En Sierra Leone, ces filles qui s’affrontent en joute de lecture pour, un jour peut-être, gouverner

Aminata, Mariame, Sybil, Esther et les autres. Elles ont entre 12 et 17 ans et se jaugent lors de concours de lecture. La Sierra Leone, pays d’Afrique de l’Ouest, a développé ces compétitions. Et pour y participer, il y a un impératif : être de sexe féminin.  Reportage optimiste à l’occasion de la Journée internationale des filles, chaque 11 octobre.
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Sybile, concours de lecture, Sierra Leone
Sybile, l'une des candidates lors du concours de lecture en Sierra Leone, devant le jury
(c) Maïla MENDY
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Dans le petit brouhaha des révisions et du travail de la diction, une seule voix ne se fait pas entendre. Aminata est assise dans un coin. Autour d’elle, la plupart des jeunes filles sont accompagnées de leur professeur. Le temps du concours de lecture, elles deviennent les ambassadrices de leur école.
 
Aminata, elle, n’est plus scolarisée. Elle a arrêté l’école à la fin de la primaire. Comme beaucoup de ses compatriotes sierra-léonaises, elle n’a pas pu pousser ses études au-delà du secondaire : trop cher pour ses parents. Désormais, elle travaille dans la ferme familiale. Mais la Sierra-Léonaise de 16 ans en a marre de la vie dans les champs. « Je veux devenir avocate ! » ambitionne-t-elle. Cela tombe bien : l’éloquence est le critère roi dans un concours de lecture.
Aminata, concours Sierra Leone
Aminata, très volontaire décidée à changer de vie, à son tour, se présente devant le jury. 
(c) Maïla MENDY
« Aujourd’hui, ma famille me manque plus que tout… » . Dans une salle voisine, Mariame, 14 ans, lit les premières lignes du roman pour adolescents, le livre choisi pour le concours. Face à elle, les quatre membres du jury sont très attentifs. A la fin de la lecture, les remarques fusent. « Fais attention à la prononciation ! » souligne Charles Hubbard, cadre en entreprise. Et seul homme du jury. « Tiens-toi droite et regarde davantage ton public ! » conseille Fati Tauqi, qui préside le jury du concours de lecture.

En Sierra Leone, les femmes, principales victimes de la guerre

Seules les filles sont admises à ce concours de lecture. En Sierra Leone, ces compétitions sont devenues l’un des outils pour oeuvrer à la parité. Après onze ans d’une terrible guerre, arriver à l’égalité entre les femmes et les hommes a une importance très particulière dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
 
« En période de guerre, les femmes sont en première ligne pour protéger leurs enfants, leurs frères, leurs maris… elles sont les principales victimes. Les hommes s’attaquent à elles car ils savent qu’elles sont vulnérables » analyse Fati Tauqi. Cette Sierra-Léonaise de 43 ans est professeure à l’université, en sciences sociales. Sa spécialité : les études sur le genre.
Fati Tauqi concours Sierra Leone
Fati Tauqi, féministe, militante, âme des concours de lecture pour filles, dans les locaux de son association 50/50 qui veut pousser à la parité femmes/hommes dans tous les secteurs 
(c) Maïla MENDY

Les femmes ne doivent plus être des victimes. Il est temps qu’elles soient au côté des hommes pour gouverner !
Fati Tauqi, universitaire et féministe

Ses compétences l’ont propulsée à la tête de l’association « 50/50 ». Comme son nom l’indique, l’association milite pour l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes, notamment aux postes de pouvoir. « Les femmes ne doivent plus être des victimes. Il est temps qu’elles soient au côté des hommes pour gouverner ! » scande la féministe.
 
En Sierra Leone, les femmes restent pourtant largement réduites à un statut de victimes. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les taux de violences sexuelles envers les femmes sont très élevés dans le pays. Quant aux données dans les milieux de pouvoir, elles montrent que la parité est un sacré défi. Si les femmes représentent 52% de la population, 15% du parlement sierra-léonais est féminin. Et dans ce pays, divisé en quatorze districts, 19% de femmes se trouvent parmi les conseillers locaux.

Une urgence de parité et d'égalité

« Nous avons des femmes ministres, des femmes députées, des femmes ambassadeurs mais leur nombre reste trop faible ! » s’indigne Fati Tauqi. Pour elle, il y a urgence à travailler à cette égalité au plus vite. Avec les jeunes candidates du concours, la féministe se montre donc la plus intransigeante des jurés.
 
« C’est quoi ça ? De la langue des signes ? » demande Fati Tauqi à Sybil, une participante de 13 ans. Une question vient d’être posée à cette jeune fille par un membre du jury. Pour lui répondre, l’adolescente fait ‘non’ d’un signe de la tête. « Parle ! » ordonne Fati Tauqi.

Le jury délibère concours de lecture Sierra Leone
Le jury, autour de Fati Touqi, délibère pour choisir la lauréate du concours de lecture en Sierra Leone
(c) Maïla MENDY

Cela fait des jours que Claire et moi marchons. Où allons-nous ? Si seulement nous le savions…
Esther, 14 ans

Parler : Esther n’a pas ce problème. Et lire non plus d’ailleurs. « Cela fait des jours que Claire et moi marchons. Où allons-nous ? Si seulement nous le savions… ». Venue d’un prestigieux collège pour filles de la capitale, Freetown, la jeune fille de 14 ans est pleine d’assurance.
 
Intonation, déplacement dans la pièce, regards complices avec le jury : tout y est dans sa lecture. Les sourires des jurés trahissent leur futur jugement. « Ta lecture m’a touché droit au cœur ! » s’extasie Fati Tauqi. Depuis le début du concours, c’est la première fois qu’elle montre autant d’enthousiasme face à une candidate.

Construire des écoles, avant tout

C’est au tour d’Aminata. Elle porte un t-shirt coloré. Sur celui-ci est inscrit « don’t look at my shoes » soit « ne regardez pas mes chaussures ». Comme un message adressé aux jury et qu’elle ne s’applique pas à elle-même. Certes, ce ne sont pas ses chaussures qu’elle regarde mais elle ne lève pas son nez du livre durant toute la lecture. Face à Fati Tauqi et ses comparses, elle adopte aussi une posture plutôt gauche. Tous les défauts de son interprétation n’échappent pas au jury.
 
« Tu dois avoir plus confiance en toi ! » lui conseille Charles Hubbard. « Donne-moi de la personnalité ! » assène Fati Tauqi. La jeune fermière leur fait part de ses rêves de prétoire. « Rien n’est impossible, à condition de travailler dur ! » lui assure la féministe.

Motivées, toujours plus 

Aminata ne fera pas partie du trio des gagnantes. Mais elle repart « motivée », prête à figurer parmi les femmes qui feront la Sierra Leone de demain. La vision d’un pays davantage portée par les femmes que partage le gouvernement. Son objectif affiché : que la parité soit effective d’ici à 2030.

Fati Tauqi va elle aussi apporter sa pierre à l’édifice de l’égalité. Dans les locaux de son association, une école pour former les futures femmes leaders est en construction. Ce sera la première du genre en Afrique de l’Ouest.

Aminata, Mariame, Sybil, Esther et les autres Sierra Leone
Aminata, Mariame, Sybil, Esther et les autres, attendent les résultats du concours de lecture, dans lequel, de toute façon, elles sont toutes gagnantes
(c) Maïla MENDY