Une centaine d'homosexuels sont arrêtés chaque année au Cameroun. Sept sont actuellement incarcérés à Yaoundé. Cette traque homophobe risque de persister encore longtemps dans le pays. Le gouvernement envisage de faire passer la peine de prison pour homosexualité de 5 à 15 ans en cas de « circonstances aggravantes ». Comment vit-on aujourd’hui au Cameroun lorsque l’on est gay ? Témoignages.
Depuis 1972, l'article 347 bis du Code pénal stipule qu’ « est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans ferme et d’une amende de 20 000 à 200 000 FCFA (soit 30 à 300 euros) toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ».
Cette homophobie a connu un nouvel élan dans le pays en 2006 avec la publication par plusieurs journaux camerounais, et pendant des semaines, de listes d’homosexuels présumés, notamment parmi les personnalités politiques camerounaises.
Dès lors les homosexuels du pays, notamment les jeunes à qui il est reproché de convoiter une promotion sociale par cette pratique, sont devenus les boucs émissaires d’une classe politique depuis longtemps accusée de laisser son peuple dans la pauvreté et l’oubli.
Ainsi, pour satisfaire l’opinion publique, les arrestations de personnes homosexuelles se sont multipliées ces derniers mois. En mars 2011, un homme d’une trentaine d’année, Roger Mbédé, a été condamné à 3 ans de prison ferme par le tribunal d’Ekounou à Yaoundé pour avoir envoyé un texto à un homme qui lui plaisait. Dénoncé par le destinataire du message, il avait avoué son homosexualité en garde à vue.
En novembre, quelques semaines après la réélection du président Paul Biya, ce sont deux jeunes de 19 et 20 ans qui ont été condamnés à 5 ans ferme, la peine maximale, pour homosexualité. En plus des aveux obtenus sous la menace, le juge s’était longtemps attardé sur le fait que les deux garçons portaient une perruque lors de leur interpellation et qu’ils consommaient du Baileys, une boisson féminine selon lui. Quatre autres personnes incarcérées cette année sont toujours en attente de leur procès. Autant de cas qui poussent les homosexuels du pays à la plus grande prudence.
D'autant qu'une révision du Code pénal camerounais est à l'étude et vise à durcir la répression de l'homosexualité en cas de « circonstances aggravantes ». Cela concerne l'infraction d'homosexualité commise sur mineur entre 16 et 21 ans, condamnée à 8 ans de prison, et celle commise sur mineur de moins de 16 ans et dont la condamnation oscille entre 10 et 15 ans de prison, mettant sur un pied d'égalité homosexualité et pédophilie.
Une peur quotidienne
Arnaud, 37 ans, journaliste à Yaoundé.
« Nous sommes dans un traumatisme permanent, d’autant que les arrestations sont complètement arbitraires et se font souvent sur la base de dénonciations, sans preuves, alors que la loi induit le flagrant délit. Depuis cinq mois, ça s’accentue. Chaque jour qui passe, je suis hanté par l’idée d’être dénoncé et je remercie le Seigneur le soir, quand je rentre chez moi sain et sauf. On vit dans la peur. On est avec les amis et on se demande qui sera le prochain.
Moi, je ne fais plus de nouvelles rencontres, j’ai tiré une croix sur ça. Je ne sors plus le soir, je ne vais plus dans les bars identitaires et je ne parle pas à n’importe qui car j’ai beaucoup d’amis, autour de moi, qui ont été arrêtés. Certains ont dû hypothéquer leurs biens pour être relâchés. Ma famille a des soupçons mais elle ne sait pas que je suis homosexuel. Cela relève de ma vie privée. J’ai découvert mon homosexualité à 30 ans. Je suis chrétien, je croyais que l’homosexualité était une abomination. J’ai prié et jeûné pendant des semaines pour ne plus l’être mais cela fait partie de moi et aujourd’hui je l’assume, même si je ne passe pas forcément à l’acte ».
Gaëlle, 26 ans, résidant à Douala.
« Les femmes choquent moins que les hommes dans leur homosexualité. Je me dis que si j’avais dû être arrêtée, ça aurait déjà été fait depuis longtemps. Je dois faire un peu peur, par mon gabarit. Je suis grande gueule aussi, c’est important car je ne me laisse pas faire. Depuis que je m’assume et que j’en ai fini avec l’auto-stigmatisation, je suis un « gladiator ». Mais j’ai toujours peur puisque je suis dans l’illégalité, il faut savoir prendre des précautions. Je fais attention dans le choix de mes partenaires, j’évite certains milieux. J’ai aussi peur pour mes frères de la communauté. Il faut qu’ils se rapprochent des associations pour être informés. Moi, c’est en voulant assumer mon homosexualité et en faisant des recherches sur Internet que j’ai découvert que l’homosexualité au Cameroun était illégale. Beaucoup d’homosexuels ne le savent pas ! ».
