Fil d'Ariane
Une nouvelle enseignante-activiste a rejoint les rangs de Podemos, le parti de gauche sociale mené par Pablo Iglesias, lui-même connu pour son parcours de professeur d’Université. María José Jiménez-Cortiñas, 39 ans, dispense des cours dans le Master « Compensation des inégalités éducatives » de l’Université de Vigo, en Galice (extrême Nord-Ouest espagnol). Mais si cette jeune Galicienne a commencé à faire couler de l’encre ces dernières semaines, c’est pour une tout autre raison : elle est la première femme d’origine gitane à figurer en tête d’une liste électorale.
Le 20 décembre prochain, lors de élections générales, elle défendra les couleurs du parti morado (le violet de son logo), en tête de la candidature pour la province de Salamanque, en Castille-et-León (Centre-Nord). Une continuation logique, selon elle, de son parcours d’activiste sociale et féministe.
María est présidente de l’association Gitanas feministas por la diversidad (Gitanes féministes pour la diversité), un mouvement social au sein duquel elle a pu affiner sa rhétorique et, surtout, « être en contact permanent avec les mouvements sociaux ». C’est dans ces espaces-là qu’elle se rapproche des militants de Podemos, depuis deux ans. « Ce sont les seuls présents sur le terrain », assure-t-elle, lors d’un entretien téléphonique accordé à TV5 Monde, au beau milieu de la « frénésie de la campagne ».
Podemos fait d'ailleurs la part belle aux femmes depuis que ce parti a fait irruption sur la scène politique espagnole. Il a porté à la tête des deux plus grandes villes d'Espagne, Ada Colau à Barcelone et Manuela Carmena à Madrid, deux maires qui ont aussitôt retroussé leurs manches pour changer les choses durablement : à Madrid la nouvelle élue a réduit la dette de la ville de 871 millions d'euros en un semestre tout en relançant les programmes sociaux pour les plus démunis.
A relire dans Terriennes :
> En Espagne, aux élections, des femmes, partout des femmes
La petite mais valeureuse équipe de Gitanas feministas por la diversidad est de tous les combats. Elle était notamment présente, le 7 novembre dernier, à la grande manifestation contre la violence machiste, qui a réuni près de 200 000 manifestantes et manifestants à Madrid.
A retrouver sur Terriennes :
> En Espagne, les femmes aussi sont « indignées », et marchent contre la violence machiste
« Les femmes gitanes partagent les mêmes préoccupations que les non gitanes : violences, inégalités à l’emploi et dans la vie quotidienne, précise María. En tant que membres d’un collectif marginalisé, nous sommes victimes d’une double discrimination. » A la fin de la manifestation, le manifeste a été lu par les multiples voix composant la société espagnole, dont celle d’Aurora Fernández, camarade de la candidate au sein du collectif des gitanes féministes.
Le plus dur, en tant que Gitane, c’est de faire face à une sorte de suspicion permanente
María José Jiménez-Cortiñas
Quand María dénonce l’exclusion sociale, elle sait de quoi elle parle. Elle qui a grandi aux abords de la ville de Lugo (Nord-Ouest de l'Espagne, dans un foyer humble : « Mes parents faisaient dans la vente ambulante, comme la plupart des Gitans de la moitié nord de l’Espagne. Je suis fière de cet héritage et de ce que nous sommes devenus. » Son frère, petit commerçant autonome et sa sœur, maîtresse d’école, ont gravi les échelons sociaux. A dure peine. María a, elle aussi, affronté les « préjugés et fantasmes dont souffre le peuple gitan, éternel bouc émissaire de la société espagnole », pour décrocher un diplôme en sciences humaines à l’Université de Salamanque, ville où elle se présente aujourd’hui.
« Le plus dur, en tant que Gitane, c’est de faire face à une sorte de suspicion permanente, de devoir continuellement montrer que tu n’es pas la personne que décrit la société dominante. » S’il semble bien loin, le temps de l’Inquisition, qui, en plus de persécuter les Juifs, menait aussi la « chasse » aux Gitans (alors nomades ou semi-nomades), tout ne semble pas pour autant résolu. En témoigne la définition officielle du mot « gitan », donnée par Real academia española (équivalent de l'Académie française) , qui mentionne encore « trapacero » (fourbe, menteur, fraudeur) parmi les synonymes. Une injustice dénoncée, une nouvelle fois, en avril 2015, par le Conseil étatique du peuple gitan.
La candidate, qui n’est pas très amie avec les sondages, est confiante sur ses chances de succès, comme sur celles de Pablo Iglesias, qui bataillera lui pour la Moncloa, l’Elysée espagnol. Face à l’hypothèse d’une instrumentalisation ethnique à des fins électorales, María répond logiquement par la négative et renvoie la balle vers les autres partis politiques.
« La candidate de Podemos n’hésite pas à assurer que les autres partis ‘’utilisent des représentants de minorités sociales’’ avec pour seul objectif de capter ‘’des masses de votes’’ d’une frange sociale. Elle précise que son cas est différent. », peut-on lire dans un article du journal El País qui lui est consacré. L’article fait référence à une liste municipale PP (Parti Populaire, droite) de la ville d’Ourense (Galice) datant de 1999, où apparaît le nom de María José Jiménez-Cortiñas.
« Je n’ai jamais milité ni travaillé directement pour le PP car militer, pour moi, c’est croire en un projet et le défendre. J’avais 23 ans et j’étudiais à Salamanque. La fonctionnaire responsable de l’aire sociale de la Mairie m’a contactée pour dessiner un plan d’aides sociales pour les habitants gitans », répond-elle à TV5 Monde, la voix, normalement tranquille, quelque peu altérée par ce sujet qui l’irrite, depuis que certains médias se sont mis en tête de présenter cet épisode comme une tâche sur son CV.
Pour cette Gitane venue de si loin, qui tutoie Pablo Iglesias et s’entête à dire que « La justice n’est pas une utopie », le verdict tombera le soir du 20 décembre 2015. Si elle parvient à conquérir l’un des 4 sièges à pourvoir à Salamanque, elle marquera un grand pas dans la représentation du peuple gitan en Espagne.
Avant elle, Juan de Dios Ramírez Heredia avait longtemps donné de la visibilité à ce peuple, en tant que député socialiste au Congrès espagnol puis qu’eurodéputé à Strasbourg. L’Andalous, président de l’Union Romaní Espagnole, lui a récemment rendu hommage : « Nous venons d’ouvrir les journaux et d’y trouver l’image de María José Jiménez qui a été choisie comme numéro 1 de Podemos pour la candidature au Congrès pour la province de Salamanque. Cela a insufflé un vent de fraîcheur qui nous est arrivé en plein visage. Enfin, les partis politiques réagissent et nous incluent (les Gitans) dans leurs listes électorales pour des postes qui lèvent tous soupçons de manipulation. »