Fil d'Ariane
Mise à jour le 23 septembre 2016
La proposition d'initiative citoyenne déposée par le comité "Stop Avortement", un regroupement ultra-conservateur, bannissant complètement l'avortement, à une exception extrême près - lorsque la vie de la femme enceinte est en danger immédiat - a été envoyée à la Commission de la Justice et des Droits de l'Homme, par le vote d'une forte majorité des députés, afin d'en obtenir l'approbation définitive. Le texte libéral "Sauvons les femmes" autorisant l'IVG sans conditions jusqu'à la 12e semaine de la grossesse a lui été définitivement rejeté en première lecture.
Ce jeudi 22 septembre fut bien le début d’un sombre automne en Pologne, voire d’un hiver, pour les militantes du droit à l’avortement non seulement dans ce pays de l’Union européenne, mais d’ailleurs. Le Parlement polonais, était invité à se prononcer sur une proposition de loi très controversée interdisant de facto l’avortement, pourtant pratiquement déjà complètement interdit depuis 1993, après la transition politique et la fin de la gouvernance communiste. A l’initiative du texte, le comité «Stop Avortement» qui regroupe des organisations pro-vie, désormais, enceinte à l’âge de 11 ans, une jeune fille violée par son propre père n’aurait plus d’autre choix que de mener sa grossesse à terme. De même, une femme qui risque fortement de mourir en couches ou d’accoucher d’un bébé mort-né, ne pourra pas demander d’IVG.
Un autre projet, « Sauvons les femmes » et allant dans le sens inverse, celui d’une libéralisation de l’Interruption volontaire de grossesse, figurait à la même session. Mais ses chances d’être adopté étaient nulles: le parti ultra-conservateur Droit et Justice (PiS), proche de l’église et au pouvoir depuis octobre 2015, détient à lui seul la majorité absolue au Parlement.
Parallèlement, un autre projet de loi, visant à limiter de manière radicale la fécondation in vitro, déjà non remboursée, devait être adopté. La congélation d’embryons étant qualifiée par les initiateurs de ce texte d’«avortements raffinés». Il a lui aussi été adopté et envoyé en Commission...
Mais les prélats trouvent, comme la Première ministre Beata Szydlo et le président Andrzej Duda (tous deux membres du PIS), que la législation était encore bien trop laxiste. Les dignitaires catholiques avaient soigneusement choisi leur date pour promouvoir leur idée : à la veille du lundi 4 avril 2016, « journée de la sainteté de la vie », ils ont lancé un appel au gouvernement, l’incitant à légiférer pour l’interdiction totale de l'avortement. Une initiative aussitôt approuvée par la cheffe du gouvernement "à titre personnel".
« En ce qui concerne la vie des non nés, on ne peut pas en rester au compromis actuel exprimé dans la loi du 7 janvier 1993, qui autorise l’avortement dans trois cas », écrit l’épiscopat, rejoint par de nombreuses associations de militants "pro-vie" (par opposition aux "pro-choix" favorables à la libre disposition de leur corps par les femmes), irréductibles sur ce sujet.
Face à ce mélange de vox populi et de croisade d'un autre âge, des Polonaises courageuses sont décidées à réagir par tous les moyens. Sur la page Facebook de Terriennes, nous avions reçu ce message en forme de SOS de l'une de ces combattantes : "Au nom des femmes polonaises je vous supplie de nous adresser ,un signe de solidarité." Un appel auquel nous ne pouvions rester insensibles.
Au nom des femmes polonaises je vous supplie de nous adresser un signe de solidarité
Alexandra, 24 ans
Nous avons donc parlé avec Alexandra, étudiante de 24 ans à Varsovie. De la génération des réseaux sociaux, elle nous explique que jusque là elle se tenait plutôt à l'écart de la politique et que c'est la première fois qu'elle s'engage ainsi. "Si on n'agit pas, ce sera de pire en pire. L'Eglise en Pologne est si puissante. Nous voudrions que de plus en plus de femmes n'aient pas peur de nous rejoindre, mais en dehors des villes, c'est très difficile de se manifester pour elles. Alors nous faisons campagne à travers les réseaux sociaux."
Leur groupe sur Facebook, constitué dès l'offensive de l'Eglise, a réuni 90 000 personnes en quatre jours. Et leur manifestation dimanche 3 avril 2016 a rassemblé, devant le siège du parlement polonais, plusieurs milliers de personnes munies de cintres, cet outil utilisé pour pratiquer des avortements clandestins - 80 000 à 100 000 femmes mettraient un terme à leur grossesse chaque année, dans le secret en Pologne même, ou en se rendant dans d'autres pays européens selon l'association Federa, favorable à l'extension du droit à l'avortement.
#MyBodyIsMine #mybodymychoice #prochoice pic.twitter.com/OdvQmJr0AY
— Irina Ovcinicov (@I_Ovc) 3 avril 2016
Make love not PIS
Voici quelques uns de ces commentaires bien envoyés :
"Madame le Premier ministre, aujourd'hui j’ai senti un picotement dans mon ovaire gauche. Je pense que je suis en pleine ovulation."
« Vous êtes tellement concernés par les utérus des Polonaises, que vous voulez les équiper d’un policier et d’un procureur… Je vais vous éviter ce genre d'embarras… et vous informer que mes périodes arrivent. Je vais les avoir mardi. Pour l’heure, mes seins me font mal, mes jambes et le bas-ventre sont gonflés, et j’ai déjà mangé mes oeufs en chocolat de Pâques, autant que mon mari. »
« Madame le Premier ministre Beata, je voudrais vous informer que mon cycle va bien. J'ai eu ma période à temps (mon cycle est de 31 jours), le premier jour ça fait mal (je suis à quatre pattes dans la maison, avec une bouillotte), mais c’est fini maintenant :-) Mes jours fertiles vont arriver d’ici 5-6 jours, mais je quitte le pays pendant une semaine et je ne verrai pas mon mari pendant la durée de mon ovulation. »
Les Polonais font preuve d'humour et d'imagination joyeuse dans cette mobilisation : "make love not Pis" proposent-ils, PIS, le sigle du parti ultra conservateur se prononçant comme le "peace" (paix) anglais des années hippies.
Une autre action a rencontré un succès inattendu, dans ce pays où les messes font toujours le plein : dimanche 3 avril 2016, de nombreux fidèles ont quitté les églises en plein sermon, en signe de protestation contre leurs évêques.