finalement, le 15 mars, le Parlement adoptait un amendement permettant de faire perdre la nationalité norvégienne à une personne possédant une double nationalité et condamnée pour terrorisme, génocide ou crimes contre l'humanité.
(Sur Facebook, l'ex-ministre remercie tous ceux qui l'ont soutenue après son éviction du gouvernement, ici on la voit posant au milieu des bouquets de fleurs qu'elle a reçus.)
Malgré cet incident de parcours, Sylvi Listaug reste la jeune star montante du Parti du Progrès. Au tout début septembre, son parti l'a choisie comme numéro 3. Ce qui fait d'elle une rivale de plus à la populaire Erna Solberg, l'actuelle Première ministre conservatrice, "une manière de revenir par la grande porte", commente notre consoeur norvégienne.
Mais l'été norvégien a surtout été rythmé par un feuilleton digne d'un roman de gare ou d'espionnage, c'est selon. Le départ forcé de Per Sandberg, ex-ministre des Pêches, également "à cause" d'une femme mais pour bien d'autres raisons... L'homme s'est fait prendre la main dans le sac de ses contradictions. Après avoir tenu des propos xénophobes, et appellé la Norvège à expulser les réfugiés bénéficiant de l'asile politique, le voilà évoquant publiquement son coup de foudre pour une jeune femme originaire d'Iran, elle-même réfugiée politique. Les photos de son voyage en Iran postées quotidiennement par la jeune élue de son coeur, Bahareh Letnes, ex-miss beauté, de 30 ans sa cadette, ont fait résonner les alertes twitters de ses abonnés et alimenté les Unes des quotidiens.
PST har startet undersøkelser av Bahareh Letnes.https://t.co/YmGuLoUo17 pic.twitter.com/hnhipDYgY8
— NRK (@NRKno) 10 août 2018
(Le PST (les renseignements norvégiens, ndlr) ouvre une enquête sur Bahareh Letnes)
Ajoutant au scandale, le ministre qui n'avait pas prévenu ses collègues de ce séjour privé en terre iranienne, y avait emporté son téléphone de service, contenant des informations potentiellement sensibles. Le service norvégien de contre-espionnage aurait même soupçonné la jeune femme d'être manipulée par les services iraniens afin de se rapprocher d'un membre du gouvernement. Déboutée trois fois de sa demande d’asile en Norvège et expulsée, elle avait finalement obtenu un permis de séjour au motif qu’elle risquait un mariage forcé en Iran, avec un homme choisi par son père, de 30 ans son aîné. La sécurité intérieure norvégienne a ouvert une enquête sur sa personne, même si elle nie tout lien avec le régime iranien.
(Un beau trio de leaders ! Maintenant, nous allons nous battre pour une forte majorité d'extrême droite lors des élections municipales. Nous pouvons le faire !
-A gauche de l'image Sylvi Listaug, Siv Jensen au centre, et Ketil Solvik-Olsen à droite, ndlr)
En politique, le mot fin n'existe pas, en revanche le jeu des chaises musicales est une pratique courante. Le départ forcé de Per Sandberg, numéro 2 du Parti du progrès semble bénéficier directement à ... Ketil Solvik-Olsen. L'ex-ministre vient de récupérer le poste de vice-président du Parti populiste, qu'il va donc remplir à distance, depuis les Etats-Unis. Ce qui est, là aussi, une première. Beaucoup lui prédisent donc encore un bel avenir, et sa pause ne pourrait être que temporaire. Un homme choisit la carrière de sa femme, avant de mieux se consacrer à la sienne ?