Etats-Unis : Bill Cosby, coupable, mais libre

Après avoir passé trois ans en prison, Bill Cosby, 83 ans, condamné pour agression sexuelle, a été libéré pour vice de procédure. La star déchue du Cosby Show avait été mis en cause publiquement par une soixantaine de femmes, mais un seul dossier, dont les faits n'étaient pas prescrits, avait été retenus. Retour sur un naufrage. 
Image
cosby libre
©AP Photo/Matt Slocum
Le comédien Bill Cosby, condamné en 2018 pour agression sexuelle, a été libéré de prison en Pennsylvanie, le 30 juin 2021 après l'annulation de sa condamnation pour vice de procédure, aux Etats-Unis.
Chargement du lecteur...
©S.Leroyer/Tv5monde
Partager 8 minutes de lecture

"Victoire", "libération", "justice", "un grand jour"... Pour toutes ces femmes qui ont osé parler, accusant Bill Cosby de viol, l'heure est au soulagement. Mais cela n'a duré qu'un temps. L'information est tombée dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 2021 : après trois ans passés en prison, l'acteur a été libéré pour vice de procédure.

La Cour suprême de Pennsylvanie (Etats-Unis) a annulé mercredi 30 juin la condamnation du comédien, une décision qui représente un camouflet pour le mouvement #MeToo. Il est sorti de SCI Phoenix, établissement située à Collegeville en Pennsylvanie dans la foulée du jugement, où il était détenu depuis sa condamnation. 

La condamnation de Bill Cosby était considérée comme la première de l'ère #MeToo et une victoire dans la lutte contre les violences sexuelles visant les femmes. Considéré comme l'incarnation du père idéal dans sa série, l'acteur, l'un des premiers artistes noirs à percer sur le petit écran américain, a été accusé, outre Andrea Constand, par une soixantaine de femmes d'agressions sexuelles et parfois de viol, couverts par la prescription.

[Une vidéo aérienne montre Bill Cosby arrivant à son domicile d'Elkins Park après l'annulation de la Cour suprême de Pennsylvanie de sa condamnation pour agression sexuelle, il a été libéré de l'établissement correctionnel d'État de Phoenix dans le comté de Montgomery, en Pennsylvanie.…]

Une seule condamnation 

C'est le 25 septembre 2018 que le tribunal de Norristown, en Pennsylvanie (nord-est des Etats-Unis) avait prononcé son verdict : une peine de 3 à 10 ans de prison ferme, à l'isolement, pour Bill Cosby. L'acteur a été condamné pour l'agression sexuelle d'Andrea Constand en 2004 - la seule femme pour qui les faits rapportés n'étaient pas prescrits.

"Aujourd'hui, je ressens une victoire dans mon coeur et mon âme après cette condamnation", déclare Sarita Butterfield, qui affirme avoir été violée en 1978 dans la maison que Bill Cosby possède dans le Massachusetts. "Je me sens libre", a-t-elle dit lors d'une conférence de presse organisée à Norristown (Pennsylvanie), rapporte l'AFP.

"Je m'incline devant Andrea Constand", a dit, en larmes, Sunni Welles, 70 ans, qui dit avoir été droguée et violée par deux fois par Bill Cosby en 1965. "Si elle n'avait pas été capable de se tenir debout au tribunal, nous ne serions pas ici", a expliqué celle qui dit avoir vu sa vie "détruite" par Bill Cosby.

Un grand jour pour les femmes, un grand jour pour les victimes de viol.
Victoria Valentino

C'est "un grand jour pour les femmes, un grand jour pour les victimes de viol", a déclaré Victoria Valentino, qui affirme avoir été violée par Bill Cosby en 1969.

Au prononcé de la peine, le comédien de 81 ans, déjà reconnu coupable par un jury en avril 2018, n'a pas réagi. Il pourra formuler une demande de libération conditionnelle après au moins trois ans de détention, requête qui sera examinée par une commission spéciale.

Bill Cosby ou l'hstoire d'un amour collectif déçu

"Dans un verdict qui semble destiné à marquer une étape importante dans le mouvement #MeToo contre les agressions sexuelles, l'acteur et comédien Bill Cosby, qui fut tant aimé, a été condamné par un jury de Pennsylvanie pour avoir drogué et agressé l'une de ses conquêtes en 2004." commente le Guardian, à peine la nouvelle tombée ce 26 avril 2018. 

Le jury a rendu sa décision après moins de deux jours de délibération. Le procès qui s'était tenu pour les mêmes accusations en juin 2017 s'était achevé par un vice de procédure et un jury sans majorité.

Lors d'une conférence de presse, l'avocate des accusatrices a sobrement commenté : "Finalement, les femmes sont crues". Tandis que celui de la vedette du petit écran déchue a lancé : "Le combat n'est pas terminé". Face aux effets de l'affaire Weinstein, Tom Mesereau, le défenseur de Bill Cosby avait d'ailleurs tenté de dépeindre Andrea Constand, la plaignante principale, comme une "menteuse pathologique", qui aurait inventé une agression pour faire chanter le célèbre comédien.

