En donnant naissance à sa fille, Alexis Olympia, la jeune maman a senti poindre un malaise après la césarienne. Elle haletait. "J'ai besoin d'un scanner et d'une perfusion d'héparine !"dit-elle à l'équipe médicale, qui à contre-coeur, s'exécuta... plusieurs jours

Bien lui en a pris.
Les examens révélèrent plusieurs petits caillots de sang dans ses poumons. La jeune maman venait d'échapper à une embolie pulmonaire.
Rien de moins. Elle avait pourtant indiqué au préalable que son corps était sujet aux caillots sanguins et qu'elle devait prendre des anticoagulants chaque jour...
L'anecdote n'émane pas d'une femme désargentée qui accouche dans un hôpital américain de troisième zone mais de Serena Williams, l'une des plus grandes joueuses de tennis de tous les temps. Elle vient de confier ses mésaventures au magazine Vogue.
Si l''histoire se termine bien pour Serena Williams et sa fille, cet exemple témoigne d'un réel malaise au sein des maternités américaines.
Une première étude publiée en 2016 dans "Obstetrics and Gynecology" nous apprend que parmi les pays développés, l'Amérique se classe au premier rang mondial pour les taux de mortalité maternelle et infantile. "Le taux estimé de mortalité maternelle (pour 100 000 naissances vivantes) pour 48 États et Washington DC (à l'exclusion de la Californie et du Texas, analysés séparément) a augmenté de 26,6%, passant de 18,8 en 2000 à 23,8 en 2014 ", peut-on lire, " Il est nécessaire de redoubler d'efforts pour prévenir les décès maternels et améliorer les soins de maternité pour les 4 millions de femmes américaines qui accouchent chaque année."
60 000 femmes enceintes en souffrance
Parmi tous les États, le Texas détient le triste record de la première place pour le plus fort taux de mortalité chez les parturientes, suivi de la Floride. Selon le journal médical Obstetrics and Gynecology, 36 femmes sur 100 000 sont mortes au Texas en accouchant.
Aux États-Unis, où le taux de mortalité maternelle a plus que doublé entre 1987 et 2013, une femme a plus de risques de mourir de causes liées à la grossesse que dans les 31 pays, (exception faite du Mexique) industrialisés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Chaque année, environ 700 femmes aux États-Unis meurent à la suite de complications liées à la grossesse ou lors de l'accouchement. Pas moins de 60 000 femmes enceintes souffrent de graves problèmes de santé.
Autre révélation de ces études et non des moins troublantes : les complications de la grossesse tuent trois à quatre fois plus de mères noires que les mères blanches non hispaniques, et les bébés nés de femmes noires meurent deux fois plus souvent.
Pourquoi ?
Le racisme, première cause de cette hécatombe ?
Plusieurs chercheurs temporisent ces chiffres-chocs.Sans nier leur réalité, ils estiment que ces chiffres sont le fait d'un décompte

D'autres chercheurs attribuent cette augmentation comme la conséquence de grossesses de plus en plus tardives, avec les nombreuses complications de santé que cela peut entraîner.
Mais pourquoi la mortalité touche-t-elle particulièrement des femmes noires ?
Les docteurs Michael Lu, professeur agrégé d'obstétrique et de gynécologie et le Docteur Neal Halfon, directeur fondateur du Centre pour les enfants, les familles et les communautés de l'UCLA avancent d'autres théories, beaucoup plus politiquement incorrectes. Ils estiment que cette mortalité excessive n'est rien d'autre que le résultat d'un "racisme institutionnel".
Préjugés sexistes, raciaux et institutionnels
Selon eux, les difficultés que ces femmes noires rencontrent au cours de leur vie influeraient directement sur leur santé et celle de leur futurs enfants.
Ces médecins soutiennent que les préjugés sexistes, raciaux et institutionnels accroissent le stress et mènent à un accès inadéquat aux soins de santé. Et cette injustice se retrouverait partout : pour le logement, l'environnement, l'éducation.
Les familles afro-américaines se verraient ainsi offrir moins d'options de logement adéquates que les familles blanches non hispaniques et cela avec des revenus équivalents. Pendant la petite enfance, les filles afro-américaines sont davantage susceptibles que les filles blanches non hispaniques de vivre dans des logements insalubres avec des peintures au plomb hautement toxiques et pouvant compromettre leur bon développement.

Au moins 10 000 dollars un accouchement
Devenue adulte, une Afro-Américaine gagne 63 cents contre un dollar pour un
Cette économie sur le suivi des soins de santé se retrouve également au sein des services de conseils et de planification familiale.
Selon le rapport des deux médecins, qui indique que 72% des mères afro-américaines sont chefs de famille monoparentale, cette absence de suivi en matière de santé " contribue aux disparités raciales dans les facteurs de risque liés à la grossesse comme l'hypertension, l'anémie, le diabète, l'obésité, les maladies cardiaques, le VIH, le SIDA et le cancer. Et même en recevant des soins, les femmes noires sont moins prises au sérieux que les femmes blanches."
Voilà donc peut-être ce qui s'est passé, même quand on s'appelle Serena Williams ?
Car il faut remonter à très loin dans l'histoire américaine pour y retrouver les racines de ce mal. Le 28 janvier dernier, en plein coeur de Central Park à New York, plusieurs femmes noires se sont rassemblées, la blouse symboliquement ensanglantée, devant la statue de James Marion Sims. Dans les années 1800, ce gynécologue américain achetait des femmes esclaves noires pour les utiliser comme cobayes pour ses expériences chirurgicales. Il a pratiqué à maintes reprises des opérations de chirurgie génitale sur des femmes noires sans anesthésie parce que, selon lui, « les femmes noires ne ressentent pas de douleur ».
J. Marion Sims was a gynecologist in the 1800s who purchased Black women slaves and used them as guinea pigs for his untested surgical experiments. He repeatedly performed genital surgery on Black women without anesthesia because according to him, "Black women don't feel pain." pic.twitter.com/3u2DLZFzdD
— Jemisha (@JemiSHaaaZzz) January 27, 2018
We RISE UP for Black women's health. No one should be denied access to the full range of pregnancy related care, including abortion, contraception, prenatal, & maternity care. #RiseUp4Roe #TrustBlackWomen pic.twitter.com/JT6y3OgNV1
— All* Above All (@AllAboveAll) January 22, 2018
With black women at risk in maternity units across America, is racism to blame with things go fatally wrong? #DeathByDelivery today on @Fusion pic.twitter.com/Y04W8LjJwl
— The Naked Truth (@NakedTruth) January 17, 2018
Dans un documentaire, "Death by delivery", diffusé en janvier aux Etats-Unis, Catrina Anderson, une militante du Center for reproductive rights résume tout en une phrase : "Si on inversait les chiffres, s'il s'agissait de femmes blanches qui mouraient lors de l'accouchement, il y aurait une volonté politique pour répondre à ce problème".