En Sierra Leone, les « mères » de la paix veillent sur les élections

Depuis 2011, certains pays africains ont leurs forces de maintien de la paix en période électorale, généralement sujette à des tensions. Particularité : ces forces de paix sont essentiellement composées de femmes. Elles font partie d’un collectif nommé « Women’s situation room » (WSR). Rencontre en Sierra Leone, à l'occasion du scrutin (présidentiel, législatif, local) du 7 mars 2018 avec Barbara Sangaré, coordinatrice internationale de l’organisation.
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Barbara Sangaré (derrière la table) fait  partie d’un collectif qui n’a qu’un seul but : lutter contre les violences avant, pendant et après les élections dans les pays africains. 
(c) Maïla Mendy
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Des jeunes déambulent, derrière des véhicules chargés d’enceintes, qui crachent les tubes du moment en Sierra Leone. Ça chante, ça danse. Souvent, avec une bouteille de la bière locale à la main. Parfois, des effluves de cannabis viennent vous piquer le nez.

En période électorale, ces excès, au vu et au su de tous, sont habituels en Sierra Leone, où le premier tour des élections générales se tient ce mercredi 7 mars 2018. Ils sont d’ailleurs rendus possible par les partis politiques. Ce sont eux qui financent ces « caravanes publicitaires ». Les visages de leurs champions s’affichent sur des drapeaux ou sur les t-shirts portés par des jeunes, recrutés pour faire les groupies électorales. Et plus encore.
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Quand un « red », partisan du All People’s Congress, le parti au pouvoir, croise un « green », soutien du Sierra Leone People’s Party, principal parti d’opposition, la bagarre est inévitable...
(c) Maïla Mendy

Des violences électorales qui visent les femmes

Alcool et stupéfiants désinhibent. Quand un « red », partisan du All People’s Congress, le parti au pouvoir, croise un « green », soutien du Sierra Leone People’s Party, principal parti d’opposition, la bagarre est inévitable. Des blessés, parfois graves, sont déjà à déplorer dans le pays d’Afrique de l’Ouest, à cause de ce type de confrontation.

Barbara Sangaré fait partie d’un collectif qui n’a qu’un seul but : lutter contre les violences avant, pendant et après les élections dans les pays africains. Elle est une des coordinatrices internationales de l’organisation « Women’s situation room » (WSR).

« En Afrique, et notamment en Sierra Leone, les jeunes sont utilisés par les partis politiques pour perpétrer des violences » explique Barbara Sangaré. Le collectif a vu le jour grâce à Yvette Chesson-Wureh, une Libérienne à la tête d’une organisation non gouvernementale, qui se bat pour l’autonomisation des femmes. Women’s situation room a justement œuvré pour la première fois au Libéria, lors des élections générales de 2011. L’initiative était soutenue par une célèbre Libérienne : Ellen Johnson-Sirleaf, ancienne présidente du Libéria qui la soutient toujours... 

Barbara Sangare
Barbara Sangare l'âme de Women's Situation Room-Sierra Leone
(c) Maïla Mendy

En Afrique, quand il y a des violences en période électorale, les premières visées sont les femmes et les jeunes filles
Barbara SangaréWomen’s situation room

En tout, Women’s situation room a encadré les élections dans huit pays africains. Barbara y agit depuis le début du mouvement. Pour l’organisation, elle s’est rendue au Nigéria, en Ouganda ou encore au Kenya.

« En Afrique, quand il y a des violences en période électorale, les premières visées sont les femmes et les jeunes filles » assure Barbara Sangaré. Des agressions sexuelles, en particulier. « Nous nous assurons que l’environnement soit favorable pour les femmes car s’il y a des violences, nous savons que les femmes n’iront ni voter ni même faire campagne, si elles sont candidates » souligne-t-elle.

Dans les locaux du collectif, le compte à rebours jusqu’aux élections s’affiche sous les yeux de l’équipe. Une équipe plutôt jeune. « Il est important d’impliquer les jeunes dans le processus car nous nous adressons à des jeunes » détaille la militante. « Nous veillons à la parité aussi dans nos équipes » ajoute-t-elle.

Réunions et vigies de crise

Si le nom du collectif fait référence à la fameuse salle de crise de la Maison Blanche, ce n’est pas pour rien. Grâce à des partenariats avec d’autres organismes sierra-leonais, Women’s situation room est présent dans les 16 districts qui composent le pays. Tous les jours, des rapports des observateurs sur le terrain arrivent sur le bureau de Barbara, ou lui sont signifiés par téléphone.

Avant le lancement officiel de la campagne électorale en Sierra Leone, le collectif a mené des campagnes de sensibilisation contre les violences. « Nous avons aussi formé 600 femmes, qui sont nos vigies sur le terrain durant les élections » explique Barbara.

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Dans les locaux de Women's Situation Room Sierra Leone, le compte à rebours du scrutin est affiché pour maintenir la vigilance
(c) Maïla Mendy


Sur le terrain, leur travail n’est pas sans risque. Surtout que le mouvement cible les membres de gangs, souvent des jeunes désoeuvrés. Alors, pour les approcher avec toutes les précautions possibles, elles adoptent une attitude quasi infaillible : celles de mères s’adressant à leur enfant.

« Au Ghana, je me rappelle avoir rencontré un jeune chef de gang » raconte Barbara. « Je lui ai dit ‘Dieu que tu es beau ! Tu es mon fils’. Il a donc commencé à m’appeler ‘Maman’. Et durant les élections, il s’est assuré que les membres de son gang ne faisaient pas de vagues ! » se réjouit-elle.

Une approche en douceur, qui n’est parfois pas suffisante. Women’s situation room collabore donc beaucoup avec la police. « S’il y a des faits criminels, nous l’informons pour qu’elle agisse en temps et en heure » précise Barbara.

Les échanges se font aussi avec les partis politiques, pour leur demander de sensibiliser leurs troupes. Voire pour sensibiliser les partis politiques eux-mêmes, après les résultats des élections.

Certains partis politiques ont déjà annoncé que s’ils observaient des irrégularités lors des votes, ils contesteraient les résultats. « Du coup, nous sommes allées les voir pour leur rappeler d’utiliser la voie de la cour de justice, plutôt que celle de la rue » souligne Barbara.

Une initiative bientôt exportée en Afghanistan ou en Palestine ?

Pour ces élections, le renouvellement est assuré. Ernest Bai Koroma, le président sortant, achève son deuxième et dernier mandat. Une situation d’incertitude qui a fait craindre à certains un regain de tension lors de ces élections. Ce n’est visiblement pas le cas. « Jusqu’ici le climat a été relativement calme. Nous allons voir ce qui va se passer après ce premier tour » analyse Barbara.

Pour le moment présent uniquement en Afrique, le mouvement, adoubé par les Nations Unies, commence à séduire hors du continent. « Nous avons des Palestiniennes ou encore des Afghanes qui ont montré leur intérêt pour WSR » assure Barbara.