Espagne : nouvelle polémique après un procès pour viol collectif

En Espagne, des groupes féministes et des juristes se mobilisent pour réclamer une modification de la loi condamnant les agressions sexuelles. A l'origine de cette polémique, la condamnation pour atteintes sexuelles, seulement, de cinq hommes accusés du viol collectif d'une adolescente de 14 ans.
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Une manifestante, les mains peintes en violet, couleur de la contestation depuis plusieurs jours en Espagne, après la condamnation de 5 hommes pour atteintes sexuelles, alors qu'ils étaient poursuivis pour le viol collectif d'une adolescente de 14 ans, en octobre 2016. Les manifestant.e.s réclament une réforme du Code pénal espagnol concernant le délit de viol. (Madrid, 4 novembre 2019) .
©AP Photo/Paul White
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L'affaire remonte à octobre 2016. Une adolescente de 14 ans est violée par plusieurs hommes lors d'une fête dans une usine abandonnée à Manresa en Catalogne, à 60 km au nord de Barcelone.

Trois ans plus tard, les accusés sont condamnés pour atteintes sexuelles.

Une attaque "extrêmement violente et particulièrement dégradante".
Rapport du tribunal de Barcelone

Les juges n'ont pas retenu l'accusation plus grave d'agression sexuelle, équivalent légal du viol en Espagne. Ils ont estimé que la victime se trouvait dans un "état inconscient" lié à l'absorption de drogues et d'alcool. Du coup, les accusés n'avaient selon le tribunal, fait usage d'"aucune sorte de violence ou d'intimidation".
La Cour n’a fait qu’appliquer à la lettre le Code pénal espagnol, qui ne considère pas l’inconscience de la victime (et donc son absence de consentement) comme une circonstance aggravante.

Parmi les sept hommes poursuivis, cinq hommes ont été condamnés à des peines d'emprisonnement allant de 10 à 12 ans, deux ont été acquittés. Une condamnation pour agression sexuelle aurait pu les condamner à des peines plus lourdes, entre 15 et 20 ans de prison.

La cour a également ordonné aux condamnés de verser 12.000 euros d'indemnisation pour une attaque décrite comme "extrêmement violente et particulièrement dégradante".

C’est ton tour, quinze minutes chacun.
Propos attribué à un accusé selon le rapport de justice

Comme le relate un article du quotidien Le Monde, la victime était sous l’effet de l’alcool et de la marijuana, quand elle a été entraînée par un jeune homme, majeur, dans un lieu écarté, en marge de la fête. La jeune fille était « inconsciente, sans savoir ce qu’elle faisait et ce qu’elle ne faisait pas », précise le jugement. Le jeune homme a pu « réaliser des actes sexuels sans violence ni intimidation », puis il est allé chercher plusieurs autres jeunes, tous majeurs, auxquels il aurait dit, selon plusieurs témoins : « C’est ton tour, quinze minutes chacun. »

"La meute" bis repetita ?

"Le problème n'est pas le jugement, c'est le code pénal" qui stipule que l'usage de violence et d'intimidation doit être prouvé pour condamner quelqu'un pour viol, a déclaré sur la radio Cadena Ser Montserrat Comas, porte-parole en Catalogne de l'association Juges pour la démocratie. Selon elle, l'Espagne doit changer sa loi pour définir comme viol toutes les relations sexuelles sans consentement, à l'instar de la plupart des autres pays européens et tel que le stipule la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur la prévention de la violence envers les femmes, ratifiée par Madrid en 2014. "Les faits sont particulièrement odieux car nous parlons d'une mineure âgée de 14 ans", estime-t-elle..

L'affaire a été comparée à celle dite de "la meute", surnom que s'étaient attribué cinq hommes accusés du viol collectif d'une jeune fille en 2016 à Pampelune. Leur condamnation initiale en 2018 à neuf ans de prison pour abus sexuels et leur remise en liberté provisoire avaient suscité une grande mobilisation féministe. Le 21 juin 2019, la Cour suprême espagnole a requalifié les faits en "viol" et les a condamnés à 15 ans de prison.

Après le jugement initial dans l'affaire de Pampelune, le gouvernement socialiste avait annoncé des projets pour réformer le code pénal afin d'ajouter la notion de consentement explicite. Mais aucun changement n'a encore été effectué.

#NoEsNo (#NonCestNon)

Depuis plusieurs jours, les militantes féministes espagnoles se mobilisent sur les réseaux sociaux et dans la rue pour faire évoluer la loi, reprenant le slogan qui avait été scandé lors des rassemblements durant l'affaire de "la meute" : #NoEsNo (#NonCestNon).

Sur Twitter, Marisa Soleto, responsable de la Fondation des femmes, estime que l'affaire de Manrèse "constitue une nouvelle preuve du besoin de changer la loi".

Pour sa part, Altamira Gonzalo du groupe de juristes féminines Themis déclare ressentir "beaucoup de honte et d'impuissance" devant le jugement.

La maire de Barcelone, Ada Colau, qui a raconté par le passé avoir été victime de deux tentatives de viol dans sa jeunesse, qualifie ce jugement de "scandaleux", estimant qu'il est le produit d'un "système judiciaire patriarcal". "Je ne suis pas juge et je ne sais pas quelle peine de prison il méritent, mais ce que je sais c'est qu'il ne s'agit pas d'abus mais de viol", a-t-elle lancé sur Twitter.

Justice patriarcale héritée du franquisme

« Il ne faut pas oublier que le régime franquiste qui a duré quarante ans en Espagne a sclérosé le pays sur les thématiques du genre. Pendant cette période, il y avait un Code pénal délirant et très patriarcal. Par exemple, un homme qui surprenait sa femme en train de commettre un adultère avait le droit de la tuer. L’inverse n’était pas vrai. », explique Béatrice Sommier, une ethnologue sur le genre, la sexualité et les sentiments en Andalousie, dans le journal 20 Minutes.