La force du tissu associatif
Ces dernières années, la communauté homosexuelle s’est structurée au Cameroun. Plusieurs associations ont vu le jour comme Adefho (Association de Défense des droits des Homosexuels) créée en 2003 par
Me Alice Nkom, avocate camerounaise mondialement reconnue pour son combat envers les minorités sexuelles. Avec la force de ses bénévoles,
l’association Adefho anime
le site Sidado et met à disposition une ligne verte : 709 500 51 pour les personnes lesbiennes, gays, bi et transgenres (LGBT). Cette association est une des rares à dévoiler officiellement son combat. La plupart se créent sur la base de la lutte pour les Droits de l’Homme bien que la cible officieuse soit la communauté gay.
Yannick, 27 ans, éducateur dans la communauté homosexuelle et diplômé de sociologie.
« Officiellement, notre association Humanity First lutte contre le VIH/Sida et pour les Droits de l’homme. Officieusement, notre cible, ce sont les MSM (Men who have Sex with Men). C’est de l’action discrète pour qu’un climat sain se développe. Nous savons que les autorités ne sont pas dupes mais elles n’assument pas le côté officiel donc on fait un peu de cache-cache. Etre homosexuel au Cameroun c’est se cacher, taire son identité, faire semblant pour ne pas être vu de travers. Alors on rentre les griffes et on se fond dans le moule. Certains vont avec des filles pour ne pas être indexés, moi, je cache mon côté féminin. Je garde tout le temps le contrôle pour ne pas laisser transparaître un aspect suggestif. Avec mes amis homos, on utilise un code, le Koanengué, lors de situations embarrassantes et pour ne pas éveiller les soupçons de la famille ou des amis. Il n’y a qu’ici, à l’association, que je peux être moi-même, on apprend à s’accepter. Aujourd’hui, les homos vivent quand même mieux qu’avant grâce au cadre associatif. On a trouvé des moyens pour s’exprimer, vivre. »
Adonis, 27 ans, président des travailleurs et travailleuses du sexe au Cameroun, association créée en 2009. « Les travailleurs du sexe sont très exposés aux arrestations. Le travail du sexe est un délit donc on est encore plus marginalisés et poursuivis. On est au moins 120 entre Yaoundé, Douala et Edéa. Moi, j’ai été rejeté de tous pour mon homosexualité. J’ai même été excommunié par mon église en 2008. J’ai fait une tentative de suicide. Et puis heureusement, j’ai rencontré Me Nkom. Elle m’a expliqué que j’avais l’avenir devant moi. C’est à la suite de cette rencontre que je suis devenu activiste. Cela m’a rendu fort. Personnellement, je n’ai pas peur d’être arrêté, j’ai été à l’école de Me Nkom ! Je saurai quoi dire pour me défendre. Mais plusieurs de mes amis ont fui le pays à cause de la répression. Il est important aujourd’hui de solliciter le débat ».
A ce combat juridique s’ajoute le combat des homosexuels pour l’accès aux soins. Les hôpitaux sont encore très réticents à vouloir les soigner pour des infections ou des maladies contractées lors de rapports sexuels (MST, Sida).
Bernard, 42 ans, femme, est membre d’une association de lutte officieuse contre les minorités sexuelles.« Le droit à la santé pour les homosexuels est une de mes priorités. Aujourd’hui, c’est un combat qui n’est pas encore gagné. A Yaoundé, un seul hôpital accepte de soigner les homosexuels. Il faut en parler car plus on en parlera, plus la tolérance grandira.
A côté de ça, j’anime des groupes de paroles sur les droits de l’homme. C’est un travail sous-marin pour éduquer les personnes et leur permettre de vivre leur homosexualité du mieux possible. On leur dit par exemple de ne pas faire de photos sur leur téléphone, on leur explique quoi faire en cas d’arrestation comme ne pas parler et demander son avocat. La police arrête la classe moyenne voire basse, ceux qui ne connaissent pas leurs droits et ensuite ils monnaient leur liberté. Moi, je peux toujours être piégée et me retrouver en garde à vue – je prie pour que cela n’arrive pas- mais je saurai quoi répondre ».
Olivier, 26 ans, étudiant à Yaoundé.
« Je suis un hors-la-loi puisque je ne fais pas ce que la loi demande. Peut-être qu’un jour, moi aussi je serai arrêté. J’ai peur que cela m’arrive mais j’essaye de vivre le plus simplement possible. Mon petit ami, tout le monde le connaît et croit que c’est mon meilleur ami. Je pense que ma sœur le sait. Si elle me pose la question, je lui répondrai mais je ne vois pas pourquoi j’irai m’asseoir avec elle pour lui expliquer. C’est ma vie privée. Mais c’est pesant de ne pas pouvoir exprimer ce que l’on ressent.
Heureusement, je ne vis pas seul, je suis avec mes pairs. Eux me comprennent et cela me suffit. Je suis encore étudiant mais plus je serai indépendant, moins j’aurai la crainte d’être rejeté. Récemment, j’ai eu de gros problèmes de santé, un cas d’infection. Il a fallu en camoufler les causes mais l’hôpital n’a pas voulu me soigner. J’ai dû me contenter de la pharmacie ».
