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Le sud-est de l'Ethiopie est durement frappé par une sécheresse historique qui frappe depuis plus de deux ans la Corne de l'Afrique. Des millions de personnes souffrent de la faim. Avec la misère, les mariages forcés et les violences faites aux femmes ont considérablement augmenté, alarme l'UNICEF.
Le nombre de mariages d'enfants de moins de 18 ans ont augmenté en moyenne de 119% dans les régions les plus touchées par la sécheresse en Éthiopie, selon des sources gouvernementales locales, citées par le site de l'UNICEF. Le nombre d’enfants risquant d’abandonner l’école en Éthiopie, au Kenya et en Somalie, en raison de l’impact de la crise, a triplé en quelques mois – laissant un grand nombre d’adolescentes exposées à un certain nombre de risques liés à la protection de l’enfance, notamment les mutilations génitales féminines et le mariage forcé, précise l'organisation.
De plus en plus de parents ou d’accompagnants marient des filles pour obtenir une dot qui aidera à soutenir le reste de la famille, pour avoir une bouche de moins à nourrir ou pour tenter d’aider la mariée à entrer dans un ménage plus aisé. "Nous constatons des taux alarmants de mariages d’enfants et de mutilations génitales féminines dans toute la Corne de l’Afrique – certaines familles démunies s’arrangent pour marier des filles d’à peine douze ans à des hommes plus de cinq fois plus âgés qu’elles", déclare Andy Brooks, conseiller régional de l’UNICEF pour la protection de l’enfance en Afrique orientale et australe.
Lors d’une évaluation réalisée en janvier 2022 au Somaliland, près d’un quart des personnes interrogées ont signalé une augmentation de la violence sexiste due à la sécheresse, notamment le mariage d’enfants, la violence domestique et la violence sexuelle, avec des augmentations de plus de 50% dans certains endroits.
"Les chiffres dont nous disposons ne rendent pas compte de l’ampleur du problème : de grandes parties de la Corne de l’Afrique ne disposent pas de structures spécialisées où les cas peuvent être signalés", ajoute le conseiller de l'UNICEF.
Face à la malnutrition aiguë qui menace la vie de millions d’enfants vulnérables, l’ONU juge urgent d’agir@FAOenFrancais @WFP_FR @UNICEF_FR @Le_HCR @WHO https://t.co/gSlmmpIcZL
— ONU Info (@ONUinfo) January 12, 2023
Bisharo n'est restée que cinq jours avec son époux : mariée de force, l'adolescente de 14 ans a fui son mari qui la battait. Aujourd'hui coupée de sa famille, elle est sans ressources dans le sud de l'Ethiopie en proie à la sécheresse.
La jeune fille, dont le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité, est venue chercher de l'aide dans une unité dédiée aux violences sexuelles ouverte en novembre à l'hôpital de Gode, ville de la région Somali.
La dot de Bisharo "était de 3.000 birr" (50 euros environ), affirme l'adolescente, originaire d'une localité à quelques dizaines de kilomètres de Gode. "Mes parents et ceux de mon mari se sont mis d'accord sur le mariage. Je ne le savais pas. Il (son époux, ndlr) est venu avant le mariage et m'a demandé de l'épouser mais j'ai refusé", raconte la jeune fille.
L'union avec un homme de 20 ans, issu du même clan que son père et déjà marié à une première épouse, a quand même eu lieu. "Je suis restée cinq jours avec lui et tout ce temps, il m'a battue", affirme Bisharo, serrant ses mains couvertes de tatouages au henné: "Il me battait parce qu'il voulait coucher avec moi mais je refusais".
La jeune fille ressent toujours "des douleurs au dos, aux épaules et à la tête", suite aux coups de bâton et de ceinture qu'elle a reçus, des douleurs qui l'empêchent de dormir.
Elle s'est échappée, trouvant refuge chez des voisins. L'époux a été arrêté par la police locale, qui a demandé à ce qu'un divorce soit prononcé. Mais le père de Bisharo l'a prévenue. "Il m'a dit que s'il y avait un divorce, il ne serait plus mon père", explique-t-elle. Avant-dernière d'une famille de cinq enfants, la jeune fille est seule. Ni ses trois frères, ni sa soeur ne la soutiennent. Sa mère pourrait, "mais elle a peur de mon père". "Comme je n'ai pas de soutien de ma famille, je suis venue ici", au centre spécialisé de l'hôpital de Gode, sur les conseils des autorités, explique-t-elle.
Depuis novembre, cette petite structure a accueilli 12 jeunes filles et femmes - huit cas de viols et quatre de violences conjugales.
"La sécheresse a joué dans les cas que nous avons vus", souligne le docteur Fahad Hassan. Dans les camps de déplacés, "la violence est fréquente", explique-t-il, évoquant l'histoire d'une fillette de sept ans, amenée après avoir été violée par un inconnu dans un camp.
Les viols peuvent aussi avoir lieu "lorsque qu'une femme va acheter quelque chose ou lorsqu'elle quitte le village pour chercher de l'eau", explique sa collègue Sahra Haji Mohammed, travailleuse sociale. La pauvreté accroît également les violences conjugales, ajoute-t-elle: "On a vu par exemple des conflits entre époux lorsque le mari, faute d'argent, veut vendre un bien de la maison pour acheter des cigarettes ou du khat", une plante euphorisante très consommée dans la région.
Cette douzaine de cas n'est qu'une infime partie de la réalité. Dans la très religieuse et patriarcale société nomade somali, beaucoup de victimes gardent le silence, de peur notamment d'une stigmatisation sociale.
"Nous faisons partie de la communauté. Nous avons connaissance des cas qui ne viennent pas mais qui sont chez elles et se cachent. Nous essayons de leur dire qu'il y a ici un centre pour (...) les aider. Mais elles essaient de se cacher et même nient leurs cas", explique le docteur Fahad.
Les employés du centre s'efforcent de le faire connaître et d'assurer de sa confidentialité, mais aussi de sensibiliser au phénomène. "Par exemple, elles ne savent pas que la violence entre partenaires est un cas de violence sexuelle", souligne le médecin. Pour beaucoup, "seul le viol est un cas de violence sexuelle".
Rare "survivante" à avoir accepté de s'exprimer auprès de l'AFP, Bisharo "encourage les filles à s'exprimer".
"Ce n'est pas seulement mon problème, c'est un problème pour beaucoup de filles. Aujourd'hui encore, j'ai entendu dire qu'une fille avait été forcée de se marier et que son mari l'avait maltraitée, mais ses parents ne disent rien. Les mères ne peuvent pas s'opposer à la décision du père parce qu'elles ont peur. (...) Le principal problème, ce sont les pères", lâche-t-elle.
En rupture, la jeune fille n'attend qu'une chose: "le papier du divorce et quitter la ville". "Je vais aller chez ma grand-mère (dans une autre ville, ndlr) parce que les gens disent du mal de moi" dans sa localité d'origine.
Là, elle recommencera avec le simple espoir de pouvoir choisir son mari: "Je veux me marier avec quelqu'un de mon âge".