Les réactions affluent sur les réseaux sociaux, comme celle-ci qui pointe du doigt l'actuel président républicain des Etats-Unis : "Aujourd'hui est un grand jour de justice pour les femmes agressées par Bill Cosby, mais n'oublions pas le prédateur sexuel à la Maison-Blanche et les 20 femmes qui n'ont pas obtenu justice." Tandis que d'autres rappellent ses accointances passées avec les Clinton démocrates, qui étaient ses plus grands fans... 


En juin 2017, c'était un Bill Cosby, alors tourné vers le jury qui s'était déjà présenté, au tribunal de Norristown, près de Philadelphie. De lui, il ne fallait visiblement pas attendre le moindre mot. Dans les rares interviews accordés à la presse depuis le début du scandale, l'ex-star de la télévision américaine avait prévenu qu'il refuserait de parler lors de ces audiences. Peut-être cela pourrait-il changer, selon son entourage.

En attendant ce possible changement de stratégie, ce que l'on sait, c'est que l'essentiel de ce procès repose sur le témoignage d'une seule personne. Andrea Constand, citoyenne canadienne de 44 ans, est la seule pour laquelle les faits ne soient pas prescrits pénalement.

Des faits qui remontent à 2004. Elle accuse Bill Cosby de l'avoir agressé sexuellement, lors d'une visite au domicile de l'acteur, dans la banlieue de Philadelphie. Pour parvenir à ses fins, l'humoriste l'aurait incitée à boire du vin et à ingérer des pilules. Le mélange l'aurait rendue, selon elle, incapable de résister.

Interrogé en 2005, Bill Cosby avait reconnu lui avoir donné alcool et pilules, sans lui dire ce qu'elles contenaient, et s'être ensuite livré à des attouchements. Mais pour lui, il s'agissait d'une relation consentie, l'acteur insistant sur le fait que la jeune femme n'avait, à aucun moment, manifesté sa désapprobation.

Un témoignage troublant de similitudes

Ces accusations résonnent avec les propos tenus lundi à l'ouverture du procès par Kelly Johnson. Une témoin dont la plainte n'a pas été enregistrée pour ce procès. Elle est venue raconter comment en 1996, l'acteur s'est, selon elle, livré à des attouchements, après lui avoir fait absorber une pilule et du vin, dans le bungalow d'un hôtel californien. Elle raconte s'être réveillée, "allongée sur le lit, Bill Cosby derrière elle, avec de la lotion sur une main, lui faisant toucher son pénis".

Un récit plus que troublant, et surtout très similaire à celui qui fait l'objet des actuelles poursuites contre l'ex-star de la télé, basées sur la plainte d'Andréa Constand.

Kelly Johnson était l'assistante du comédien à l'époque, elle explique qu'elle était alors très intimidée, et qu'elle n'avait pas osé fuir de la chambre d'hôtel. Elle fut licenciée quelques temps après "l'incident" pour faute professionnelle.
 
J'avais un secret concernant la plus grande célébrité au monde, à l'époque. J'avais peur, très peur Kelly Johnson, témoin
Le principal avocat de Bill Cosby, Brian McMonagle, a cherché à discréditer ce premier témoignage, accusant Kelly Johnson d'avoir fait évoluer sa version des faits. Il a cité abondamment des déclarations datant de 1996 et faites dans le cadre d'une procédure contre son employeur, qui contredisent des éléments du récit fait en 2015, lors d'une conférence de presse.

D'après l'avocat, elle y donne notamment une autre date pour l'incident du bungalow (1990), très éloignée de celle donnée en 2015 (1996). Kelly Johnson a expliqué ne pas se souvenir des déclarations qu'elle avait faites à l'époque.

"J'avais peur", explique-t-elle, "voila pourquoi je n'ai pas voulu en parler". "Je détenais un secret sur la plus grande célébrité de la planète du moment, et c'était juste moi".
 

Procès ultra-médiatique(sé)

Le temps fort de ce procès qui mobilise tous les médias américains cette semaine sera sans nul doute celui d'Andrea Constand, dans les tout prochains jours.

L'épouse de Bill Cosby n'est pas venue à l'audience, mais parmi ses soutiens, on notera la présence de celle qui jouait sa fille dans la série, Keshia Knight Pulliam. "Je suis venue pour le soutenir parce que c'est ici que vous examinez les faits, ici que la vérité éclate", a-t-elle déclaré. 
 

Le procès doit durer deux semaines. S'il est reconnu coupable, Bill Cosby pourrait être condamné à passer, au minimum, dix ans derrière les barreaux. Pour cet octogénaire, cela équivaudrait probablement à finir ses jours en prison. En cas de relaxe, cette mise en cause pour délits sexuels devrait le poursuivre jusqu'à la fin de sa vie, car d'autres procédures sont encore en cours au civil.