Figure de la résistance, de la paix, de l'émancipation des femmes de l'entre-deux-guerres et de la lutte antiraciste, Joséphine Baker entre au Panthéon ce 30 novembre. Ainsi en a décidé le président français Emmanuel Macron il y a trois mois - un choix chargé de symboles pour les femmes et la diaspora d'origine africaine.
Panthéonisation de #JosephineBaker
— éduscol HG (@eduscol_HG) November 25, 2021
Chanteuse, danseuse, espionne pour la #Résistance, elle lutta contre le #racisme dans une Amérique ségrégationniste - @ARTEfr retrace son destin dans une vidéo : "J. Baker, 1ère icône noire" (53 minutes)
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Pour Jennifer Guesdon, membre du collectif "Osez Joséphine" qui avait milité pour la panthéonisation de l'artiste franco-américaine, cette grande première est le résultat du "parcours d’une femme exceptionnelle, universaliste et engagée. C’est un modèle de courage et de détermination pour les génération à venir".
Pour l'essayiste Laurent Kupferman, initiateur de la pétition "Osez Joséphine", qui a recueilli près de 38 000 signatures, l'intronisation de Joséphine Baker au Panthéon est la consécration d'"une profonde et grande humaniste, un modèle de courage" :
Le choix de l'artiste franco-américaine Joséphine Baker au Panthéon peut aussi susciter des interrogations, explique Maboula Soumahoro, chercheuse sur les diasporas africaines aux Etats-Unis, lors d'un entretien avec Terriennes :
L'entrée au Panthéon de Joséphine Baker vue par la chercheuse franco-ivoirienne, spécialiste des diasporas africaines aux Etats-Unis, Maboula Soumahoro.https://t.co/KbtnPkEoEe pic.twitter.com/dd2cIFhbmd
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) November 25, 2021
Paulette Nardal, Suzanne Cézaire ou la mulâtresse Solitude... D'autres femmes noires françaises que Joséphine Baker pourraient rejoindre le Panthéon et postuler au statut d'héroïnes noires de la République, rappelle Maboula Soumahoro https://t.co/KbtnPkEWtM pic.twitter.com/zOez7NAe8Z
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) November 25, 2021
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La femme engagée
Certain-e-s n'auront sans doute gardé d'elle que l'image d'une danseuse aux pieds et seins nus, ceinturée de bananes, la peau brillante et pailletée, et au déhanché suggestif. Une image perçue comme "exotique" en son temps, celle d'une femme noire hypersexualisée, incarnation d'un fantasme colonial qui, aujourd'hui, ne passerait pas...Et surtout, Joséphine Baker a revêtu bien d'autres costumes dans le vestiaire de sa vie, en marge de sa carrière d'artiste.
Militante des droits civiques
D'origine métissée afro-américaine et amérindienne des Appalaches, née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 dans un quartier pauvre de Saint-Louis, dans le Missouri, abandonnée par son père et peu aimée par sa mère, Joséphine Baker a été bien plus que cela : une femme qui s'est faite toute seule, à la personnalité généreuse, complexe et au destin unique, voire icônique. Chanteuse, danseuse, actrice et meneuse de revue, ce qu'on sait moins, c'est qu'elle fut aussi une militante engagée dans la lutte contre le ségrégationnisme face aux cagoulés du Klux Klux Klan, marchant aux côtés de Martin Luther King lors de la Marche vers Washington pour le travail et la liberté en 1963. Elle prendra même la parole à la tribune pour rendre hommage à Rosa Parks et Daisy Bates.Une lutte entamée dès les années 1950 lorsqu'elle écrit des articles pour soutenir le mouvement afro-américain des droits civiques, et intervient publiquement pour condamner le verdict d'un procès acquittant deux hommes blancs jugés pour le meurtre d'une femme noire, Emmet Till. A son retour d'exil, lors d'une tournée aux Etats-Unis, elle militera pour qu'un public noir et blanc assiste à ses spectacles. Interdite d'entrée dans un hôtel newyorkais, elle se battra et fera scandale, une journée qui deviendra ensuite le "Baker day", un jour symbole de lutte contre la ségrégation.
Son deuxième pays, la France