La chasse sur le web
Les homosexuels camerounais doivent aussi déjouer les pièges qui se tissent sur la Toile. Depuis quelques temps, un « traqueur du Net » tente d’attirer les homosexuels qui publient des annonces en ligne. Le traqueur, très concerné par la lutte contre les homosexuels, répond lui-même à ces annonces et arrive au rendez-vous accompagné de la police.
Freddy, 23 ans, vit à Yaoundé.
« J’ai été une fois victime du traqueur sur le net et mon colocataire aussi. Un jour, il est venu chez nous et nous a demandé de le suivre au commissariat. J’ai su résister. Une autre fois, mon colocataire a été frappé et traîné de force. Il a passé une nuit en cellule avant d’être libéré pour 70 000 FCFA (105 euros). Moi, si je pars pour 5 ans ferme, c’est le suicide assuré. Je cache mon homosexualité depuis mon adolescence. Ma mère a eu des soupçons et j’ai dû faire un scandale pour qu’elle me croie. J’ai peur de lui causer un infarctus. Certains disent que je suis le diable, le mauvais esprit donc je m’expose le moins possible pour ne pas avoir de problèmes. Je suis discret, je ne fréquente pas de personnes efféminées… Les arrestations, je trouve ça injuste. Chacun peut vivre sa sexualité comme il l’entend ! J’ai très peur que cela m’arrive et je me demande si j’aurai toujours le courage d’aborder une personne qui me plaît. Est-ce que je peux encore avoir une vie sexuelle ? C’est difficile d’être gay au Cameroun, tu dois porter une armure, paraître quelqu’un que tu n’es pas. J’aimerais parler sans avoir à chuchoter. Il faut être très fort d’esprit pour assumer, c’est un combat de tous les jours mais avec tous les efforts de la communauté gay, je me dis que oui, ça peut changer ».
De l’optimisme malgré tout
En 2006, en plein scandale des listes d’homosexuels publiées par la presse, le président Paul Biya avait rappelé que la vie sexuelle faisait partie de la vie privée de chacun. Mais l’homophobie reste ancrée dans la société camerounaise : dans la famille, le cercle d’amis, notamment pour des questions religieuses.
Avec le temps, et par l’éducation, Josiane, 32 ans, ancienne footballeuse de haut-niveau à Yaoundé, s’attend à ce que les mentalités changent. « Il y a quelques années, lorsque ma mère m’a demandé si les rumeurs sur mon homosexualité étaient vrai, je lui ai répondu oui. Après ça, elle est tombée gravement malade et dans ma famille, tout le monde me traitait de sorcière. Les enfants ne devaient pas m’approcher, par peur de la contamination. J’ai dû changer de maison.
Aujourd’hui, ma famille l’a accepté mais on n’en parle pas. C’est très important d’avoir la famille avec soi. Je fais tout de même très attention. Avec mon amie, on est obligées de se voir au jardin public, pour ne pas alimenter les ragots. Il n’y a pas d’intimité. L’embrasser en public ? Surtout pas, on en entendrait parler jusqu’à la radio ! C’est encore très secret, mais les choses sont en train de changer. Avant, quand je regardais une série américaine en famille et que deux filles s’embrassaient, il fallait changer de chaîne. Maintenant, on regarde et moi je reste les pieds croisés. Tous les dimanches, les homosexuels se retrouvent au Carrefour de la Joie, à Yaoundé. Tu sens qu’il y a de la liberté. Je suis fière de mon pays car il ne se passe pas ce qu’il y a en Afrique du Sud : les meurtres et les viols correctifs. ».
Me Michel Togue est avocat à Yaoundé. Avec Me Alice Nkom, il est un des rares défenseurs de la cause homosexuelle. Depuis 2002, il a défendu une dizaine de dossiers concernant des homosexuels, sans compter les cas d’intervention dans les unités de police suite à des arrestations. La plupart de ces dossiers arrivent sur simple dénonciation, parfois sur plaintes. Pour Me Togue, « défendre l’homosexualité est ce qu’il y a de plus difficile au Cameroun » mais il se veut, lui aussi, optimiste (témoignage sonore).
En décembre 2011, l’ONU a publié pour la première fois de son histoire
un rapport sur les droits de l’homme, l’orientation sexuelle et l’identité de genres. Elle appelle les gouvernements du monde entier à abroger toutes les lois discriminant les personnes à cause de leur orientation sexuelle et leur identité de genre ainsi qu’à garantir le respect de leurs droits fondamentaux. Ce rapport doit être discuté au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en mars 2012.
Selon ce rapport, 76 pays dans le monde ont, encore aujourd’hui, des lois utilisées pour criminaliser les personnes sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Des cas d’assassinats de personnes homosexuelles ont été recensés en Jamaïque, en Afrique du Sud mais aussi aux Pays-Bas et en Suède.