Enseignement de la sexualité : une question de genres

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Enseignement de la sexualité : une question de genres
Extrait du manuel de SVT Bordas pour premières L et ES de la rentrée 2011-2012 (Bordas)
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Comment enseigner la sexualité à l’école ? Cette question ennuie les professeurs depuis les années 1970, qui ne savent s’il faut se contenter d’enseigner la reproduction, ou élargir aux pratiques sexuelles. Et la thématique « devenir homme ou femme », intégrée au programme scolaire français à partir de la rentrée 2011-2012, crée la polémique depuis que 80 députés se sont levés contre.
Enseignement de la sexualité : une question de genres
Couverture du manuel de SVT Hachette pour les premières L et ES 2011-2012 (Hachette)
Mardi 30 août, 80 députés français issus de la majorité parlementaire ont envoyé une lettre au ministre de l’Education, Luc Chatel. Ils exigent que ce dernier retire au plus vite de la circulation les manuels de Science de la Vie et de la Terre (SVT) destinés aux élèves de première littéraires et économiques et sociales. Sont mis en cause quelques paragraphes consacrés à la dimension culturelle de l'identité sexuelle, idée issue de la théorie du genre sexuel.

Concrètement, si "le sexe biologique nous identifie comme mâle ou femelle, ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin." Ainsi, la sexualité ne serait pas déterminée génétiquement, mais bien culturellement et socialement. Impensable pour ces politiques. Parmi les indignés, on compte des députés issus de la Droite populaire (collectif parlementaire très ancré à droite), mais aussi des députés UMP et centristes.

Des réactions de tous bords

Bien évidemment, à moins d’un an du scrutin présidentiel, les polémiques et petites phrases fusent en tous sens dans le microcosme politique français, d'autant plus que l'éducation sera au cœur des débats. Philippe Meirieu d’Europe Ecologie Les Verts estime que "l’Assemblée Nationale n’a pas à délibérer sur les programmes". La Parti Socialiste suit cette tendance en déclarant dans un communiqué que "sur la forme, il n’appartient pas au pouvoir politique de déterminer le contenu des manuels, mais aux autorités scientifiques qui en sont chargées." De son côté, le secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé soutient les signataires de la lettre : "ce qui est profondément choquant dans cette affaire, c’est que la théorie du genre, qui est une théorie défendue par des personnes mais combattue par d’autres, soit présentée comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas", taclant au passage Yves Jégo, du Parti Radical, qui considérait que la lettre véhiculait un "discours haineux."

L’affaire est donc strictement française, et a pris de l’ampleur alors que la rentrée politique hexagonale est bouillonnante, évidemment très focalisée sur les questions scolaires. D’ailleurs, il ne s’agit ici que du ravivement d’une polémique qui avait débuté en mai, quand Christine Boutin demandait au ministre de l’Education de retirer les manuels (le texte de loi date de juillet 2010). Quoi qu’il en soit, Luc Chatel a répété mercredi 31 août que les livres incriminés ne seraient pas retirés de la circulation, rappelant que "ce n’est pas le ministre de l’Education qui exerce droit de vie ou de mort sur un manuel."

Comment enseigner la sexualité ?

Si en définitive la portée politique de la mesure est assez faible, on reconnaîtra que la question de l’enseignement sexuel et de la sexualité reste posée. Doit-on y aborder la question de la sexualité, qui relève de la sphère privée ? L’enseignement de la reproduction, puis, par extension, de la sexualité, s’est généralisé en Occident aux alentours des années 1960-1970, suite à la révolution sexuelle. Cependant, une critique a émergé dans les années 1990 – avec l’essor des études du genre – , reprochant à l’éducation sexuelle d’être hétérocentrée, et de délaisser de facto les questions de l’homosexualité, de la bisexualité et de la transsexualité (LGBT).

"En légiférant sur le sujet, la France fait partie des rares pays avec la Suède à aborder de front les questions de sexualité dans leur ensemble", nous dit Peter Dankmeijer, le directeur exécutif du Gale (Alliance Globale pour l’Enseignement des questions LGBT).

"Que les questions LGBT soient abordées en cours est essentiel pour faire progresser les droits humains. Par ailleurs, ces enseignements peuvent répondre à des questions que se posent les adolescents, qui deviennent sexuellement actifs. Enfin, évidemment, ils permettent de faire de la prévention contre l’homophobie et les maltraitances dont les jeunes gays et lesbiennes peuvent être victimes."

L’exemple français serait donc un exemple à suivre et appliquer plus largement. Mais ça n’est pas si simple :

"Dans des pays comme la France ou la Suède, où l’éducation est régulée de manière centralisée, les gouvernements peuvent prendre des mesures globales et applicables également dans tous les établissements. Mais dans les Etats fédéraux, comme les Etats-Unis ou l’Allemagne, les programmes scolaires sont déterminés par les gouvernements locaux ; il n’y a donc pas de système éducatif uniforme, et l’enseignement se fait alors au cas par cas. Par ailleurs, dans de nombreux pays, la religion a encore un poids moral très important : il est impensable d’aborder les questions LGBT dans certains pays d’Afrique ou d’Asie, où le fait même d’être homosexuel peut conduire à la peine de mort."

Il n’y a donc pas ou peu de législation sur les enseignements au sujet de l’identité sexuelle :

"Globalement, les gouvernements, centraux comme locaux, peuvent donner des directives, des lignes de conduite… On demandera par exemple aux professeurs d’enseigner la tolérance et le respect d’autrui quel qu’il soit… Mais ces textes ont beaucoup moins de force normative que ceux votés par une assemblée constituante, et ne sont en cela pas toujours appliqués par les enseignants. Un groupe de travail conduit par l’UNESCO [l’organisme de l’ONU avait déjà émit un document sur les principes directeurs internationaux sur l’éducation sexuelle en 2010 – ndlr] travaille actuellement sur l’approche de la différence dans les écoles, et l’apprentissage de l’égalité. Il y a encore beaucoup de travail…"

L'avis des associations de familles

Les associations LGBT et/ou de promotion de la tolérance se félicitent de ce qu’ils considèrent comme une avancée du milieu scolaire, les associations de promotion d’une famille traditionnelle ne sont pas aussi enthousiastes. Ainsi, Familles de France, dans un courrier adressé au Président de la République, reproche sévèrement aux manuels que la théorie du genre sexuel "soit enseignée comme une  vérité scientifique", allant jusqu’à menacer : "Voulez-vous être responsable de plus de grossesses précoces et de cas d’infections sexuellement transmissibles ?"

C’est donc moins le fait que l’homosexualité soit abordée que celui qu’une théorie non-scientifiquement établie soit enseignée qui choque l’association, pour protéger les élèves de pratiques sexuelles à risques. Cependant, nulle part dans les textes incriminés il n’est fait mention d’une quelconque apologie de la liberté sexuelle ou de la prise de risques dans le cadre de l’épanouissement personnel. Ce sur quoi l’Union des Familles Laïques (en faveur du programme) plaisante en déclarant que "le genre, la sexualité, les rôles dans la société ne sont pas déterminés totalement par la biologie, ce n’est pas aussi simple que d’avoir duos habet et bene pendentes."