En Sierra Leone, Peagie Woobay veut offrir un avenir aux adolescentes déjà mères

Discriminées en Sierra Leone, les filles-mères, particulièrement nombreuses, peuvent compter sur Peagie Woobay, qui a connu la même expérience, pour les faire revenir sur les bancs de l’école.
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Dans les locaux de sa fondation en Sierra Léone, Peagie Woobay discute avec quelques une de ces jeunes filles déjà mères qu'elle veut aider, en souvenir de son propre destin
(c) Maïla MENDY
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« Montrez-moi votre petit doigt ! » chante Catherine, avec les 5 enfants attablés. Tous les petits doigts se lèvent sans problème. C’est l’heure de la comptine au Peagie Woobay daycare center.

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La crèche du Peagie Woobay daycare center, stratégique pour permettre aux filles de poursuivre leurs études
(c) Maïla MENDY

Chaque jour, dès 7h du matin, Catherine Koroma, superviseuse du centre, accueille les enfants, avec sa collègue Tenneh. « Les filles nous amènent leurs enfants avant d’aller à l’école puis elles reviennent vers 15h les récupérer » explique Catherine.
 
Les filles, oui. Car la particularité de cette crèche, située à Moyamba, ville du Sud de la Sierra Leone, est qu’elle n’accueille que des enfants dont les mères sortent à peine de l’adolescence. Et qui, après avoir donné naissance à leur enfant, reprennent le chemin de l’école. Il en existe deux en Sierra Leone.

J’ai eu mon fils à 15 ans. Heureusement, ma famille m’a soutenue
Peagie Woobay

« En Sierra Leone, on laisse trop croire aux filles-mères que leur vie est fichue ! » regrette Peagie Woobay. Cela fait longtemps qu’elle se bat contre cette croyance. Et c’est parce que cette femme de bientôt 47 ans fut elle-même une fille-mère. « J’ai eu mon fils à 15 ans. Heureusement, ma famille m’a soutenue et j’ai pu continuer l’école jusqu’à l’université » raconte-t-elle. Des proches compréhensifs dans une telle situation, prêts à vous encourager à poursuivre votre scolarité, c’est rare en Sierra Leone. C’est pour cela que Peagie Woobay a créé sa fondation pour venir en aide aux filles-mères et les pousser à reprendre leur scolarité.

Dans sa biographie en ligne, elle écrit : "Je suis née le 7 mai 1971, dans des temps de stabilité et de prospérité de la Sierra Leone, soit 10 ans après l'indépendance dans une famille de la classe moyenne, père fonctionnaire, mère institutrice, à Kenema, dans la partie orientale du pays. J'étais la dernière de trois enfants - toutes des filles - et j'étais celle qui avait souvent des ennuis. (.../...) A 15 ans, à l'âge où je me préparais à passer mes examens, amoureuse de l'un de mes anciens condisciples, je suis tombée enceinte. Je n'ai même pas compris que j'étais enceinte. Bien sûr, mes règles se sont arrêtées, et j'avais lu dans le manuel de biologie que cela signifiait que j'étais enceinte. Mais en Sierra Leone, parler de sexe ou des organes sexuels du corps humain aux adolescent.es est tabou."

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Chaque jour, dès 7h du matin, Catherine Koroma (à gauche de la photo), superviseuse du centre, accueille les enfants, avec sa collègue Tenneh (à droite).
(c)
Maïla MENDY

Un tiers d’adolescentes enceintes en Sierra-Léone

La Sierra Leone est l’un des pays qui compte le plus haut taux de grossesses précoces au monde. Ainsi, 3 adolescentes sierra-léonaises sur 10 tombent enceintes, selon des données de l’Unicef, en 2015. Durant l’épidémie d’Ebola, les taux de grossesses précoces ont même augmenté de 50%. Au point d’entériner la discrimination envers les adolescentes enceintes.
 
À la fin de l’épidémie, quand les écoles ont rouvert, le ministre de l’Education a annoncé l’interdiction de l’école aux jeunes filles enceintes, sous prétexte de ne pas donner le mauvais exemple à leurs camarades. À la place, ces jeunes filles étaient scolarisées dans des classes spécialement créées pour elles. La mesure a fait un tollé. « Cette pratique était injuste ! » s’indigne Peagie Woobay.

