
Fil d'Ariane
- Accueil >
- Terriennes >
- Le harcèlement sexuel, dans la rue, en ligne ou au travail >
- En Suisse, mobilisation générale des élues, cibles...
Le but de son action est d’abord un appel au dialogue. Quelque 60 bénévoles – des « anges numériques » ("digital angels" en anglais) – vadrouilleront sur les réseaux sociaux et répondront aux auteurs de commentaires insultants. « Nous voulons d’abord engager une discussion avec leurs auteurs pour les inciter à mener un débat respectueux des autres, déclare Sophie Achermann, la secrétaire générale d’Alliance F. Nous lutterons contre toute forme de sexisme. Cela concerne avant tout les femmes, mais nous ne fermerons pas les yeux sur celui qui touche les hommes. »
Longtemps, les femmes ont hésité quant à la manière de réagir à cette violence verbale qui se déverse sur les réseaux sociaux. En Suisse romande, la conseillère municipale Amanda Gavilanes (PS/Genève) a été l’une des premières à actionner la justice. Lors d’un débat, elle défend la modification d’un règlement permettant de se baigner avec tout type de vêtements, y compris le burqini. Un internaute à la retraite l’invective immédiatement: « Pas de piscine pro-muzul. Salope. » « J’ai été très choquée. Ce commentaire était scandaleux, sexiste et raciste. Mais j’ai eu énormément de soutiens qui m’ont encouragée à porter plainte pour atteinte à l’honneur et discrimination raciale. »
Il faut combattre le sentiment d’impunité que certains internautes ont sur les réseaux sociaux
Amanda Gavilanes, conseillère municipale
Le 26 mars 2018, le tribunal ne retient que l’injure, mais condamne l’auteur de l’insulte à une amende de 540 francs, ainsi qu’à 30 jours-amendes avec un sursis de 3 ans. « Il faut combattre le sentiment d’impunité que certains internautes ont sur les réseaux sociaux. Or, le harcèlement sur internet peut détruire des vies », souligne-t-elle.
Pour sa part, la conseillère nationale Ada Marra (PS/VD) a jusqu’ici renoncé à toute démarche juridique. Elle en aurait pourtant eu l’occasion lorsqu’elle poste un texte détonant sur Facebook – « LA Suisse n’existe pas » –, dans lequel elle remet en question ses mythes fondateurs. Elle reçoit 2600 commentaires sur son mur. « Je ne m’attendais pas à un tel torrent de boue, qui visait à l’anéantissement de ma personne. J’ai été vraiment ébranlée », témoigne-t-elle.
La socialiste vaudoise d’origine italienne n’est pas seulement injuriée, elle est aussi menacée. « Je vais te mettre un M17 sur la tempe », lui promet un internaute. Elle ne répond plus aux commentaires, mais ne porte pas plainte. Elle tente de gagner de la distance. « Souvent, les gens ne me connaissent pas, ce n’est donc pas moi qui suis attaquée personnellement », se dit-elle. Qui, alors ? « C’est ce qu’ils pensent être une traîtresse à la patrie qu’ils fustigent. Pour eux, je suis une fille de migrants, donc je n’ai pas de légitimité pour définir ce qu’est la Suisse. Je commets ainsi un double crime », analyse-t-elle fort lucidement.
En Suisse alémanique, Jolanda Spiess-Hegglin a créé l’association NetzCourage, qui dénonce systématiquement tous les harceleurs du Net au Ministère public cantonal. En 2014, cette députée verte est impliquée dans une affaire de coucherie avec le président de l’UDC locale au terme de la fête de fin d’année du Grand Conseil zougois. Juridiquement, l’affaire est close, mais cette mère de trois enfants est harcelée aujourd’hui encore. Elle a tiré un grand enseignement de son expérience : « Il faut réagir. Se taire, c’est admettre que les insultes et les menaces font partie d’un discours acceptable en société, résume-t-elle. Personnellement, je ne voulais pas que ce qui soit dit sur moi devienne la vérité. »
En deux ans, NetzCourage a sollicité la justice à près de 180 reprises. Bilan provisoire pour les affaires réglées: 60 condamnations et 80 accords à l’amiable. Jolanda Spiess ne cache pas qu’elle préfère nettement la seconde solution, qui permet d’« apprendre à se connaître et à se respecter ».
Le portrait-robot du harceleur ? « Le citoyen en colère enclin à voter pour un parti populiste, un homme âgé à la retraite, presque toujours Suisse », répond-elle. En cas d’accord, celui-ci s’en tire avec un don de quelques centaines de francs à NetzCourage. En cas de condamnation, la facture est plus lourde: entre 800 et 1500 francs, frais de justice inclus.
Le phénomène du discours de haine ne concerne pas que les femmes de gauche, même si celles-ci sont beaucoup plus promptes à le thématiser. Coprésidente d’Alliance F, la Vert’libérale Kathrin Bertschy ne cache qu’il lui est arrivé de recevoir plus de 500 commentaires, souvent « méprisants, voire haineux » lorsqu’elle s’exprime sur le sujet de l’égalité entre femmes et hommes. Ce printemps pourtant, le Tages-Anzeiger a révélé que la femme la plus touchée était la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga.
Contactée par Le Temps, celle-ci a déclaré : « L’internet n’est pas une zone de non-droit. Notre législation s’y applique et nous devons la faire respecter, notamment en cas d’insultes, de menaces, d’appels à la haine et à la violence. »
La cheffe du Département fédéral de justice et police ne reste pas passive : elle vient de soumettre au parlement un projet de loi renforçant la protection des femmes lorsqu’elles se défendent contre l’auteur de l’acte dont elles sont victimes.
> Article original publié sur le site du Temps, le 17 août 2018