Fil d'Ariane
Muriel Douru signe "Putain de Vies", un roman graphique retraçant l'histoire de neuf travailleuses et un travailleur du sexe. À travers des témoignages à la première personne, ce livre nous plonge au cœur des destins de ces hommes et ces femmes venus des quatre coins du monde. Rencontre avec l'autrice.
Illustratrice et activiste, Muriel Douru a déjà publié plusieurs ouvrages sur l'homosexualité et l'homoparentalité. Aujourd'hui, elle signe Putains de vie, un recueil d'une dizaine de témoignages rares qui sortent les travailleuses du sexe de l'ombre et de la victimisation systématique. Pour une fois, elles sont écoutées, jamais jugées - même si Putains de Vies, initié par Médecins du monde, tire aussi le signal d'alarme sur leurs conditions de vie.
A travers le récit de la Nigériane Amélia, exilée et prostituée de force, de Laurianne, Escort Girl sans tabou, de Giorgia, transgenre colombienne et séropositive contrainte de quitter son pays, Muriel Douru donne une visibilité à cette population cachée et stigmatisée. Elle donne à voir et à écouter la diversité des situations et les relie aux questions de migration et de transidentité. Préfacé par Ovidie, la "prêtresse du porno féministe" en France, ce roman graphique vient briser quelques idées reçues sur la prostitution.
La parole des femmes a-t-elle été facile à recueillir ? Qu’ont-elles pensé de la BD après publication ?
Je m’attendais à beaucoup de réticence de leur part. Mais à ma grande surprise, elles ont toutes accepté. Leur parole était libérée, parce qu’elles n’ont pas l’habitude qu’on les écoute. La plupart ont connu des drames, mais n’ont eu aucun suivi psychologique. Raconter leur histoire a peut-être été une forme de soulagement. Après la publication, elles ont toutes reçu un exemplaire du livre. Elles étaient très émues de voir leurs vies devenir un scénario de roman. Certaines ont traversé des drames et des luttes qui pour nous, les privilégiées, sont inimaginables ! Ce sont des femmes douées d’une résilience hors du commun et d’un courage exemplaire. Gardons-nous de savoir mieux qu’elles, ce qui serait "bon" pour elles.
Selon vous, quel est le dénominateur commun de toutes ces femmes ? Même si, comme le dit Ovidie dans sa préface, "il n’y a pas deux travailleuses ou travailleurs du sexe qui aient le même parcours de vie".
Elles ont quasiment toutes connu la violence durant l’enfance. Sur les dix histoires de ce livre, une seule n’est pas concernée. Elles m’ont également toutes dit que la violence des clients a augmenté depuis la loi de pénalisation en 2016. Cette loi les précarise et les met en danger. En pénalisant les clients, on leur donne des moyens de pression supplémentaires sur les prostitué.es - négociation des tarifs, rapports non protégés, etc...
Ovidie exprime ce que dévoile le livre : on ne peut pas coller une seule étiquette sur toutes les travailleuse du sexe parce qu’elles ont toutes des destins différents. Entre Lauriane, la Parisienne qui a utilisé le travail du sexe à un moment dans sa vie parce qu’elle en avait envie, et Candice, qui a subi le proxénétisme et les réseaux de traites des êtres humains, il y a un monde. Ce monde, c’est celui des inégalités sociales.
Votre livre va au-delà du simple récit sur la prostitution : il parle de féminisme, de genre, de migration... Est-ce un livre militant ?
Ce livre est militant malgré lui. Il révèle des parcours stupéfiants, bien loin de ce qu’on vit en tant que blanc privilégié. On ne peut que s’identifier à ces destins incroyables et se demander : "Qu’est ce que j’aurais fait à leur place ?"
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