Les profs me disaient qu’on ne devrait pas m’autoriser à rester en classe
Mariatu, 20 ans, mère à 16 ans

« Quand tu tombes enceinte, les professeurs sont les premiers à le remarquer, avant même tes parents ! » assure Mariatu, 20 ans, aujourd’hui à l’université et aidée par la fondation avec sa fille, Samuella, 3 ans et demi. « Les profs me disaient ‘on ne devrait pas t’autoriser à rester en classe ! Si le principal l’apprend, il t’exclura !’ », se remémore-t-elle.

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Mariatu, 20 ans, et sa fille Samuella 3 ans et demi
(c) Maïla MENDY

C’est depuis la Suède, là où elle vit, que Peagie Woobay  dirige sa fondation. En plus de la Suède et de la Sierra Leone, il existe aussi une antenne aux Etats-Unis. « Mais nous travaillons uniquement en Sierra Leone car c’est là que les taux de grossesses précoces sont les plus élevés » précise Peagie. « Et puis, nous n’avons pas assez de fonds pour travailler ailleurs qu’en Sierra Leone » confesse-t-elle.

Éducation et prévention indissociables

À la crèche, les retrouvailles commencent. Dans son uniforme bleu, béret sur la tête, Loulbeh, 20 ans, vient récupérer sa fille, Anointina, 4 ans. Cette jeune mère célibataire était scolarisée lorsqu’elle est tombée enceinte. « Mes parents sont morts. Je vivais avec mon frère mais il m’a rejeté quand je suis tombée enceinte » raconte-t-elle. Après une annonce de la fondation, entendue à la radio, celle qui se rêve cadre dans une banque, se porte candidate pour être soutenue par les équipes de Peagie Woobay. « Avoir ce centre rend les choses moins compliquées ! Ici, on prend soin de ma fille, on me donne des leçons de lecture » détaille-t-elle, en regardant le coin bibliothèque de la pièce.

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Loulbeh, 20 ans, qui rêve de travailler dans une banque, et sa fille Anointina, 4 ans
(c) Maïla MENDY

« C’est vrai que c’est plus simple depuis que la fondation m’aide ! » confirme Yeandu. Vêtue du même uniforme que Loulbeh, la jeune femme de 19 ans vient chercher son fils, Peter, bientôt 4 ans. « J’aimerais qu’il devienne président ! » ambitionne celle qui aimerait devenir professeure de mathématiques.

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La matheuse Yeandu 19 ans et son fils Peter 4 ans
(c) Maïla MENDY

« Dans les centres, on s’occupe des enfants mais on fait aussi de la prévention auprès des jeunes mères » explique Mohamed Kargbo, manager de la fondation en Sierra Leone. « On leur dit qu’il faut se concentrer sur leurs études et non sur leurs relations avec les garçons. Et quand elles sont dans une relation, on leur dit de ne pas oublier de se protéger cette fois-ci » souligne Mohamed. Tous les vendredis, les filles font un point avec les équipes des centres, sur leurs études et leur vie.
 
En cinq ans d’existence, la fondation Peagie Woobay a aidé 127 filles-mères. Deux d’entre elles ont intégré l’université, dont Mariatu. « Quand j’étudie, il arrive à Samuella de prendre mes livres et de les déchirer ! » dit Mariatu, depuis le faubourg de Freetown, la capitale, où elle vit avec sa fille. « Du coup, je dois souvent attendre qu’elle s’endorme » s’exaspère-t-elle.

Une goutte d'eau qui rend optimiste

Aider davantage de filles-mères motivées : c’est le souhait de Peagie Woobay. Le budget annuel de la fondation est d’un peu plus de 34 000 euros. « Nous fonctionnons grâce aux dons de particuliers et d’événements organisés pour récolter des fonds » éclaire Peagie. Elle a aussi écrit un livre sur son expérience, « Thursday’s child : My Journey So Far » (L'enfant du jeudi : mon voyage jusqu'ici). « Tous les bénéfices de la vente iront à la fondation » précise-t-elle.