Après des débuts d'habilleuse, elle fait ses premiers pas de danse sur scène à Broadway, notamment dans la comédie musicale Shuffle Along, premier spectacle intégralement interprété par des artistes noirs à New York.
Son premier rendez-vous avec la France se produit en 1925. Joséphine Baker embarque pour Paris pour participer à la Revue nègre, un spectacle véhiculant bien des clichés sur les Noirs. Sur scène, affublée de son désormais célèbre pagne à bananes, accumulant les grimaces et faisant rouler ses yeux, elle s'accompagne de son léopard, Chiquita, qui a la mauvaise habitude de s’échapper dans la fosse, ce qui, on l'imagine, a le don d'apeurer le public et de faire sensation. La même année, elle se lance dans la chanson et le cinéma. Sa célèbre chanson J’ai deux amours rencontre le succès en 1931.Joséphine Baker
Son premier amour, son pays, elle le retrouve en 1936. Mais ce retour aux Etats-Unis se solde par un échec cinglant. Sa tournée n'attire pas les foules, elle y subit de nombreuses critiques et se sent rejetée. Elle se réfugie et se console alors auprès de son deuxième amour, Paris, et s'y marie.
Espionne pour l'armée française

Pour saluer cet engagement, le général de Gaulle lui remet la Légion d'honneur, elle est aussi décorée de la Croix de guerre et de la Médaille de la résistance.
Joséphine Baker, vraie résistante
— Tancrède Bonora (@TancredeB) May 12, 2021
Lors d’un voyage au Portugal, elle avait caché dans son soutien-gorge un microfilm avec une liste d’espions nazis qu’elle remet à des agents britanniques. pic.twitter.com/bzXxpae1b4
Des tas d'amours et une famille arc-en-ciel
Joséphine Baker a été mariée quatre fois. Son premier mariage remonte à 1920, elle n'avait alors que 13 ans, une union de courte durée, tout comme la seconde, avec Willie Baker, dont elle gardera le nom. Avec son troisième mari, français, elle obtient sa nationalité française. Son quatrième et dernier mari est le chef d'orchestre Jo Bouillon. C'est avec lui qu'elle a achète le domaine des Milandes, en Dordogne. On lui prête aussi de nombreuses aventures, avec Simenon, Hemingway, Colette ou Frida Kahlo...Suite à une fausse couche durant la guerre, elle subit une ablation de l'utérus. Puisqu'elle ne peut devenir maman, elle va chercher à accomplir un rêve : celui d'adopter des enfants de toutes les origines. Sa tribu "arc-en-ciel", comme elle l'appelle elle-même, sera composée de 12 enfants, deux filles et dix garçons. Un idéal de fraternité universelle, une manière selon elle de lutter contre le racisme.
Akio Bouillon, fils de Joséphine Baker
Le 30 novembre prochain, 46 ans après sa mort, Joséphine Baker entrera au Panthéon.
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) November 19, 2021
Elle fut une artiste de music-hall et une figure éminente de la Résistance . Elle fut aussi la maman de 12 enfants. Brian Bouillon-Baker, l'un de ses fils, était notre invité. pic.twitter.com/4TGomvkzP3

"Osez Joséphine au Panthéon"

"Osez Joséphine" >> une pétition pour panthéoniser Joséphine Baker. La @Licra soutient l'initiative de @L_Kupferman À signer ici https://t.co/tghRE0O46M @EmmanuelMacron
— Licra (@_LICRA_) May 8, 2021
Une initiative relayée par la Licra, et son président Mario Stasi, et soutenue par plusieurs personnalités, dont Stéphane Bern, Nicoletta, Pierre Souchon, Rachel Khan, Marie-Paule Belle... L' idée avait déjà été initiée en 2013 par l'écrivain et philosophe Régis debray qui avait écrit une tribune dans le Monde.
Akio Bouillon, fils de Joséphine Baker
"L'intérêt c'est de rassembler des artistes, des politiques et des anonymes surtout. Quoi qu'il arrive, ce sera de toute manière une réussite pour célébrer la mémoire de ma mère", expliquait Brian Bouillon-Baker sur France 3 Aquitaine. "Maman était profondément reconnaissante à la France d'avoir pu accéder à une certaine notoriété et surtout à une liberté d'opinion. Ça a servi de socle pour promouvoir ce droit à la différence", évoque de son côté son frère, Akio.
Joséphine Baker a écrit plusieurs ouvrages dont Mon Sang dans tes veines, réflexion sur l’injustice de la discrimination raciale. "Ils ont tous une race différente, mais pourtant ils ont tous le même sang et s'aiment profondément", disait-elle lorsqu'on l'interrogeait sur ses enfants, comme le rappelle Angélique de St-Exupéry, propriétaire actuelle du Château des Milandes, et conservatrice du musée qui s'y trouve. Un musée consacré à "la plus parisienne des Américaines, la plus sulfureuse des danseuses de music hall, la plus grimaçante des icônes", comme la décrit France musique...
Je suis pour son entrée au Panthéon et je suis pour celle de Josephine Baker pas l'une sans l'autre ! https://t.co/o3V6zozY3u
— LilianeCapelle (@Libe75) May 18, 2021
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