En Turquie, Recep Tayyip Erdogan en croisade contre la contraception

C'est la dernière bataille du président turc, qui n'en est pas à sa première saillie contre les droits des femmes : haro sur la contraception, un point de vue moral, inspiré par un nationalisme sous-jacent.
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Recep Tayyip et Emine Erdogan
Recep Tayyip Erdogan et sa femme Emine lors du Congrès du Parti de la Justice et du Développement (AKP) à Ankara en septembre 2012
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Que le président turc ne soit pas un fervent défenseur des droits des femmes, n'est pas une surprise. Qu'entre lui et les féministes turques le torchon brûle, on le savait. Pourtant, on ne peut empêcher un haut le coeur de surprise à chacune de ses nouvelles attaques sur ce sujet.

C'est qu'en matière d'histoire des droits des femmes, la Turquie n'a de leçons à recevoir de personne. Les Turques y votèrent 10 ans avant les Françaises (en 1934). Elles entrèrent massivement à l'Université dès 1914.  Conquirent le droit à l'avortement (aujourd'hui très malmené) en 1965 (pour raisons de santé), élargi à toutes en 1983. Et dominent, ces dernières années, les mouvements estudiantins de contestation.

Mais cette histoire de la Turquie moderne, Recep Tayyip Erdogan, chef de file des conservateurs, tendance musulmane, ne veut surtout pas s'y référer. Le seul projet qu'il partage avec Mustapha Kemal Atatürk, c'est le nationalisme, la grandeur perdue de l'empire ottoman. Et pour restaurer cette aura, quoi de mieux dans son esprit qu'une Turquie dont la population croît encore et toujours.  C'est ce qui l'a incité, en 2012, à vouloir restreindre l'Interruption volontaire de grossesse en limitant le délai légal à quatre semaines (au lieu de 10). Le projet n'a pas abouti, mais il est de plus en plus difficile de trouver un hôpital public qui accepte de pratiquer des avortements.

Avec le développement économique, le taux de fécondité a baissé : il est passé de 3,14 enfants par femme en 1980 à 2,11 en 2009. Alors comment redresser la barre ? En lançant des anathèmes contre la contrôle des naissances et donc la contraception...

Nous allons accroître notre descendance
Recep Tayyip Erdogan, 31 mai 2016

"Aucune famille musulmane" ne peut accepter la contraception et le planning familial, a donc asséné le 30 mai 2016 le président turc Recep Tayyip Erdogan lors d'un discours à Istanbul. Avant d'en appeler aux mères pour accroître le nombre de Turcs. "Je le dis clairement (...) Nous allons accroître notre descendance. On nous parle de contraception, de planning familial. Aucune famille musulmane ne peut avoir une telle mentalité. Ce que dit mon Dieu, ce que dit mon cher prophète, nous irons dans cette voie. Dans ce cadre, le premier devoir appartient aux mères."

Des internautes ont aussitôt réagi sur les réseaux sociaux, comme cette femme qui demande au président "Dans quel verset du Coran, le contrôle des naissances est-il donc interdit par Dieu  ?"


Le président turc est un habitué des déclarations à l'emporte-pièce. Il avait déjà assuré que les femmes devaient avoir au moins trois enfants, critiqué l'avortement décrit comme un "crime contre l'Humanité" (reprenant là le vocabulaire des Pro Life amérivcains ou européenns), et dénoncé en décembre 2015 la "trahison contre des générations de Turcs" que représente à ses yeux le planning familial. « Un ou deux [enfants], ce n’est pas assez. Pour renforcer notre nation, nous avons besoin d’une population plus dynamique et plus jeune. Nous avons besoin de cela pour amener la Turquie au niveau des civilisations modernes. Dans ce pays, les opposants se sont engagés dans la trahison par le contrôle des naissances depuis des années, cherchant à assécher notre génération. Un seul enfant est synonyme de solitude, de rivalité, d’équilibre et d’abondance. Et Dieu prend soin du reste ».

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Pour moi la femme est avant tout une mère
Recep Tayyip Erdogan, 8 mars 2016

Et le 8 mars 2016, il avait célébré la journée internationale des Droits des femmes à sa manière : "Je sais qu'il y en aura encore qui en seront gênés, mais pour moi la femme est avant tout une mère". Et il avait enfoncé le clou d'un sophisme : "A mon avis, le plus grand tort qui peut être fait à la femme, c'est de la contraindre à vouloir mener une vie où elle est victime de son indépendance économique."

L'opposition et les mouvements féministes turcs reprochent au régime du président islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2002, d'entretenir les violences contre les femmes avec des préjugés religieux.

La présence d'une seule femme - Fatma Betül Sayan Kaya, au ministère de la Famille, qui plus est - dans le nouveau gouvernement turc du Premier ministre Binali Yildirim a également été critiquée.

"Vous ne pourrez pas usurper notre droit à la contraception, ni nos autres droits, avec vos déclarations moyenâgeuses. Nous défendrons nos droits", rétorquait quelques minutes après la déclaration d'Erdogan le 30  mai, sur Twitter, le collectif "Kadin Cinayetleri", qui milite contre les violences faites aux femmes.
 


Dans ses combats, Mr Erdogan, peut compter sur le soutien sans failles de son épouse Emine, grâce à laquelle il peut s'enorgueillir d'être le père de quatre enfants, deux filles et deux garçons. La Première dame de Turquie est cependant une figure contrastée de conservatrice. Dimanche 29 mai, Emine Erdogan défendait l'accès à l'emploi des femmes. "L'indicateur le plus révélateur de l'intégration des femmes dans la vie économique, c'est l'emploi", a-t-elle déclaré, exhortant les autorités à faire plus pour "assurer l'égalité sociale entre les genres". Mais elle n'a pas cité la contraception comme l'un des moyens de parvenir à cette égalité...

A retrouver sur Terriennes, le portrait d'Emine Erdogan

> Emine Erdogan, “femme forte“ et figure ambiguë de Turquie