Fil d'Ariane
Texas, Kansas ou Ohio... C'est maintenant à l'échelle de chaque Etat d'Amérique que se joue la bataille sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Le bras de fer juridique est devenu un enjeu électoral entre conservateurs et démocrates.
Soirée de veille électorale, le 8 août 2023, à Columbus, dans l'Ohio. Les électeurs de l'Etat ont rejeté une mesure soutenue par les républicains qui aurait rendu plus difficile l'adoption de mesures de protection de l'avortement.
Le 24 juin 2022, la Cour suprême, à majorité conservatrice à la suite des nominations de Donald Trump, annulait l'arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, garantissait le droit constitutionnel des Américaines à avorter. A chaque Etat, désormais, de légiférer en la matière...
Depuis, le pays est fracturé entre la vingtaine d'Etats ayant interdit ou strictement restreint l'accès à l'avortement, principalement situés dans le sud et le centre du pays, et ceux des côtes Est et Ouest, qui ont adopté de nouvelles garanties. La question de l'accès à l'avortement déchire la société américaine, au point de s'imposer comme un enjeu crucial dans la campagne pour la présidentielle de 2024, provoquant d'intenses remous juridiques et politiques.
La gouverneure du Maine, Janet Mills, signe l'élargissemant de l'accès à l'avortement à un stade plus avancé de la grossesse, le 19 juillet 2023. Les opposants à cette nouvelle loi n'essaieront pas de l'annuler par référendum. La représentante républicaine Laurel Libby, chef du groupe Speak Up for LIFE, a annoncé que ses alliés ont décidé de concentrer leurs ressources sur l'élection de candidats opposés à l'avortement plutôt qu'une campagne référendaire.
Le président-candidat démocrate Joe Biden rallie les organisations de défense du droit à l'avortement, tandis que certains ténors républicains promettent au contraire une interdiction tous azimuts. Or les dernières enquêtes d'opinion le confirment : les Américains souhaitent majoritairement protéger l'accès à l'avortement. Selon un récent sondage CNN, ils sont 64 % à souhaiter le retour au droit constitutionnel des femmes à avorter.
Début août 2023, un tribunal du Texas donnait raison à un groupe de femmes et de médecins qui contestaient, devant la justice, les interdictions d'IVG en vigueur dans l'État, au motif de l'urgence médicale.
Le camp conservateur enchaîne les revers sur cette question et l'échec de référendums anti-avortement dans les très conservateurs Etats du Kentucky et du Kansas a révélé des nuances jusque dans l'électorat républicain.
Même tendance dans l'Ohio, où les conservateurs comptaient faire adopter une réforme constitutionnelle qui aurait compliqué l'organisation et l'adoption de référendums dans cet Etat du nord du pays – avec l'accès à l'interruption volontaire de grossesse en ligne de mire, puisque le droit à l'avortement sera en jeu lors d'un scrutin en novembre. Les républicains voulaient entraver une victoire du camp pro-IVG, mais les électeurs de l'Ohio se sont prononcés contre la réforme, selon des médias américains.
"Aujourd'hui, les électeurs de l'Ohio ont rejeté une tentative des législateurs républicains et des intérêts particuliers" dont l'objectif était "de modifier le processus constitutionnel d'amendement de l'Etat, déclarait le président Joe Biden dans un communiqué. Cette mesure était un tentative flagrante d'affaiblir la voix des électeurs et de miner encore plus la liberté des femmes de prendre leurs propres décisions concernant leur santé. Les habitants de l'Ohio ont parlé fort et clair, et ce soir la démocratie a gagné".
L'Ohio, ancien bastion de l'industrie américaine qui a créé la surprise en votant pour Donald Trump en 2016, se déchire sur l'avortement depuis la décision de la Cour suprême de casser la jurisprudence Roe vs Wade. D'ailleurs, plus de 500 000 électeurs s'étaient déjà prononcés sur cette réforme constitutionnelle par vote anticipé avant le scrutin du 8 août. Cette élection locale a également été largement couverte par les médias nationaux, qui y voient un vote test important pour les républicains.
Alexis McGill Johnson, présidente de la puissante organisation de planning familial Planned Parenthood, a salué une "excellente nouvelle" après l'annonce des résultats provisoires. "Les habitants de l'Ohio se sont rendus aux urnes et ont rejeté la mesure de l'opposition visant à saper la démocratie et à restreindre la possibilité de choisir d'avoir des enfants ou non".
La décision fait suite à une audience tenue en mai 2023 devant cette cour d'appel sur l'accès à la mifépristone (RU 486) qui, combinée à un autre cachet, a été utilisée par 5,6 millions de femmes depuis son agrément par l'Agence américaine du médicament (FDA) en 2000. L'audience portait sur la suspension, en avril, par un tribunal fédéral de première instance, de l'autorisation de mise sur le marché de la mifépristone, évoquant - malgré le consensus scientifique - des risques pour la santé des femmes.L'administration du président démocrate Joe Biden avait fait appel en urgence et la Cour suprême avait rétabli l'agrément de cette pilule, le temps de la procédure.
Boîtes de mifépristone au West Alabama Women's Center de Tuscaloosa, dans l'Alabama, le 16 mars 2022.
Si la cour d'appel se prononce en faveur du maintien de l'autorisation de la pilule en 2000 et du générique en 2019, elle fait droit à une partie des demandes des plaignants, des associations de médecins ou des praticiens hostiles à l'avortement, en confirmant la suspension des assouplissements d'accès décidés par la FDA depuis 2016. "Le Mifeprex restera disponible sous les restrictions en vigueur avant 2016", tout comme le générique de la mifépristone, affirment les juges, tout en soulignant que leur décision n'aura aucune conséquence pratique tant que la Cour suprême ne se sera pas prononcée dans un sens ou dans l'autre.
Mais si cette décision était confirmée, "cela marquerait un retour en arrière considérable pour les femmes de chaque Etat dans leur capacité de recevoir les soins dont elles ont besoin" et minerait "l'indépendance" de la FDA, réagit la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre. Le département américain de la Justice contestera la décision du tribunal d'appel devant la Cour suprême, confirmé-t-elle, dénonçant des "attaques sans précédent sur la santé des femmes".
"Cette décision, si elle entre en vigueur, pourrait mettre en péril tout le système d'approbation des médicaments de la FDA et semer la panique et la confusion parmi les patients", a réagi dans un communiqué l'ONG Center for Reproductive Rights (Centre pour les droits reproductifs), soulignant l'existence d'un "consensus scientifique sur la sûreté et l'efficacité" du mifépristone.
L'organisation anti-avortement Susan B. Anthony s'est au contraire félicitée de cet arrêt de la cour d'appel. "La FDA avait ignoré la science et ses propres règles en validant les yeux fermés le plan inconsidéré d'avortement par correspondance des Démocrates", affirme-t-elle dans un communiqué. Dans ses motivations, la cour d'appel qualifie de "probablement arbitraire" la décision de la FDA d'approuver une série d'allègements de l'accès à la mifépristone sans suffisamment en étudier, selon elle, les "effets cumulatifs" sur la santé.
Elle fustige en revanche les résultats dans l'Ohio, qu'elle estime résulter de "fonds illégaux de provenance libérale qui ont inondé l'Ohio pour ouvrir la voie à des politiques extrémistes dans un Etat pro-vie".