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Quelles incidences cet effacement identitaire a-t-il sur la carrière professionnelle des femmes? Il est des situations où porter le nom du mari est vécu par une femme comme valorisant. Ainsi, dans le monde professionnel, lorsque le niveau de qualification est peu élevé, ce changement de statut donne une assise et une considération plus importante, indique Danièle Weiss dans Les noms d’une femme. «Le «moi conjugal» décrit par le sociologue François de Singly est un drôle de je (u), permettant de faire l’économie de soi. Le sujet s’efface dans la dyade aux yeux du monde, oublie ses conflits, pour montrer un front uni contre l’adversité externe.»
A l’inverse, lorsque le niveau de qualification d’une femme est élevé, renoncer à son nom de célibataire comporte plusieurs désavantages. Dans les professions libérales en particulier, il est plus difficile, pour la femme qui abandonne la forme sous laquelle elle est connue et reconnue socialement, de se construire une nouvelle identité. «Il paraît cohérent que les femmes qui appartiennent aux professions libérales et qui sont cadres se montrent plus réticentes au changement, analyse la sociologue Marie-France Valetas. Leur nom fait partie de leur vie professionnelle et elles ne souhaitent pas refaire cette vie comme elles refont leur vie personnelle».
Sur le marché du travail, le produit à vendre, c’est vous
Bruce Heller, coach
Lois Frankel, qui a signé l'ouvrage «Ces filles sympas qui sabotent leur carrière», rappelle par ailleurs l’importance de créer son image de marque. «Si je vous demande de penser à une marque très connue, quels noms vous viennent immédiatement à l’esprit? Comme tout un chacun, vous allez probablement citer Kleenex, Coca-Cola et Xerox. Non seulement ces appellations vous sont familières mais elles symbolisent aussi pour vous le produit auquel elles se rattachent.» Il en va de même du patronyme. Bruce Heller, spécialisé dans le coaching des cadres et des dirigeants, conseille à ses clientes d’imaginer qu’elles sont une marque à commercialiser. «Vous devez considérer le monde du travail comme un marché. Et sur ce marché, le produit à vendre, c’est vous.» En définitive, chaque femme devrait faire sienne la maxime du docteur Heller: «hors de ma vue, hors de mon esprit, hors circuit».
Fanny Karst l’a bien compris. Pour cette styliste française créatrice d’une griffe qui porte son nom, son mariage en juillet prochain ne sera pas l’occasion d’embrasser une nouvelle identité professionnelle. «Je vais garder Fanny Karst pour le travail. J’aime mon nom et j’y suis habituée. De plus, on m’a souvent dit que ce nom sonnait très bien comme nom de marque, et même comme marque de cigarettes.»
D’autres ont fait le choix inverse. Suite à son mariage, Amal Alamuddin est devenue Amal Clooney. Sa décision a été vivement critiquée par les mouvements féministes qui y ont vu un acte de soumission à un ordre patriarcal. Certaines ont ajouté qu’un tel geste, vis-à-vis des enfants, renforcerait l’idée selon laquelle les femmes sont inférieures aux hommes.
A noter qu’en cas de divorce, les femmes qui ont fait carrière sous le nom de leurs maris se retrouvent parfois dans des situations cocasses, comme le montre l’exemple d’Adriana Karembeu, remariée à l’homme d’affaires Aram Ohanian. «Tout le monde me connaît sous le nom Karembeu, mais je n’ai plus le même lien avec mon ex-mari. Ce n’est pas logique», a déclaré le top slovaque. Celle-ci a cependant estimé que changer de nom pouvait la desservir et conduire à un recul professionnel, raison pour laquelle elle continue de se faire appeler Karembeu. Le patronyme de son ex-mari a même été déposé comme marque pour sa franchise de SPAS et les produits cosmétiques estampillés Adriana Karembeu qui y sont vendus.
Quant à Anna Mae Bullock, alias Tina Turner, la chanteuse s’est battue pendant des années pour conserver le droit de porter son nom de mariée devenu son nom de scène et a même été jusqu’à renoncer à tous les biens communs du couple. A cet égard, il est intéressant de noter qu’en Suisse, «il est possible d’ajouter un nom d’artiste sur les documents d’identité, même s’il n’a pas un caractère officiel», relève Magda Kulik.
Quid des hommes? Bien que le droit suisse offre la possibilité aux époux de prendre le nom de leurs épouses, la seule mention de cette possibilité suscite encore l’indignation et les moqueries de nombreux hommes qui y voient une perte de virilité. Ainsi, lorsque l’Italien Marco Perego a adopté le nom de l’actrice américaine Zoé Saldana, celle-ci a tenté avec insistance de l’en dissuader: «Je lui ai dit: «Si tu utilises mon nom, tu seras émasculé par ta communauté d’artistes, par les hommes de la communauté latine et par le monde en général». Il m’a regardé et m’a alors répondu: «Zoe, je n’en ai vraiment rien à faire.» Déterminé, Marco Perego est devenu Marco Perego-Saldana. Une initiative qui a fait dire à certains commentateurs qu’en définitive, c’était peut-être ça, aussi, la sacro-sainte virilité.